Vu la conjoncture, il est difficile d'être op timiste. » Directeur de l'activité ferrailles chez Derichebourg, François Selton résume l'état d'esprit d'une filière fortement impactée par la crise. « Les sidérurgistes ont du mal à placer leurs produits finis donc la demande s'en ressent », explique-t-il. Voilà pour l'impression générale. Le secteur n'est pas pour autant sinistré. Selon le cabinet I + C, le chiffre d'affaires de 800 entreprises françaises représentatives a même augmenté de 26 % entre 2010 et 2011. Sur l'exercice précédent, la croissance avait atteint 68 % après une année 2009 en chute libre (-50 %). Les chiffres récents sont un peu moins bons. En juin 2012, 128 millions de tonnes d'acier sont sorties des fours à l'échelle mondiale, soit l'équivalent de la production 2011 à la même époque, d'après une étude de Worldsteel. En France, la décroissance est de 2 % selon la fédération française de l'acier, mais si l'on prend en compte le premier se mestre dans son intégralité, la filière électrique affiche une production en légère hausse (3,2 %). Or, c'est elle qui valorise l'essentiel des ferrailles de récupération.
Des prix à la baisse
Dans sa première note trimestrielle de l'année, Federec relève que la commer cia li sa-tion des ferrailles a même progressé de 7 % entre début 2011 et début 2012… Des évolutions qui ne compensent toutefois pas les effondrements connus il y a quelques années. La production d'acier reste 15 % inférieure à celle du premier semestre 2008 ! En outre, l'année 2012 ne s'annonce pas très bonne. Ces fluctuations du marché impactent le prix des ferrailles. Heureusement pour les recycleurs, le phénomène est sans doute plus limité que pour d'autres matières. La volatilité des prix des métaux non ferreux est plus marquée, par exemple. Et pour cause. En matière de ferrailles, l'offre et la demande sont corrélées. L'une comme l'autre sont très liées à la conjoncture. « Si les ventes de voitures diminuent, la production in dustrielle ralentit et il y a forcément moins de chutes industrielles à recycler », illustre Maxime Lautard, dirigeant de l'entreprise familiale de négoce de métaux FML. Une remarque tout aussi valable dans le secteur du bâtiment ou dans le reste de l'industrie.
En janvier 2011, les prix ont connu un boom avant de revenir à niveau en février et de se dégrader au deuxième semestre (de 15 %). Ils ont ensuite rebondi en décembre et au début de l'année, si bien qu'entre les trois premiers mois de 2011 et ceux de 2012, la matière première recyclée a perdu 7 % d'après Federec (contre 20 % pour le minerai de fer). Tout récemment, « le marché était à la baisse d'avril à juillet, avec des volumes d'échanges as sez faibles, ce qui a provoqué une légère hausse des cours sur le mois d'août, mais le marché reste très calme », selon Corine Buffoni, porte-parole de GDE. « La hausse du début d'année peut même être vue comme un artifice de marché, précise Damien Rohmer, chargé de mission chez Federec. C'est une pé riode où l'on a tendance à déstocker pour des raisons comptables. »
L'acier recyclé progresse
S'il est « difficile aujourd'hui de faire une projection à trois ou six mois », avance Maxime Lautard et si « la tendance baissière concerne toutes les catégories de ferrailles de ré cupération », note Damien Rohmer (des tournures d'usinage aux ferrailles de démolition massive), l'activité pourrait connaître un petit rebond assez rapidement. « Le prix des chutes neuves a diminué du fait de la réduction d'activité des hauts fourneaux et parce que la sidérurgie de vait avoir ses propres chutes, analyse François Selton. De puis quelques mois, cela chan ge. Les aciéristes reviennent sur le marché. »
Le monde du recyclage est plutôt optimiste pour ce qui est de l'évolution à long terme de l'activité. « La proportion d'acier électrique est appe lée à augmenter », affirme Damien Rohmer. Alors que les dépenses énergétiques sont désormais au cœur des préoccupations, les modes de production traditionnels à base de minerai pourraient rapidement être montrés du doigt. « N'oublions pas que le plus grand consommateur d'électricité en France est un producteur d'acier », poursuit le représentant de Federec. Et bien qu'on ne puisse pas écarter d'un revers de main la question sociale qui se pose avec l'arrêt de certains hauts fourneaux, « ce n'est pas si négatif, pour Olivier François, directeur du développement et de l'environnement chez Galloo. Leurs remplaçants, c'est nous. Quand on fait de l'acier avec de l'acier plutôt qu'avec du minerai, on gagne 1,4 tonne de CO 2 par tonne de matière produite ».
Pas de révolution avec la sortie du statut de déchet
Le commissaire européen à l'environnement, Janez Potocnik, relève que 42 % de l'acier et du fer européens sont issus du recyclage et que ce taux pourrait être porté à 55 %, notamment en limitant les exportations de ferrailles de récupération qui pour 2011 se sont élevées à 3,73 millions de tonnes (contre 12,5 millions de tonnes utilisées par la sidérurgie française). À l'instar des discussions qui opposent producteurs et collecteurs sur le marché du papier carton recyclé, la question des débouchés des ferrailles est parfois sensible. « Les sidérurgistes et les recycleurs doivent trou ver des règles communes qui permettent de mieux s'adapter à la demande », estime Hervé Bourrier, président d'Arcelor-Mittal France et vice-président de la Fédération française de l'acier. Le monde de la collecte, du tri et de la préparation de matière recyclée ne dit pas le contraire, ne cherchant pas à exporter à tout prix. Toutefois, « la fi lière a besoin des échanges internationaux, pointe Olivier François. Les ventes extra européennes en particulier ne représentent que 6 à 7 %, mais elles sont utiles pour ne pas nous faire dicter les prix ».
À ce titre, l'entrée en vigueur de la sortie du statut de déchet arrive à point nommé. Issue de la directive-cadre sur les déchets du 19 novembre 2008, elle ne change pas grand-chose dans les faits. Même si elle demande quelques ajustements aux recycleurs et les pousse vers la certification et davantage de contrôle qualité. « Cette mesure est une validation symbolique d'une pratique existante. On a toujours fermé les yeux sur le fait que pour les ferrailles, on a pratiqué cette sortie de statut de dé chet sans le dire », analyse le directeur du développement de Galloo. Néanmoins, la mesure est « une vé ri table assurancevie ». Explication : alors qu'un retour au protectionnisme se dessine en Europe sur fond de crise de l'emploi, les pouvoirs publics pourraient être tentés de limiter les exportations pour privilégier l'industrie locale, par exemple sous couvert de réglementation environnementale. Avec les règles de concurrence imposées par l'OMC, « on ne pourra pas nous empêcher de vendre des métaux sortis du statut de déchet », se félicite Olivier François.
Des effets néfastes des primes à la casse
Au niveau international, les pays les plus demandeurs de ferrailles sont ceux qui affichent les meilleurs taux de croissance : la Chine, l'Inde… La Turquie est le « principal animateur du marché », estime-t-on chez Federec. Le pays a importé plus de 21 millions de tonnes en 2011, la France représentant 1,5 % du total, en repli par rapport à 2010. Principal débouché des ferrailles françaises du fait de ses nombreuses aciéries électriques et de ses capacités de réexport, l'Espagne n'est en revanche pas au mieux. Les flux qui prennent le chemin de la péninsule ibérique ont diminué de 6,3 % entre 2010 et 2011. Autre client d'importance, l'Italie suit un peu le même chemin.
Sur le marché français, les ferrailleurs ne sont pas partisans de dispositifs qui augmentent artificiellement la demande pour doper leur volume d'affaires. La dernière prime à la casse, obtenue durant la précédente mandature, était une demande d'une industrie automobile bien impuissante à enrayer l'érosion des ventes de véhicules neufs. « Nous, on ne nous a pas demandé notre avis », regrette Olivier François . Et comme la balladurette ou la jupette dans les années 90, l'afflux massif de VHU (avec un triplement, voire un quadruplement des flux habituels) a totalement déstabilisé la filière. D'abord parce qu'il a fallu s'adapter avec des frais de parking (notamment en Île-de-France), des empilements de véhicules qui compliquent le recyclage, un recours à des collaborateurs moins expérimentés et une accélération du rythme de démontage avec des pièces perdues. Ensuite, parce que le retour à la normale a créé un contrecoup, provoquant soudainement chômage technique et baisse des ton nages de matière… Au final, de nombreux opérateurs y ont laissé des plumes !
Un tri de plus en plus fin
Parmi les survivants, l'heure est à la consolidation. S'il y a un phénomène de concentration général dans le monde du déchet, « il est encore plus marqué dans le traitement des métaux, note Corine Buffo-ni. L'activité est très ca pi ta lis tique avec des investissements nécessaires dans le broyage et le post-broyage et des sépara tions de plus en plus complexes qui permettent d'aller cher cher des métaux et des élé ments plastiques qui jusque-là n'étaient pas valorisés ». GDE a par exemple investi 15 millions d'euros l'année dernière sur son site de Rocquencourt pour affiner le traitement de ses résidus de broyage de VHU et de DEEE. Et en Meurthe-et-Moselle, l'entreprise a parallèlement développé une plateforme pour mieux valoriser les véhicules hors d'usage. Elle a obtenu un taux de recyclage matière et de valorisation de 93,8 %. Le droit européen exige que ce taux soit porté à 95 % en 2015.
Une question de qualité ?
Ce travail de préparation au tri concerne toutefois essentiellement les métaux non ferreux. Dans les VHU, les 70 % de métaux ferreux sont la plupart du temps déjà recyclés. « Après broyage, on récupère aussi facilement les matières métalliques des DEEE. La per formance est peut-être moins bonne pour les ferrailles d'in cinération, et encore », souligne François Selton. Côté investissement, même si tous les groupes restent à l'affût des opportunités, l'heure n'est donc pas aux dépenses massives. « La profession est sur é qui pée », estime même le directeur de l'activité ferrailles de Derichebourg.
De nouveaux progrès techniques et organisationnels devraient toutefois permettre d'améliorer la qualité de la matière. Au plus grand bonheur des aciéristes qui pestent parfois contre la présence de résidus non désirés : des déchets stériles (des pierres ou des morceaux de plastique par exemple), du soufre issu de radiateurs, du phosphore, des huiles… « La ferraille de récupération n'est pas un ensemble homogène ni un produit normalisé. Elle se caractérise par son origine, sa traçabilité, son mode de pré paration, les conditions clima tiques et l'exigence du client. Globalement, on constate une dégradation de la qualité des ferrailles, notamment depuis le développement de l'expor tation vers des clients moins exigeants », constate Hervé Bourrier. « Les discussions sur la qualité sont réelles. Ce sont toutefois des relations clas siques entre clients et four nisseurs, tempère Damien Rohmer. Il existe d'ailleurs un groupe de travail pour faire évoluer les normes. Nous en sommes partie prenante, mais voulons des discussions au niveau européen. » En attendant, les acheteurs sont parfois moins regardants qu'ils le laissent entendre lorsqu'ils ont besoin de matière à recycler.