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LA RÉDACTION, LE 1er MAI 2014
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Tandis que Vauban érigeait des fortifications pour protéger des villes portuaires, aujourd'hui en raison du manquement de cohérence de certaines dispositions législatives et réglementaires, c'est la jurisprudence qui édifie des remparts. La desserte maritime de l'île Saint-Honorat au large de Cannes constitue un exemple de situation dans laquelle le droit de la concurrence et le droit de propriété s'affrontent, avec en toile de fond un débat sur les conditions d'occupation du domaine public. Après le Conseil d'État (1) et le Conseil de la concurrence (2) (aujourd'hui Autorité de la concurrence), la Cour de cassation vient de se prononcer pour la seconde fois (3) sur le litige qui oppose notamment un armement maritime à la Congrégation des cisterciens de l'Immaculée Conception et à la société d'armement que celle-ci a créée, la compagnie de transport Planaria. Si le Conseil d'État et le Conseil de la concurrence, citant les moyens soutenus par la congrégation propriétaire de l'île, évoquent la nécessité de respecter la tranquillité monastique ou le caractère privé et religieux de l'île, les arrêts de la Cour de cassation ne contiennent aucune référence de cette nature et se bornent à statuer sur la protection du droit de propriété de l'île appartenant à la congrégation. L'objet du litige porte sur l'exclusivité de la desserte maritime de l'île Saint-Honorat par la société unipersonnelle Planaria, dont l'actionnaire est la Congrégation des cisterciens de l'Immaculée Conception. Seuls les navires affrétés ou appartenant à cette société peuvent accoster sur le ponton établi sur le domaine public maritime sous le régime d'une autorisation d'occupa-tion temporaire. Le développement touristique de l'île avec l'exploitation d'un restaurant, d'un centre de conseil en formation d'entreprise, d'un snack et d'une boutique a entraîné une augmentation significative du flux des visiteurs. Un armement concurrent de la société Planaria estimait que la congrégation abusait d'une position dominante en exploitant la desserte maritime de l'île dans le cadre d'un monopole de fait, et revendiquait le droit d'utiliser le ponton permettant le débarquement et l'embarquement des passagers. L'existence d'un ouvrage d'accostage sur le domaine public maritime ne saurait avoir pour effet de justifier la liberté d'accès à la propriété de la communauté religieuse. I. Les conditions d'occupation du domaine public et du ponton Le Conseil d'État a jugé que « rien n'empêche celle-ci (la congrégation) de fermer l'accès à sa propriété privée pour empêcher toute personne débarquée sur l'île d'accéder sans son autorisation à l'intérieur de sa propriété et qu'il ne peut être dit que débarquer sur le domaine public maritime est une atteinte à la propriété privée » (4). Une telle conclusion mérite d'être commentée, car le ponton permettant l'accostage des navires à passagers, bien que construit sur le domaine public, n'en fait pas partie. Il résulte d'une jurisprudence constante que l'occupant du domaine public est propriétaire des ouvrages qu'il a réalisés, et ce, pendant la durée de l'autorisation domaniale (5), sauf si l'ouvrage est nécessaire au fonctionnement du service public (6). Malgré l'exploitation d'établissements commerciaux sur l'île, en l'absence de contrôle régulier de l'État sur les activités en résultant, il n'y a pas lieu de considérer que l'on est en présence d'un service public touristique (7). La congrégation est cependant susceptible de se trouver dans la situation jugée par le Conseil d'État selon laquelle : « Lorsqu'une personne privée exerce, sous sa responsabilité et sans qu'une personne publique en détermine le contenu, une activité dont elle a pris l'initiative, elle ne peut, en tout état de cause, être regardée comme bénéficiant de la part d'une personne publique de la dévolution d'une mission de service public ; que son activité peut cependant se voir reconnaître un caractère de service public, alors même qu'elle n'a fait l'objet d'aucun contrat de délégation de service public procédant à sa dévolution, si une personne publique, en raison de l'intérêt général qui s'y attache et de l'importance qu'elle revêt à ses yeux, exerce un droit de regard sur son organisation et, le cas échéant, lui accorde, dès lors qu'aucune règle ni aucun principe n'y font obstacle, des financements. » (8) Même si la gestion des activités touristiques de l'île Saint-Honorat relevait du service public, la desserte maritime par les navires de la société Planaria n'en ferait pas partie. Selon la Cour de justice : « Toutes les lignes de cabotage ne constituent pas nécessairement des lignes exigeant des obligations de service public, un tel régime n'est permis que si les autorités compétentes ont constaté, pour chaque trajet concerné, l'insuffisance des services réguliers de transport dans le cas où la prestation de ceux-ci serait laissée aux seules forces du marché et si ce régime est nécessaire et proportionné au but consistant à assurer la suffisance des services de transport régulier à destination et en provenance des îles. » (9) II. La desserte portuaire Peut-on considérer que l'accostage des navires de la société Planaria sur le ponton de l'île Saint-Honorat constitue une desserte portuaire ? Il n'existe pas en droit français de définition juridique du port. Le Conseil d'État a jugé à propos de l'amarrage de quelques embarcations de plaisance sur un ouvrage de défense contre la mer que celui-ci constituait une petite installation portuaire (10). Des ouvrages affectés à la plaisance, construits sous le régime de l'autorisation d'occupation temporaire du domaine public peuvent constituer un port (11). La Cour de justice considère qu'un port comprend des infrastructures, même de faible importance, dont la fonction est de permettre l'embarquement et le débarquement des marchandises ou des personnes utilisant le transport maritime (12). L'avocat général M. A. Tizzano avait conclu dans cette affaire que « ce n'est pas tant la dimension de la structure qui permet de distinguer la notion en cause, mais plutôt la fonction de ladite structure, à savoir son aptitude à permettre, par voie d'embarquement et de débarquement, le transport par mer de marchandises ou de passagers ». Le Conseil d'État a encouragé l'unité de gestion d'un port en admettant que des ouvrages réservés à une flottille de pêche situés à proximité de pontons destinés à l'amarrage des navires de petite plaisance, formaient un ensemble desservi par un chenal commun, et constituaient un port unique (13). Dans le cas de l'île Saint-Honorat, l'appontement pour l'accostage des navires à passagers est situé à proximité d'un port abri de plaisance. Il semble légitime que l'ouvrage fasse partie du port municipal. On peut citer l'exemple du port de la marina de la pointe du Bout (Martinique) qui a été intégré dans la limite administrative du port de Fort-de-France situé de l'autre côté de la baie (14). Il convient de reconnaître qu'un port accueillant des navires transportant à la fois des passagers et des marchandises justifie l'application de l'article 70 du Code des douanes disposant que : « Sauf cas de force majeure dûment justifié, les navires ne peuvent accoster que dans les ports pourvus d'un bureau de douane. » L'absence d'un tel service sur l'île Saint-Honorat ne saurait suffire à écarter l'existence d'un port. L'exclusivité de l'accostage des navires de la société Planaria est en tout état de cause contraire à la jurisprudence du Conseil d'État selon laquelle : « s'il appartient aux collectivités et personnes morales publiques, auxquelles sont affectées ou concédées les installations des ports maritimes, de permettre l'accès aussi large que possible des armements à ces installations, elles n'en sont pas moins corollairement en charge de fixer, par une réglementation adaptée à la configuration des ports concernés, des conditions d'utilisation de ces installations propres à assurer la sécurité des usagers et la protection des biens du domaine public maritime ; qu'en outre, si ces mêmes collectivités et personnes morales publiques ne sont autorisées par aucune disposition législative à consentir aux entreprises chargées d'un service public de transport maritime le monopole de l'utilisation des ouvrages portuaires et, dès lors, en l'absence de circonstances exceptionnelles à réserver à ces entreprises l'exclusivité de l'accès aux installations portuaires, il leur appartient, dans des limites compatibles avec le respect des règles de concurrence et du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, d'apporter aux armements chargés d'un tel service public l'appui nécessaire à l'exploitation du service et, le cas échéant, de leur accorder des facilités particulières pour l'utilisation du domaine public » (15). III. La conciliation du droit de propriété avec le droit de la concurrence Si le fonctionnement du service public doit se concilier avec le droit de la concurrence, qu'en est-il dans la relation entre ce dernier et le droit de propriété ? Dans son arrêt du 1er juin 2011 concernant l'interdiction faite aux armateurs maritimes autres que la société Planaria de débarquer des passagers sur l'île Saint-Honorat, la Cour de cassation rappelle les termes de l'article 544 du Code civil selon lequel : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. » Malgré l'affirmation du caractère absolu du droit de propriété, le Code civil rappelle que celui-ci est encadré par les lois et règlements. Le droit de la concurrence peut-il limiter l'exercice du droit de propriété ? Ainsi que l'a rappelé la Cour de cassation dans son arrêt du 5 février 2014, l'abus constitue cette limite. Le droit de propriété de la Congrégation des cisterciens de l'Immaculée Conception ne semble pas contestable, en revanche, les activités qu'elle exerce sous le régime de sociétés unipersonnelles semblent aller à l'encontre de la vocation religieuse de cette association cultuelle. En effet, il résulte d'un avis de l'assemblée générale du Conseil d'État du 24 octobre 1997 que « les associations revendiquant le statut d'association cultuelle doivent avoir exclusivement pour objet l'exercice d'un culte, c'est-à-dire, au sens de ces dispositions, la célébration de cérémonies organisées en vue de l'accomplissement, par des personnes réunies par une même croyance religieuse, de certains rites ou de certaines pratiques » (16). La Haute Juridiction n'a fait que confirmer sa jurisprudence (17). Si l'on peut comprendre la volonté de la congrégation d'assurer sa pérennité et les moyens de subsistance de ses membres, la création de plusieurs sociétés sur le territoire insulaire, et la stratégie publicitaire développée notamment par internet, vont à l'encontre des déclarations faites il y a plusieurs années dans la presse par le responsable de la communauté qui justifiaient la restriction d'accès à l'île par le public pour préserver la tranquillité monastique et le caractère privé et religieux de l'île. Les activités économiques sur l'île se sont beaucoup développées depuis la décision du Conseil de la concurrence en date du 8 novembre 2005. Malgré son statut d'association cultuelle, la congrégation constitue une entreprise au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. Pour cette juridiction, « la notion d'entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement » (18), sachant que par « notion d'activité économique » il faut entendre « toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services » (19). La Cour ajoute : « Les notions de livraisons de biens et de prestations de services ont toutes un caractère objectif et s'appliquent indépendamment des buts et des résultats des opérations concernées. » (20) Dans son arrêt du 5 février 2014, la Cour de cassation envisage l'exercice du droit de propriété par la congrégation sur l'ensemble de l'île, à l'exception du domaine public maritime. Or, si une unité juridique existe à ce niveau, en revanche, il y a lieu de constater que l'exploitation de l'île est assurée ponctuellement par plusieurs personnes morales distinctes, et que les établissements à usage commercial accueillent du public au sens de l'article R 123-2 du Code de la construction et de l'habitation disposant que : « Constituent des établissements recevant du public tous bâtiments, locaux et enceintes dans lesquels des personnes sont admises, soit librement, soit moyennant une rétribution ou une participation quelconque, ou dans lesquels sont tenues des réunions ouvertes à tout venant ou sur invitation, payantes ou non ». Le Conseil de la concurrence avait jugé par sa décision du 8 novembre 2005 que « la congrégation religieuse étant l'associée unique de l'Eurl Planaria, et l'un de ses moines le gérant de cette entreprise, cette dernière ne peut être regardée comme étant autonome par rapport à la Congrégation ». Il a pourtant été jugé qu'une société a une personnalité juridique distincte de celle de ses associés (21). Cependant, la Cour a estimé dans une espèce que : « L'association Institut d'éducation sensorielle, et l'association Congrégation des sœurs aveugles de Saint-Paul, disposent de la même adresse, ont le même représentant, lequel a accepté de recevoir les actes de procédure, et le même compte postal, et utilisent les mêmes bulletins de paie ; que par ces constatations et énonciations dont il résulte qu'en dépit d'une dénomination différente, les deux entités ne forment qu'une seule et même personne morale. » (22) À supposer que les sociétés unipersonnelles créées par la congrégation propriétaire de l'île Saint-Honorat répondent à ces critères jurisprudentiels, on aboutit au constat que cette association cultuelle se livre à des activités économiques importantes que prohibe la jurisprudence du Conseil d'État sur le régime de ce type d'entité. Le non-respect de la loi étant une forme d'atteinte à l'ordre public (23), c'est à ce titre que l'abus d'exercice du droit de propriété pourrait être constaté. La protection du droit de propriété contre l'afflux massif de visiteurs sur l'île peut être assurée par l'exercice du pouvoir de police du maire au titre de la sécurité publique, car les considérations liées à l'accostage des navires à un ouvrage établi sur le domaine public maritime sont juridiquement inopérantes pour justifier un abus de droit de propriété de la part de la congrégation. IV. La canalisation du public par le pouvoir de police Alors qu'aujourd'hui, la fréquentation annuelle de l'île Saint-Honorat par les visiteurs dépasse 100 000 personnes, on comprend le souhait des membres de la congrégation d'éviter un déferlement non maîtrisé du public sur un site classé (24), même si cette situation est encouragée par une campagne publicitaire active pour l'abbaye de Lérins. Le droit de propriété connaît des limites, comme l'évoque la Cour de cassation à propos de l'abus. Toutefois, en accueillant le public sur son territoire, la congrégation doit supporter des sujétions résultant des activités économiques qu'elle exerce (25). En contrepartie, elle bénéficie d'une protection des autorités chargées des pouvoirs de police. Il convient de rappeler que le territoire des communes s'étend potentiellement en mer (26), c'est ainsi que l'île Saint-Honorat fait partie de la commune de Cannes. À ce titre, le maire exerce la police générale de la sécurité et de la salubrité publique y compris sur des propriétés privées ouvertes au public (27). C'est ainsi que les services municipaux interviennent pour l'enlèvement des ordures ménagères et, en tant que de besoin, le Sdis sous la responsabilité de la commune assure la protection de la lutte contre l'incendie (28). Que le ponton d'accostage des navires de la société Planaria fasse ou non partie du port municipal existant sur l'île, le maire de Cannes peut sur le fondement de ses pouvoirs de police portuaire imposer des conditions d'accostage de manière à limiter la fréquentation du public sur l'île et assurer la sécurité de celui-ci. Enfin, l'État peut également intervenir au titre de la police de l'environnement et de la protection du domaine public maritime, comme en cas de rejets d'eaux usées dans la mer (29). Conclusion La propriété d'un bien immobilier confère à son propriétaire un statut social et lui permet d'exercer une fonction économique. Le caractère insulaire d'une propriété implique des sujétions spécifiques pour les pouvoirs publics comme la récupération par voie maritime des déchets ménagers ou l'intervention maritime ou aérienne des secours et des autorités de police. À ces contraintes, il faut ajouter la difficulté de mettre en œuvre la servitude de passage le long du littoral, notamment lorsque l'accès maritime à l'île est maîtrisé par son propriétaire. En tout état de cause, la propriété se situant dans un tel contexte ne saurait bénéficier du régime de la continuité territoriale. Le droit de propriété constitue une liberté fondamentale qui doit se concilier avec les autres libertés et droits fondamentaux reconnus à tous dans un État de droit.


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