1 Anticiper les besoins dès la conception
La chasse aux gaspillages énergétiques doit être lancée avant même la construction d'un bâtiment. Une bonne intégration de capteurs et d'automates garantit la concordance entre les services proposés et les besoins de l'exploitant, comme des usagers.
M ieux isoler, assurer une bonne étanchéité à l'air, miser sur des doubles, voire des triples vitrages… Pour limiter la consommation des passoires énergétiques, les recettes sont connues. Mais l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation thermique change la donne. Pour atteindre 50 kWh/m²/an, la laine de roche et un mode de chauffage performant ne suffisent plus. Chaque détail a son importance. « La gestion active n'est pas explicitement rendue obligatoire dans la RT 2012. Cependant, il apparaît difficile d'y répondre sans système de maîtrise des consommations énergétiques », estime Guillaume Parisot, directeur innovation chez Bouygues Immobilier. En ligne de mire : les dépenses inutiles liées aux fenêtres ouvertes pendant que le chauffage tourne à plein, aux ordinateurs qui restent allumés toute la nuit, aux équipements maintenus sur veille alors qu'ils pourraient être éteints…
C'est donc dès la conception des immeubles que leur optimisation énergétique doit être pensée. Si l'ensoleillement n'est estimé qu'à grands traits, un éblouissement permanent peut, par exemple, pousser le locataire à installer des stores qui ne sont pas prévus dans le cahier des charges initial. Ce qui réduit à néant des efforts qui pourraient être faits par ailleurs pour limiter l'éclairage inutile. « Il faut une programmation très en amont et multidisciplinaire, insiste Thierry Bièvre, directeur général de la société Elithis. Les ingénieurs se demandent souvent ”comment” arriver à un résultat. Il faut d'abord se poser les questions ”pourquoi”, ”pour qui”, ”où”, ”pour quel usage”… » Pour optimiser sa consommation énergétique, mieux vaut la connaître précisément ! Dans les logements individuels ou collectifs, l'article 23 de la RT 2012 impose « un système permettant de mesurer ou d'estimer la consommation d'énergie » pour cinq usages : chauffage, refroidissement, production d'eau chaude sanitaire, réseau de prises électriques et autres (éclairage, VMC…). L'article 31, qui décline cette obligation pour les bâtiments à usage autre que l'habitation, précise que chaque tranche de 500 mètres carrés doit être instrumentée. « Les ascenseurs ou les restaurants d'entreprise ne sont pas intégrés à la réglementation. Ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas s'y intéresser », complète Guillaume Parisot. Réglementation ou pas, mieux vaut récupérer un maximum d'informations.
« La maille de 200 ou 250 m² semble plus pertinente, abonde Thierry Djahel, directeur du développement et de la prospective chez Schneider Electric. Ce qui est l'affaire de tout le monde n'est l'affaire de personne. Si l'on veut une meilleure prise de conscience des objectifs énergétiques à atteindre, il faut des systèmes de comptage communicants par zones géographiques ou par typologies d'occupants : commerciaux, assistantes… »
Pour autant, cinq ans après l'inauguration de sa tour de bureaux à énergie positive, à Dijon, Thierry Bièvre met en garde. Attention à ne pas aller trop loin inutilement (lire encadré). Compter n'est pas une fin en soi. C'est la meilleure manière, en revanche, de relever les dysfonctionnements et d'optimiser les réglages des équipements. Il n'est pas rare par exemple de constater qu'au même endroit, une climatisation et un chauffage fonctionnent au même moment. Ou que le système de ventilation tourne à pleine puissance pendant le week-end alors que les bureaux sont déserts…
Pour les grands immeubles tertiaires, le sujet n'est pas nouveau. Tous sont généralement équipés d'un outil de GTC (gestion technique centralisée) ou de GTB (gestion technique du bâtiment). Objectif : piloter de manière optimale chaque service énergétique. « Il y a quelques années encore, on s'intéressait avant tout au confort de l'usager et à la durée de vie des équipements, raconte Olivier Rieffel, responsable du marché de l'énergie et de l'intelligence du bâtiment chez Crestron. Quand on programmait une extinction de matériel audiovisuel à l'issue d'une réunion par exemple, c'était essentiellement pour réduire les frais de maintenance. » Aujourd'hui, des automatismes sont créés au service des économies d'énergie.
Avec l'émergence de protocoles standards comme Bacnet, les offres sont désormais plus intégrées. Des équipements divers et variés qui, jusqu'alors, ne communiquaient pas entre eux peuvent être associés. Illustration dans une salle de collège. Si l'on estime que le niveau d'éclairement optimal est de 400 lux, la puissance des luminaires peut s'ajuster automatiquement en fonction de la lumière naturelle (dont l'intensité est évaluée par un capteur spécial). Les informations délivrées par un détecteur d'intrusion (servant avant tout à sécuriser le site) peuvent, quant à elles, être mises à contribution pour couper l'éclairage dès la fin des cours si le professeur a oublié d'actionner l'interrupteur en sortant. Un luxe ? Pas sûr. Dans un bâtiment standard, « le poste éclairage représente environ 27 % de la consommation, derrière le chauffage et les équipements spéciaux », souligne David le Vely, responsable marketing en charge des solutions tertiaires chez Legrand. De manière un peu plus intelligente encore, un portique de sécurité situé à l'entrée de l'immeuble peut déclencher la mise en chauffe d'un bureau ou, au contraire, l'extinction totale des équipements du salarié rentrant chez lui et la fermeture des stores de son bureau. Le couplage des automates et des capteurs de données les plus divers offre par ailleurs de nouvelles possibilités pour piloter des ouvrants mécanisés et faire entrer du froid pendant la nuit. Ou pour traquer les équipements non répertoriés sur le réseau.
Dans le cadre du projet Issy Grid, Bouygues Immobilier a développé un système de collecte de données énergétiques en renforçant la GTB de son siège et en segmentant le bâtiment par usages. L'entreprise a ensuite testé la possibilité d'effacer sa consommation électrique en début d'après-midi… En pleine canicule, à l'heure où les besoins de climatisation sont pourtant les plus forts ! « Nous avons fabriqué de la glace pendant la nuit, et nous l'avons utilisée en journée », décrit Guillaume Parisot. L'action a pu être précisément évaluée et les résultats sont au rendez-vous. « Nous avons soulagé le quartier en effaçant l'équivalent de la demande de plusieurs centaines de logements », se félicite-t-il.
À l'origine, la GTB concernait essentiellement l'exploitant. « Aujourd'hui, plusieurs profils demandent des solutions de reporting énergétique adaptées à leurs besoins », souligne Thierry Djahel : l'investisseur, car un actif qui consomme peu a davantage de valeur, le responsable du développement durable de chaque entreprise installée dans le bâtiment et l'occupant lui-même, qui a pris chez lui l'habitude de contrôler ses consommations et qui veut faire de même au travail. David le Vely constate qu'il y a aujourd'hui « un intérêt très fort des petits et moyens bâtiments pour des solutions de pilotage prêtes à l'emploi. Dans un collège près de Lyon, c'est la concierge qui a la main sur un outil qui lui permet d'éteindre les éclairages le soir, de visualiser les consommations et de détecter les éventuelles anomalies ». Le jeu en vaut la chandelle, quand on sait que « le coût du bâtiment se répartit entre sa conception (5 %), sa construction (20 %) et son exploitation (75 %) », souligne-t-il.
2 Optimiser le parc
Dans les bâtiments énergivores, quelques automatismes indépendants les uns des autres peuvent se justifier. Les installations récentes ont besoin, quant à elles, de mises à jour récurrentes de leur instrumentation.
E
n Europe, 98 % des bâtiments ne sont pas équipés de gestion technique centralisée (GTC) et parmi les 2 % qui le sont, les trois quarts ne couvrent pas tous les usages ou sont mal pilotés. » Le constat de Pierre Duchesne, président d'Avob, est sévère. Il a le mérite de rappeler que tous les immeubles ne vont pas devenir intelligents du jour au lendemain. À l'instar du centre hospitalier de Morlaix, certaines structures avancent par paliers, sans chercher à tout instrumenter (lire encadré). D'autres comprennent rapidement que la marche est trop haute pour faire quoi que ce soit ! « On ne met pas un pansement sur une jambe de bois, rappelle Guillaume Parisot, directeur innovation chez Bouygues Immobilier. Il ne sert à rien de surinstrumenter un bâtiment qui n'est pas vertueux à la base. La meilleure stratégie se révèle être parfois la déconstruction. »
Pour identifier les actions prioritaires à mener, un audit énergétique est un préalable. Et en règle générale, ce sont d'abord des solutions passives qui sont préconisées. Attention à ne pas en conclure trop vite que les automatismes n'ont pas leur place dans les bâtiments existants. En termes d'éclairage par exemple, « une installation dotée de détecteurs autonomes de présence et de luminosité peut être amortie en deux ans et demi », calcule David le Vely, responsable marketing chez Legrand en charge des solutions tertiaires. Dans les couloirs et les sanitaires, ce service est, en outre, souvent considéré comme un confort moderne.
L'émergence dans le secteur de l'efficacité énergétique de sociétés issues du monde de l'informatique permet par ailleurs de se lancer dans l'optimisation sans gestion technique bâtiment (GTB). La société Avob a par exemple développé une plateforme logicielle qui exploite les données des ordinateurs et de nombreux équipements, grâce à des pilotes logiciels ou des boîtiers qui y sont raccordés. De même, la console d'administration Energy Wise, de Cisco, s'interface avec les GTB existantes et les équipements reliés au réseau électrique. Elle peut les interroger sur leur consommation, leur criticité et leur localisation pour détecter les anomalies en temps réel et les désactiver si besoin.
Dans les bâtiments existants, mais plutôt récents, les automatismes existent déjà. Pour être opérationnels, ils doivent être mis à jour périodiquement. À la réception des travaux, les sociétés énergétiques proposent des services d'optimisation des réglages. Et sur de plus longues échéances, des prestations de maintien des performances. « Une GTB doit vivre selon les besoins des utilisateurs. Les entreprises changent, les cloisons sont déplacées, les services évoluent, rappelle Yoann Courtet, directeur en charge du confort, de l'hypervision et de l'intégration chez Siemens Building Technologies. Au bout d'un moment, les détecteurs se révèlent mal placés. La GTB peut ne plus être adaptée. » Sur une installation basique, une mise à jour annuelle se montrera suffisante. Un système plus complexe peut nécessiter un service en continu pour accompagner l'exploitant.
Faire évoluer le matériel est une autre histoire. Une GTB est constituée d'une solution de supervision et d'automates plus ou moins autonomes qui gèrent des capteurs actionnaires. Sur un bâtiment équipé depuis vingt ou trente ans, certains constructeurs proposent une adaptabilité ascendante, qui permet de faire évoluer les automates. Quand plus rien n'est compatible, il faut en revanche les remplacer… Avec parcimonie, puisqu'on repart d'une page quasiment blanche. Sur le papier, la multiplication des solutions radios permet de concevoir une installation complète a posteriori. Son coût ne se justifie pas toujours néanmoins. « Dans un hôtel haut de gamme, c'est intéressant. Dans un bâtiment de bureaux, on va plutôt attendre les opérations de rénovation pour faire évoluer l'installation, estime Yoann Courtet. Ou alors on va se concentrer sur les équipements qui offrent les retours sur investissement les plus importants, pour l'éclairage ou le chauffage, mais souvent avec une maille moins fine que pour les nouveaux déploiements. » L'utilisateur est donc davantage mis à contribution pour corriger les anomalies. Évolution technologique majeure, la possibilité d'administrer les installations à distance pousse enfin à centraliser la gestion des automatismes. Conséquence, des établissements bancaires aux collectivités, les structures multi-sites équipent de plus en plus de bâtiments de taille modeste pour diminuer leur consommation et pour régler à distance certains équipements. Côté financier, cela n'a rien d'une hérésie. Comme le rappelle Thierry Djahel, directeur du développement et de la prospective chez Schneider Electric, « le prix des GTB a été divisé par trois en dix ans avec des services équivalents ».
3 Mobiliser les usagers
Les bâtiments de demain devront mettre l'occupant au cœur de la recherche d'efficacité énergétique. Pour l'intégrer dans la dynamique, encore faut-il lui offrir des outils accessibles.
Et si la recherche d'automatismes était une voie sans issue ? En matière d'éclairage ou de chauffage par exemple, affranchir l'utilisateur de toute responsabilité n'est peut-être pas une si bonne idée. En cas de dysfonctionnement, il ne se sentira absolument pas concerné, n'hésitant pas à ouvrir la fenêtre en plein hiver s'il a trop chaud ou à faire fonctionner un vieux convecteur s'il a froid. « Les gens ne sont pas prêts à mettre un pull s'ils ont l'impression de ne pas avoir les leviers d'action pour agir sur leur confort, estime Arnaud Gheysens, directeur associé de Teeo. Au contraire, si on définit avec eux des objectifs de diminution de la consommation d'énergie et des moyens, ils sont beaucoup plus attentifs. Et là, si besoin, ils mettent un pull ! »
Quel que soit le profil du bâtiment, impliquer l'usager est donc essentiel. Et il y a de nombreuses manières de le faire. Le prérequis est de l'informer sur sa consommation pour qu'il comprenne que son comportement n'est pas neutre sur le plan environnemental… Ni sur le plan financier, même si cet indicateur est difficilement communicable car il peut passer pour un vecteur de culpabilisation ! De plus en plus de bâtiments sont équipés de tableaux de bord énergétiques présentés à l'accueil ou disponibles sur internet. Autre possibilité : pousser l'occupant à choisir à tout instant son scénario énergétique. Le personnel en charge du ménage n'a par exemple pas les mêmes besoins d'éclairage que l'employé de bureau. Plusieurs fournisseurs proposent des applications connectées au système de supervision et accessibles depuis un PC ou une tablette tactile. « Il faut des outils simples, prévient Olivier Rieffel, responsable du marché de l'énergie et de l'intelligence du bâtiment chez Crestron. Une prise en main naturelle est essentielle. » La remarque vaut pour l'utilisateur lambda, mais aussi pour l'exploitant. Quand l'intégrateur a déclaré les systèmes techniques et programmé les automates, un non-spécialiste doit être capable de modifier les paramètres d'un scénario d'usage. « Quand on crée des scénarios, ils correspondent à des normes et aux besoins de 90 % des utilisateurs », estime Yoann Courtet, directeur en charge du confort, de l'hyper-vision et de l'intégration chez Siemens Building Technologies. Les autres doivent avoir la possibilité de baisser un store automatique s'ils sont plus sensibles à la lumière ou de réduire la puissance de la climatisation s'ils ont froid…
L'utilisateur doit pouvoir garder la main. Par exemple au travers d'une interface Web, afin de redéfinir le niveau d'éclairement et d'ouverture des stores lorsqu'il se rend compte que ses choix ne correspondent pas aux paramètres recommandés… Il devient alors acteur de l'optimisation énergétique.
Pour impliquer l'usager, une autre option est de l'inciter à communiquer sur ce qu'il voit et ce qu'il ressent. Sur son siège social, à Rueil-Malmaison, Schneider Electric a constaté que la moitié de sa consommation d'eau était liée à des fuites de chasses d'eau… Une situation qui, même sans instrumentation, peut être corrigée en offrant aux salariés un outil pour signaler les dysfonctionnements. Dans sa tour dijonnaise, Elithis applique ce principe pour l'énergie. Si l'entreprise ne laisse pas aux occupants la possibilité d'effectuer leurs propres réglages en ce qui concerne le chauffage, elle a en revanche ouvert une ligne et créé une adresse électronique pour recueillir leurs réactions instantanées. Elle les interroge par ailleurs régulièrement sur leurs ressentis.
« Nous nous sommes lancés avec des hypothèses basées sur des algorithmes. Considérant que pour telle température et telle occupation, il fallait ouvrir telle vanne. Aujourd'hui, nous gérons notre bâtiment en fonction de la satisfaction », décrit Thierry Bièvre, directeur général d'Elithis. Une analyse des comportements des usagers a montré qu'avec une température de 20 degrés, ils ressentaient généralement une insatisfaction quand le temps était maussade et humide. En plein hiver, quand l'air est froid et sec, mais que le soleil brille, la même température convient à tout le monde ! De même, la société chauffe davantage le lundi matin que le vendredi après-midi. « Nous augmentons la température pour compenser la perte psychologique de confort induit par les représentations des individus, poursuit Thierry Bièvre. Nous sommes sortis du modèle itératif pour répondre à leurs désirs masqués. »