Aura-t-elle un impact aussi fort qu’internet ? La « blockchain » est annoncée comme la nouvelle grande révolution technologique. En particulier dans le domaine de la finance et, par ricochets, dans plusieurs secteurs économiques. Concrètement, il s’agit d’une nouvelle manière de stocker et d’échanger l’information. Son application la plus connue est le Bitcoin, une monnaie numérique décentralisée, mais ce n’est pas la seule. Dans l’énergie solaire, le « Solarcoin » vient d’arriver en France.Le Solarcoin ? Au début, une communauté de volontaires, réunis au sein de la fondation éponyme, entendait soutenir la filière photovoltaïque. Elle a donc créé un système de récompense sous forme de certificats d’origine : des jetons virtuels, appelés solarcoins, sont attribués gratuitement à tout producteur d’électricité photovoltaïque. Toute centrale solaire, au sol ou en toiture, peut s’en voir accorder à hauteur d’un solarcoin par mégawattheure produit. En France, Lumo a été retenue pour les diffuser. L’idée est a priori simple. Lumo est une plateforme de financement participatif spécialisée dans les énergies renouvelables. Via cette plateforme, des épargnants appuyent des porteurs de projets photovoltaïques. Pour chaque mégawattheure généré, un jeton sera octroyé par la fondation Solarcoin. Pour l’instant, ce principe sera testé sur « un à trois projets d’ici à janvier 2017 », prévoit Alexandre Raguet, le président de Lumo. Il faudra évaluer l’appétence des parties prenantes, réécrire les contrats types, négocier le partage des solarcoins entre épargnants et porteurs de projet… « Mais ce que j’adore, c’est le côté positif. On ne punit pas les pollueurs, on récompense ceux qui contribuent à développer l’électricité photovoltaïque », se réjouit Alexandre Raguet. L’Irena, l’Agence internationale des énergies renouvelables, a d’ailleurs officiellement reconnu en juillet ce dispositif comme un outil de soutien à la filière.Le but n’est pas seulement d’émettre des jetons virtuels, mais aussi de les faire circuler. Au plan mondial, la fondation Solarcoin a fixé une limite : 98 milliards de jetons seront donnés. Au fur et à mesure de leur distribution, ils vont acquérir une valeur en fonction de l’offre et de la demande. Pour imaginer des modèles d’affaires, un incubateur a été créé : ElectricChain. Lumo l’a intégré. « Une solution pourrait être d’impliquer des firmes comme Apple, Ikea ou Patagonia, qui ont pris des engagements en termes d’énergies renouvelables, propose Alexandre Raguet. Ces entreprises pourraient accepter des solarcoins dans leurs points de vente. » Ainsi, un épargnant qui soutiendrait un projet solaire via une plateforme de financement participatif recevrait des solarcoins, qu’il utiliserait comme bons de réduction auprès des magasins partenaires. C’est l’un des modèles envisagés. Mais, avec l’essor de l’autoconsommation et des microréseaux intelligents, la profession voit plus loin : les solarcoins pourraient être employés comme registre pour comptabiliser les échanges d’électrons entre voisins. Un concept à préciser, mais qui pourrait accélérer la transformation du secteur énergétique.Comme pour les bitcoins, les échanges de solarcoins s’appuient sur la « blockchain », une technologie émergente que l’on peut littéralement traduire par chaîne de blocs. Plus explicitement, on parle aussi de dispositif d’enregistrement électronique partagé. En clair, c’est une base de données totalement décentralisée. Son principe : stocker les informations dans un réseau d’ordinateurs. Par exemple, le nombre de solarcoins, leurs détenteurs et les contrats passés entre eux. Ces informations sont échangées selon un protocole de communication spécifique, et sécurisé, dans lequel les transactions sont regroupées par blocs. Si cette technologie est autant prise au sérieux, c’est parce qu’elle remet en cause le rôle de tiers de confiance. Traditionnellement, beaucoup de secteurs s’appuient sur des intermédiaires, comme les banques dans la finance. Avec la blockchain, l’idée est d’instaurer un système horizontal où chacun peut interagir avec tout le monde. Sans intermédiaires ni organe de contrôle central. Le dispositif se veut transparent : chaque utilisateur peut accéder à l’historique des échanges. La confiance est assurée par un protocole de vérification aux nœuds du réseau et l’utilisation de clés cryptographiques. Comme les bitcoins, les solarcoins peuvent ainsi être directement échangés de pair à pair. Au sommet de l’État, la blockchain est un sujet suivi de près. « Nous sommes encore dans le brouillard, reconnaît-on au ministère des Finances. Mais nous le savons déjà, des adaptations de la réglementation seront nécessaires. Nous souhaitons que la France fasse partie de ceux qui fixeront les règles du jeu. »Thomas Blosseville