Depuis 2001, les cendres sorties des chaudières à écorces de l'usine d'International Paper (IP) à Saillat-sur-Vienne (Haute-Vienne) sont épandues sur 700 ha avoisinants. Le périmètre épandable est huit fois plus grand : il compte 5 800 ha de terres agricoles aux confins de la Charente et de la Haute-Vienne. La passerelle entre le monde industriel et agricole a été jetée en octobre 2000, avec la création de Cendrecor, une association qui regroupe les chambres d'agriculture de la Charente et de la Haute-Vienne, le papetier et 71 agriculteurs. Fin 2007, 17 nouveaux adhérents l'ont rejointe.
Aujourd'hui, après une période d'observation, voire de scepticisme de la part des agriculteurs, la structure a atteint sa vitesse de croisière. « La plupart d'entre nous sommes engagés dans des chartes de qualité avec des cahiers des charges très stricts. Pour ne pas prendre de risques, nous avons soumis le projet à nos certificateurs », rappelle Ernest Sorin, éleveur et président de Cendrecor. Une enquête d'utilité publique a ensuite été lancée, des tests sur épandeurs réalisés et des outils de suivi logistique et agronomique mis en place, pour finalement aboutir à l'arrêté préfectoral donnant le feu vert.
Remontée de pH
C'est IP qui est à l'origine du projet. « En 1997, nous avons mis notre politique de gestion des déchets à plat. Nous voulions réduire le volume stocké dans notre centre d'enfouissement technique pour que sa durée de vie égale celle de notre site de production, soit quarante ans. Il fallait réduire le volume de plus de la moitié et trouver des pistes de valorisation », se souvient Jean-Bernard Voisin, chargé de l'environnement chez International Paper. L'opération concerne aujourd'hui 9 000 t de cendres par an. Associée à la valorisation énergétique de 20 000 t de déchets internes par an, elle a permis de diminuer de 60 % la quantité de déchets stockés.
Mais avant d'en arriver là, une étude a été conduite entre 1998 et 2000 avec les chambres d'agriculture, des agriculteurs volontaires et les associations de protection de l'environnement locales. Elle a montré que le carbonate de calcium et la potasse contenus dans les cendres étaient capables de réduire l'acidité des sols au pH moyen de 5. « Les cendres, qui apportent du calcaire et de la potasse, alliées à l'apport de fumier et de compost, riches en azote et en phosphore, améliorent la qualité du sol. Après deux apports, les pH sont remontés à une moyenne de 6,5. Nous avons aujourd'hui de belles prairies produisant des fourrages de qualité. Les cendres sont aussi une solution pour des agriculteurs n'ayant pas les moyens de supporter le coût élevé des amendements classiques », précise Yann Quemener, animateur de Cendrecor et conseiller agricole à la chambre d'agriculture de Charente.
Fin 2007, IP a investi dans une centrifugeuse, qui a permis d'envoyer en plus à l'épandage le carbonate de chaux, en le séparant d'autres sous-produits, soit un flux complémentaire de 5 000 t/an. Normalisé et considéré comme un produit, le carbonate de chaux a l'avantage de pouvoir être épandu sur des parcelles interdites aux cendres. Car les cendres ne sont pas bienvenues partout : certaines terres trop proches de cours d'eau ou de zones d'habitations ne peuvent les accepter car ces matières ont le statut de déchet. Juridiquement responsable, même après valorisation agricole, IP finance l'animation, le transport et les trois quarts de l'épandage des cendres. Les agriculteurs paient le gros quart restant, soit 47 000 euros sur un budget global annuel de 140 000 euros.