« Aujourd'hui, il n'y a pas de problème d'argent pour financer l'innovation des PME de la filière verte, annonce Alain Griot, président du groupe de travail innovation au Comité stratégique de filière éco-industries (Coséi). Les fonds sont là, mais il faut réussir à orienter les PME dans leur direction. » Car il est vrai que l'offre est foisonnante et qu'il faut pouvoir s'y retrouver. Ainsi, en à peine un an, au moins trois nouveaux mécanismes ont été créés. Le premier, lancé par l'Ademe en juillet 2012, est un fonds commun de placement à risque, FCPR Écotechnologies. Doté de 150 millions d'euros, il est destiné à prendre des participations minoritaires dans des PME innovantes spécialisées dans les technologies vertes. Le deuxième et le troisième, mis en place par Oséo dans le cadre de la toute nouvelle BPI (Banque publique d'investissement), dont Oséo sera partie intégrante, sont un prêt à l'innovation pour les PME, qui leur permettra d'emprunter entre 30 000 et 1,5 million d'euros sur sept ans, et un préfinancement du crédit impôt recherche (CIR). Ces nouveautés s'ajoutent aux soutiens, comme les subventions, prêts ou avances remboursables que propose déjà Oséo et qui sont adaptés aux différentes étapes du développement de l'innovation. « Les PME des écofilières ont besoin de soutien durant les deux ou trois années de développement qui sont à risque, car aucune garantie de succès ne permet de sécuriser des financements auprès des banques ou des investisseurs privés », explique Sylvie Cogneau, responsable de l'innovation à la direction développement et marketing d'Oséo.
L'entreprise publique gère également le programme ISI (innovation stratégique industrielle), qui finance des projets collaboratifs innovants rassemblant au moins deux entreprises et un laboratoire. Ce type de projet partenarial est d'ailleurs le meilleur moyen d'obtenir des financements puisque la plupart des mécanismes exigent une collaboration entre entreprises et recherche publique. C'est le cas des appels à projets du Fonds unique interministériel (FUI), du fonds Éco-industries, des Investissements d'avenir gérés par l'Ademe, ou encore de l'Agence nationale de la recherche (ANR). « Les quatre cinquièmes des projets sélectionnés lors de nos appels à projets reposent sur une collaboration entre le public et le privé pouvant déboucher sur un transfert de technologie, explique Philippe Freyssinet, directeur général adjoint de l'ANR. La clé pour avoir des chances d'être sélectionné ? Avoir des idées originales et conclure un partenariat solide avec un très bon laboratoire de recherche. » Or, c'est là que le bât blesse. « L'obstacle est principalement culturel, poursuit Jean-Claude Andréini, président du Pexe, l'association qui représente près de 5 000 éco-entreprises en France. En France, les chercheurs ne pensent pas à se tourner vers les PME pour l'application de leurs recherches et, de leur côté, les PME n'ont pas une bonne image du monde académique et ne le sollicitent pas pour développer leurs innovations. » Un point de vue que partage Hervé Balusson, le dirigeant d'Olmix qui a monté un projet réunissant quatre PME et deux centres de recherche : « La collaboration avec les centres de recherche s'est mise en place relativement facilement, car nous avons de notre côté des personnes qui viennent du monde académique et qui peuvent faire le lien. Souvent les chercheurs sont plus dans la théorie que les PME ; il est indispensable que l'on apprenne à travailler ensemble. »
Pour accélérer le phénomène, plusieurs initiatives viennent d'être mises en place, par exemple avec les instituts Carnot. Créés en 2006, ils comptent 34 structures de recherche labellisées par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. « Les instituts réalisent plus de la moitié du chiffre d'affaires des laboratoires publics avec l'industrie, avec seulement 15 % de leurs effectifs », note Alain Duprey, directeur général de l'Association des instituts Carnot (AiCarnot). Mais si le travail avec les grands groupes est déjà bien ancré dans leurs habitudes, la collaboration avec les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) peut, elle, encore progresser. Fin 2012, les instituts ont donc amorcé une réorganisation de leur activité en une dizaine de macrofilières de demandes économiques pour améliorer la mise à disposition de leurs compétences et répondre aux besoins des PME et des ETI. « L'étape suivante sera d'aller à la rencontre de celles qui sont spécialisées dans ces filières pour mieux cerner leurs demandes et voir ce que l'on peut leur apporter en termes d'innovation », annonce Alain Duprey. Objectif : se faire connaître des PME et signer des contrats de recherche. L'AiCarnot s'est donc rapprochée du Pexe, et les deux organismes ont prévu six demi-journées de rencontres autour des écotechnologies (cf. encadré ci-dessous). Durant celles-ci, les instituts présenteront leurs développements les plus proches du marché ainsi que leurs plateformes techniques. Autre outil des instituts à destination des PME : le projet Captiven. Opérationnel depuis septembre 2012, il associe trois instituts (Irstea, BRGM et Ifremer-EDROME) dont l'ambition est d'accroître l'efficience des moyens métrologiques… en travaillant avec les PME. « La métrologie est un domaine de recherche dans lequel la France est bien placée… mais il ne faut pas que les résultats de ces recherches restent sur les étagères », constate Dominique Didelot, coordinateur du programme Captiven. Les instituts du projet vont donc partir à la rencontre des nombreuses PME de ce domaine en s'appuyant sur les pôles de compétitivité et les associations professionnelles. « Avec le pôle Qualimed par exemple, nous avons réussi à conclure un partenariat pour identifier les produits de fin de projets labellisés par le pôle et portant sur nos domaines de compétence. L'idée est de voir au cas par cas comment les faire avancer encore plus près de l'application et de la mise sur le marché, retrace le coordinateur. Et avec le Pexe, nous avons déjà organisé pour les PME des présentations « flash » de nos compétences et moyens. » Les membres du programme travaillent également depuis septembre sur des fiches techniques présentant leurs produits et leurs plateformes sur internet. « Notre quinzaine de plateformes technologiques, qui offrent aux PME la possibilité de faire des recherches qu'elles n'ont pas les moyens de mener en interne, constituent une vitrine qui nous permet ensuite de leur présenter tout ce que l'on pourrait faire pour elles en recherche appliquée, poursuit Dominique Didelot. En 2010, notre chiffre d'affaires issu de projets menés pour les PME ou TPE s'élevait à environ 500 000 euros… et nous comptons, grâce au programme Captiven, le multiplier par cinq d'ici à 2017 ! »
Pour répondre aux besoins des PME, d'autres organismes de recherche se structurent, outre les instituts Carnot, grâce, par exemple, aux sociétés d'accélération de transfert de technologies (Satt). Créées en 2012, ces structures (onze sur l'ensemble du territoire) ont pour objectif de valoriser la recherche publique auprès des entreprises. En Alsace, la Satt Conectus se charge ainsi des activités de valorisation (brevets, licences, contrats) de cinq établissements de recherche ainsi que de la gestion de la propriété intellectuelle, de la maturation et du licensing des unités du CNRS dans la région. Et pour améliorer son transfert de technologies vers les PME, elle vient de lancer une initiative originale de maturation en coconception. « Les technologies qui sortent des laboratoires publics restent trop en amont pour que les PME puissent s'y intéresser, constate Nicolas Carboni, président de Conectus. Or, de l'autre côté, une Satt a besoin d'une validation industrielle pour être sûre d'orienter ses développements vers des besoins adaptés au marché. Nous proposons donc à une PME d'injecter du temps-homme pour définir le cahier des charges de la technologie à développer puis pour le suivi du projet, lequel est entièrement financé par la Satt. En contrepartie, la PME dispose d'une option pour prendre une licence sur la technologie. De cette façon, elle est prioritaire pour acquérir un produit qui correspond au cahier des charges qu'elle a elle-même établi, tout en ne supportant aucun risque financier ou technique. »
Pour se faire connaître des PME, Conectus a noué un partenariat avec trois pôles de compétitivité, dont Alsace Energivie et Véhicules du futur. Ensemble, les organismes identifient les recherches des laboratoires membres de la Satt qui pourraient correspondre aux besoins des PME des pôles afin que ceux-ci les présentent aux entreprises. « L'une de nos priorités pour les trois à six prochains mois est également de mettre en place des collaborations avec les associations et organisations professionnelles des PME de la filière des écotechnologies à l'échelle nationale, comme le Pexe, annonce Nicolas Carboni. Nous réfléchissons par ailleurs à une façon de simplifier la contractualisation avec les PME. Pourquoi ne pas établir par exemple, avec ces organisations, des contrats-type de collaboration qui éviteraient aux PME des surcoûts juridiques ? » Enfin, la Satt mène un travail de cartographie des compétences de ses équipes de recherche pour la mise à jour d'une base de données sur son site internet, afin d'obtenir une meilleure visibilité auprès des PME. En espérant, là encore, que ces actions débouchent sur de nouveaux contrats.
Et pour les PME ou les laboratoires qui ne seraient intéressés ni par les instituts Carnot ni par les Satt, l'ANR vient de mettre en place une incitation supplémentaire à la collaboration : le programme LabCom. Celui-ci financera des partenariats entre un laboratoire et une PME (alors que ses autres financements sont généralement attribués à des projets rassemblant cinq ou six partenaires) à hauteur de 300 000 euros maximum par laboratoire. « Le but est d'inciter à des partenariats autour d'une recherche commune et d'un transfert technologique ou de savoir-faire du laboratoire vers la PME, expose Philippe Freyssinet. Les dossiers pourront être déposés au fil de l'eau auprès de l'ANR, et l'objectif est de soutenir au moins plusieurs dizaines de dossiers d'ici à la fin de l'année. »
Si tous les acteurs se donnent autant de mal pour mettre en contact recherche publique et PME, c'est bien parce que les bénéfices potentiels sont importants pour les deux parties : ces collaborations valorisent une recherche financée par les fonds publics et devant déboucher sur la création d'activité et d'emplois, et pour les PME, elles offrent l'accès à des financements supplémentaires et ouvrent la voie à des innovations synonymes de parts de marché. Sans compter que les technologies ainsi développées peuvent bénéficier d'une sorte de label de qualité lié à la collaboration avec des organismes reconnus, mais également faciliter l'ouverture des PME à l'international grâce aux réseaux de ces organismes. Mais les laboratoires publics ne sont pas les seuls partenaires possibles des PME, qui peuvent également faire avancer leur innovation en collaborant avec d'autres entreprises. Pour s'engager dans cette voie, les pôles de compétitivité s'avèrent utiles. « Nous aidons les PME à définir leur stratégie à moyen terme, à identifier leurs besoins et à trouver les moyens d'y répondre, résume Virginie Pevere, directrice du pôle de compétitivité Axelera. Outre les actions de formation ou de sensibilisation que nous organisons sur des thèmes importants pour elles (financement de l'innovation, gestion de la propriété intellectuelle...), nous veillons également à la mise en réseau de nos adhérents et partenaires, afin qu'ils puissent s'enrichir mutuellement et collaborer. » Le pôle se fait également le relais des initiatives menées par ses partenaires, comme par exemple le Plan PME, qui regroupe toutes les actions menées par la région Rhône-Alpes en faveur des PME. Il comporte d'ailleurs un volet « Innovation PME », qui repose sur une formation modulaire, presque entièrement financée par la Région, l'État et l'Europe, pour les PME souhaitant améliorer leur stratégie d'innovation.
Cependant, les pôles ne sont peut-être pas encore assez actifs pour soutenir leurs PME dans l'accès à la mise sur le marché. Car c'est là que se trouve le dernier obstacle à l'innovation : il ne s'agit pas seulement de mettre au point un nouveau produit ou service, encore faut-il le vendre. « Ce sera sûrement un des rôles de la version 3.0 des pôles que d'aider les PME sur ce plan », admet Virginie Pevere. Reste à savoir comment. Car pour vendre une éco-innovation, il est souvent impératif de disposer de premières références… difficiles à décrocher. « Les cahiers des charges des appels d'offres publics sont si complexes que les acheteurs n'ont en général pas les moyens de les modifier en fonction des innovations disponibles, et celles-ci s'en trouvent mécaniquement bloquées, déplore Antoine Gourdon, de France Énergie nouvelle, une association de start-up et PME spécialisées dans les cleantech. Et malheureusement, il n'y a pas non plus de parts de marché réservées aux PME innovantes dans ces appels. Enfin, la Coface ou Ubifrance, qui soutiennent les entreprises à l'export, ont des exigences financières importantes que les PME ne peuvent pas remplir et qui les empêchent donc de réaliser leurs références à l'international. » Un début de solution pourrait venir du dispositif européen ETV (Environmental Technology Verification), lancé en 2011 : il vise à permettre une vérification des performances des technologies environnementales innovantes par une tierce partie indépendante et à rassurer ainsi les acheteurs potentiels quant à la qualité du produit. En France, l'Ademe, qui le supervise, a lancé en septembre 2012 un appel à manifestation d'intérêt pour recruter les premières écotechnologies candidates à la vérification. Un premier pas pour aider toutes les actions menées jusqu'à la naissance de l'innovation à déboucher sur le marché et à s'orienter, pour la PME comme pour l'État ayant financé une partie des recherches, vers le retour sur investissements. l