L'euphorie est retombée. Les métiers verts ne sont plus vus comme la manne d'emplois de la décennie. Plus personne ne pense qu'ils créeront d'ici à 2020 les 600 000 postes avancés par le gouvernement il y a quatre ans, en référence à une étude du cabinet Boston Consulting Group. Entre 2007 et 2010, période favorable, les professions vertes ont embauché 8 000 personnes, selon le suivi annuel de l'Observatoire national des emplois et métiers de l'économie verte qui regroupe les principaux acteurs du sujet autour du Commissariat général au développement durable (CGDD). Pour la catégorie des métiers verdissants, au périmètre plus élastique, la fourchette des effectifs n'a pas fondamentalement bougé.
Depuis, une crise économique est passée, et le marché des énergies renouvelables n'a pas tenu toutes ses promesses de croissance, en particulier le photovoltaïque qui a connu quelques mésaventures. Autre constat dressé : les vrais nouveaux métiers verts sont une denrée rare. Et si développement il doit y avoir, il viendra surtout de l'adaptation de métiers traditionnels qui se feront « verdissants », en intégrant les enjeux d'envi ron nement et plus largement de développement durable. Des évolutions par petites touches, difficiles à repérer pour adapter la formation, initiale ou continue.
Toutes ces conclusions, cinq régions sont bien placées pour les partager et les affiner. L'Alsace, les Pays de la Loire, le Nord-Pas-de-Calais, la Corse et la Réunion se sont engagées entre 2011 et 2013 dans l'Expérimentation plan métiers de l'économie verte en réponse à l'appel de Valérie Létard, alors secrétaire d'État auprès du ministère de l'Écologie.
L'exercice leur a d'abord permis de dresser un état des lieux régional du nombre d'emplois et des profils en se référant à la nomenclature nationale tout juste créée (lire encadré ci-contre et Repères). Puis de déployer des plans d'action, le plus souvent le « verdissement » des offres de formation, en donnant la priorité à quelques filières en rapport avec leur tissu économique : tourisme, biodiversité, agriculture et énergies renouvelables à la Réunion par exemple.
En Alsace, le travail statistique préalable a permis de se focaliser avant tout sur les professions verdissantes, puisqu'elles sont… 34 fois plus représentées que les métiers verts : 114 100 salariés d'un côté (données 2009), 3 300 de l'autre. Le Nord-Pas-de-Calais, lui, dénombre entre 210 000 et 230 000 actifs pour les deux catégories confondues, dont 9 000 emplois verts. Coordinateur de l'expérimentation, son Centre régional de ressources pédagogiques (CR2P) s'est livré à l'exercice prospectif d'évaluation du gisement d'emplois supplémentaires à l'horizon de 2020 dans trois des quatre filières prioritaires : bâtiment, recyclage-traitement des déchets, énergies renouvelables (la quatrième étant le transport durable). Il parvient à un total de 29 700 équivalents temps plein (ETP) de plus, dont 25 500 dans le bâtiment, soit une croissance de 14 %. « Nous avons retenu un scénario volonta riste mais mesuré, moins optimiste que le schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie », souligne Morgane Peynen, chargée de mission au C2RP pour les métiers de l'économie verte. À voir si cette prévision se confirmera dans le temps. L'étude révèle en tout cas que les gisements de nouveaux emplois se trouvent d'abord dans le bâtiment, qui en concentre 85 %, avec une majorité dans la rénovation énergétique, bien avant les énergies renouvelables (5 %). La Région entend identifier d'ici à la fin de l'année les formations prioritaires que révèlent son minutieux travail d'analyse. Et susciter des initiatives au sein de chaque secteur professionnel, désormais bien au fait des enjeux.
Sous la coordination de son Office de l'environnement (OEC), la Corse a retenu la fonction publique territoriale, le BTP, les transports, le traitement des déchets, l'économie sociale et solidaire, le tourisme (20 % de l'emploi, soit 15 000 salariés, premier employeur de l'île), les énergies renouvelables et l'agriculture-pêche. Une convention 2012-2015 entre l'OEC et le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) diffuse le développement durable dans l'essentiel des formations que l'organisme national organise sur l'île pour les quelque 10 000 agents territoriaux de toutes catégories. « Nous intervenons dans les sessions pour souligner comment le développement durable s'intègre aux différentes politiques publiques régionales, celles qui en sont imprégnées par nature (collecte-traitement des déchets, production d'eau potable, traitement des eaux usées, lutte contre les nuisances sonores et les pol lutions…) et toutes les autres. Le partenariat introduit aussi des formations très opérationnelles, par exemple à l'entretien des espaces verts sans pesticides », décrit Marie-Ange Saliceti, chargée du développement durable à l'OEC. Dans les autres filières, l'analyse des quelque 128 formations disponibles sur l'île ou sur le continent a surtout permis de cerner les chantiers d'amélioration : créer les formations qui manquent en Corse, comme le montage de produits touristiques « durables », adapter les cursus pour, par exemple, transmettre aux jeunes pêcheurs les bonnes pratiques de gestion raisonnée de la ressource, etc. Leur mise en œuvre incombera dans les prochaines années à une plate-forme de formation à la croissance verte.
La Région Pays de la Loire est déjà entrée dans une phase opérationnelle. Édité en 2012, son Guide des compétences vertes recense 55 formations intégrant le développement durable, avant sa réactualisation d'ici au début de 2015, dans les trois filières retenues de l'agriculture, du bâtiment et de l'industrie. « Nous avons choisi cette der nière pour bien souligner que les métiers verts ne se concentrent pas dans les seules éco-activités », souligne Christelle Cardet, conseillère régionale chargée des métiers de demain. Sept formations originales ou pointues sont en train de décrocher leur inscription au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), la bible interministérielle des titres et diplômes officiellement reconnus. « Nous voulons ainsi faire reconnaître leur légitimité sur le marché du travail », commente l'élue. La liste comprend le technicien chargé de la qualité des milieux aquatiques, le vendeur spécialisé en bio, le coordinateur en recyclage industriel et l'écopaysagiste.
En Alsace, le conseil régional mettra en ligne en juin Eco Pro, son portail des métiers de l'économie verte. Il décrira toute une série de professions et proposera un lien vers les formations d'une part, les offres d'emploi d'autre part. Par ailleurs, la première Journée d'information sur les métiers verts a réuni en février dernier les nombreux relais de l'orientation sur lesquels la collectivité compte pour attirer jeunes et demandeurs d'emploi dans ces filières : conseillers d'orientation de l'Éducation nationale, intervenants des missions locales pour l'emploi, Pôle emploi, accompagnateurs de l'insertion. « Nous intégrons aussi l'environnement et le développement durable dans les contrats d'objectifs pour la formation que nous signons avec les branches professionnelles afin que les organismes de formation adaptent leur offre », ajoute Martine Calderoli-Lotz, vice-présidente du conseil régional en charge de la formation professionnelle. Après le bâtiment, l'agriculture et les services automobiles, les trois secteurs prioritaires de l'expérimentation sur les métiers verts, l'industrie agroalimentaire verra son tour venir dans les prochaines semaines.
En parallèle, 33 bassins de territoire en France ont lancé des initiatives autour des Maisons de l'emploi et de la formation dans le cadre d'un partenariat entre leur structure chapeau, Alliance villes emploi et l'Ademe. Ces expérimentations régionales et locales se sont poursuivies alors que le nouveau gou ver-nement a mis en sommeil leur déclencheur, le Plan de mobilisation pour les emplois et les métiers dans l'économie verte de 2010, sorte de séance de rattrapage pour l'emploi après son oubli par le Grenelle. Au ministère de l'Écologie, on insiste cependant sur le fait que les actions se poursuivent « dans le droit commun des dispositifs ». Et qu'au-delà des changements de sémantique, l'emploi-formation « trouve toute sa place dans les outils de la stratégie de transition écolo gique, à commencer par la prochaine loi de program mation de la transition énergétique ». Preuve de continuité mise en avant, le ministère et son homologue du Logement ont reconduit, fin 2013 pour quatre ans, le dispositif Feebat (formation aux économies d'énergie des artisans et des entreprises du bâtiment) pour un montant de 50 millions d'euros cofinancés par EDF en échange de certificats d'économie d'énergie. Ceci « afin de l'accélérer ». L'objectif porte sur la « qua lification de plus de 25 000 professionnels par an » jusqu'en 2017, alors que la première phase s'achève sur un bilan mitigé : un peu plus de 53 000 stagiaires formés en cinq ans alors que ce nombre devait être atteint en un à deux ans. À l'échelle nationale et interprofessionnelle, l'opération la plus complète de verdissement des formations émane sans doute de l'Association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) avec son programme triennal Devin vert de 23 millions d'euros (55 % du Fonds social européen de l'UE). Achevé en juin 2013, il a refondu 160 formations de tous niveaux… et envoyé 7 000 formateurs maison en séances de perfectionnement sur le développement durable.
Miser sur l'adaptation des métiers, comme le fait l'Afpa, paraît l'approche la plus sûre pour trouver ou conserver un job vert. A contra rio, partir la fleur au fusil à la quête d'un emploi vert fort d'une casquette d'expert surdiplômé en dé ve lop pement durable expose à de sacrées désillusions. « Il y a un gros décalage entre les profils des candidats et les attentes des entreprises. Celles-ci recherchent non pas un généraliste du développement durable, mais un spécialiste d'un autre domaine qui puisse intégrer les composantes du DD. En clair, l'acheteur durable dans la grande distribution reste un acheteur, dont on attend d'abord la maîtrise des coûts. Ce qui peut déclencher des malentendus, voire un vrai mal-être au travail », prévient Jean-Philippe Teboul, directeur du cabinet de recrutement Orientation durable. Dans les éco-entreprises, la recherche d'emplois verts porte sur des spécialités complémentaires ou transverses, selon Hélène Valade, directrice dé ve lop pement durable de Suez Environnement et présidente du C3D (collège des directeurs du DD). « Dans le trai tement de l'eau potable et des eaux usées, nous déve loppons des compétences complémentaires en amont du cœur de métier, sur la protection de la ressource, ou en aval sur l'impact des rejets sur la biodiversité. Nous recherchons aussi des personnes qui puissent se situer à l'interface des métiers, par exemple entre déchets et énergie pour trouver de nouveaux modes d'alimen tation des réseaux de chaleur urbains. En somme, des candidats au profil pluridisciplinaire, en mesure de développer une vision systémique. C'est évidemment un défi pour la formation initiale qui fonctionne selon un modèle de disciplines plus cloisonnées. »
Quant aux gisements de nouveaux emplois, ils semblent cantonnés à quelques niches : diagnostiqueur de la qualité de l'air, écologue et hy dro-logue, technicien en efficacité énergétique des pro-cess industriels… Les Pays de la Loire misent sur l'éolien offshore, identifié comme secteur d'avenir au même titre que l'aéronautique et la construction navale dans une stratégie régionale Compétences 2030. « La mobilité durable, les smart grids ou la biodiversité présentent aussi du potentiel, poursuit Jean-Philippe Teboul. Pour l'instant, les offres restent marginales. Mais parfois, il suffit que deux ou trois acteurs embrayent sur un domaine pionnier pour qu'une activité décolle. Le propre des métiers verts finalement, c'est l'incertitude à prédire leur évolution à l'horizon de dix à quinze ans. » l