C’est peu dire que Ségolène Royal a surpris son monde en annonçant mi-novembre les contours de la quatrième période du dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE). La ministre de l’Environnement a fixé elle-même l’objectif 2018-2020 alors que la concertation battait son plein (voir notre article sur le projet de décret). Les énergéticiens devront financer de nouvelles opérations d’isolation, de remplacement d’éclairage ou d’optimisation de procédés industriels pour parvenir à une économie d’énergie finale cumulée et actualisée (Cumac) de 1?600 TWh. Dont 400 « au bénéfice des ménages en situation de précarité énergétique ». À quelques mois des élections, il semblait peu probable que les choses aillent si vite et tout le monde s’était rangé à l’idée que la troisième période serait prolongée d’un an, y compris la direction générale de l’Énergie et du Climat (DGEC).Les spécialistes de l’efficacité énergétique et les professionnels du secteur sont un peu vexés de ne pas avoir été associés aux réflexions jusqu’au bout. Mais, l’orgueil mis de côté, ils sont surtout soulagés car « cet objectif ambitieux vient sauver une fin de troisième période pour laquelle les acteurs obligés étaient en roue libre, la plupart ayant déjà quasiment atteint leur objectif », note Thomas Duffes, spécialiste de la maîtrise de l’énergie chez Amorce. Certes, le chiffre annoncé est dans la fourchette basse de l’étude de gisement effectuée par l’Ademe préalablement à chaque période. Mais personne n’a oublié qu’il y a trois ans, les propositions de l’agence avaient purement et simplement été snobées.Cette fois-ci, le dispositif semble définitivement entré dans le paysage énergétique. Et sa montée en puissance est indéniable, puisque l’objectif a été doublé. « Nous avons à nouveau de la visibilité pour relancer des projets », se réjouit Hugues Sartre, responsable des affaires publiques chez Geo PLC. Ce qui ne veut pas dire que tout le monde va repartir sur les chapeaux de roue. Au mois d’août 2016, le prix de marché des certificats est descendu à 1,25 euro le mégawattheure Cumac. Un an auparavant, il était à 2,75 euros. À la même époque en 2014, à plus de 3 euros. En 2012, à près de 4,50 ! Cette longue décrue a fait des dégâts. Et une question brûle les lèvres des industriels, des artisans et surtout des ménages : le jeu en vaut-il toujours la chandelle ? « Les certificats dans le secteur résidentiel représentaient 80 % du volume total en deuxième période pour 50 % aujourd’hui, compare Hugues Sartre. Souvent, ça ne vaut plus le coup de monter les dossiers. »À cela s’ajoutent les délais de paiement de plus en plus longs, car la léthargie du marché pousse les détenteurs de CEE à les conserver jusqu’à des jours meilleurs. « Depuis plusieurs années, nous proposons des ventes groupées pour aider les petites collectivités à avoir des offres plus intéressantes », explique Guillaume Perrin, chef du service des réseaux de chaleur et de froid à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). Sauf qu’en 2014, du fait des prix, seuls 60 % du lot ont été vendus. En 2015, le chiffre était encore plus faible et, en 2016, la fédération a préféré thésauriser. « Nous estimons qu’entre 3 et 3,50 euros, le prix est à un niveau confortable ; qu’autour de 2,50 euros, il reste pertinent ; mais au-dessous… »En attendant que la quatrième période relance la dynamique, les spécialistes des CEE ont profité du bol d’air apporté au début de l’année 2016 par une nouvelle obligation faite aux énergéticiens : aider les ménages précaires à mieux maîtriser leurs dépenses à hauteur de 150 TWh Cumac sur deux ans. Ce qui a conduit de fait à la création d’un deuxième marché dont le prix, proche de 5 euros le mégawattheure, a ravivé certaines fiches de travaux éligibles aux CEE. Deux opérations en particulier : la fourniture de lampes performantes et l’isolation de combles. Sur ces deux sujets, les ménages les plus précaires se voient proposer des offres gratuites, ou dont le prix est symbolique, par des structures qui se financent en générant des certificats. Chez Objectif EcoEnergie par exemple, cinq ampoules leds sont envoyées à ceux qui en font la demande sous conditions de revenus. Le gisement est énorme. Selon la grille de l’Agence nationale de l’habitat, 12 millions de Français, soit un ménage sur cinq, sont considérés comme précaires ou très précaires. Ce sont ces derniers qui bénéficient de l’offre sur les lampes, car ils ont le droit à deux fois plus de CEE que les autres. « Nous travaillons en parallèle avec plusieurs collectivités, comme Pau, Brest ou Châteauroux, qui gèrent directement la distribution des lampes, indique Benoit Cheze, directeur de l’entreprise. Cela réduit nos coûts et nous permet de toucher aussi les ménages dits précaires ». Chez Geo PLC, qui propose dix ampoules de plus pour 1 euro, Hugues Sartre estime que le dispositif remplit ainsi parfaitement son rôle : « Les gens ignorent toujours qu’il faut désormais parler en lumens et non plus en watts. Nous offrons aujourd’hui des ampoules que je vois à 12 euros en magasin. Je sais très bien combien nous les payons et ce n’est pas ce prix-là. Les CEE ont un vrai rôle à jouer pour faire évoluer le marché. »Olivier Descamps