Et si le tiers lieu de travail ou le co-working, c'est-à-dire l'utilisation mutualisée et temporaire de bureaux ou d'espaces communautaires de travail, sortait enfin des limbes ? Et si le télétravail, auquel les prospectivistes prédisaient naguère une croissance champignon, se généralisait au-delà de quelques cercles pionniers ? « Nous sommes sans doute en train de dépasser le stade embryonnaire », estime Nathanaël Mathieu, le dirigeant associé du cabinet LBMG-Worklabs spécialisé dans le conseil en télétravail. Celui qui accompagne notamment le département de Seine-et-Marne dans sa démarche pour créer un réseau de 16 télécentres poursuit : « Il y a aujourd'hui une centaine de lieux de coworking sur le territoire, essentiellement en zones rurales, et peut-être autant de projets qui vont se concentrer sur le périurbain. » Mais attention à ne pas mettre dans le même panier, aussi virtuel soit-il, les télétravailleurs statutaires de grandes entreprises, qui bénéficient d'un accord-cadre de télétravail, et les SBF (sans bureau fixe), ces indépendants qui ont intégré dans leur ADN professionnel la notion de bureau… flexible. Sans compter les créateurs de start-up, adeptes du co-working dans une logique communautaire. Autant de populations, autant de besoins, parfois différents ! Auxquels tentent de répondre, par la configuration, les télécentres de dernière génération. Ces modules immobiliers (entre 300 et 1 200 m2 ) offrent, à l'heure, à la journée ou pour des périodes plus longues, des espaces d'accueil permettant de téléphoner et tapoter sur son ordinateur entre deux rendez-vous, de s'isoler pour une conversation confidentielle, ou bien de profiter de zones de détente pour échanger avec ses pairs ou ses clients aux côtés de bureaux plus classiques.
Cette foule de nomades en cols blancs commence à peser. Selon LBMG-Worklabs, en 2011, 16,7 % des Français travaillent au moins une fois par semaine en dehors du bureau.
Terreau propice au déve-loppement des tiers lieux : une aversion croissante des salariés pour les allers-retours exténuants et coûteux entre leur lieu de travail et leur domicile, associée au développement des technologies de communication nomades (3 G, 4 G) ainsi qu'à la nécessité de réduire au bilan des entreprises le poids des immobilisations liées… à l'immobilier. « L'utilisation de ces services, qui requiert des changements importants dans l'organisation du travail, va permettre aux entreprises de rendre variables les dépenses liées à l'immobilier. On est dans le pay for use », prédit Frédéric Bleuse, le directeur général de Regus France, l'un des principaux opérateurs mondiaux de centres d'affaires et de bureaux occasionnels. « Les préoccupations écologiques ne sont pas absentes, mais il faut reconnaître que le coût est l'élément déterminant, particulièrement dans la période de crise actuelle », poursuit le dirigeant, aux côtés d'autres acteurs de premier plan tels que Multiburo, ou ATEAC, qui convoitent le potentiel du marché français.
Selon Xavier de Mazenod, l'un des pionniers du télétravail en zone rurale et l'animateur du fameux réseau social Ze Village, « l'amélioration du bilan carbone des entreprises, qui est sous-jacent au développement des tiers lieux de travail, constitue une sorte d'avantage collatéral ». L'amélioration de la qualité de vie, l'augmentation de la disponibilité des salariés, et partant de leur compétitivité – entre 20 et 30 % selon une étude d'Alcatel – constituent autant de marchepieds pour le développement des télécentres. Et les verrous sautent les uns après les autres. « Les directions générales et les directeurs informatiques ont longtemps été réticents au développement de pratiques nomades, qui pouvaient compromettre la confidentialité des données », suggère Xavier de Mazenod. L'évolution des solutions de protection et de cryptographie des données « baladeuses » ont diminué ces craintes. De même, le développement des missions en mode projet laissant un maximum d'autonomie aux collaborateurs, l'arrivée sur le marché de nouvelles générations – la supposée génération Y – baignant dans le numérique, l'atténuation du fameux management présentiel ou « à la voix », selon la belle expression de Xavier Mazenod, ouvrent des perspectives aux promoteurs des tiers lieux.
L'environnement s'adapte : la SNCF Transilien vient ainsi de lancer une application en ligne permettant aux usagers franciliens – et notamment aux professionnels – d'optimiser leurs déplacements et rencontres en s'appuyant sur des lieux de coworking. Selon l'étude menée par LBMG-Worklabs, 89 % des entreprises franciliennes interrogées étaient disposées – sous conditions – à prendre des places en télécentre. Un engouement tempéré par la méconnaissance des salariés : ils sont 66 % à ne pas savoir ce qu'est un télécentre. « Le p r ob l è m e p r i n c i p a l, aujourd'hui, est de constituer une offre solide sur l'ensemble du territoire », soupire Frédéric Bleuse. Qui pourtant ne ménage pas sa peine. Regus – exploitant d'une soixantaine de bureaux flexibles en France – vient ainsi d'implanter un espace de co-working à la gare TGV du Mans et devrait prochainement investir la gare Montparnasse avant de se tourner, en 2014, vers la gare du Nord et la gare TGV de Lille Flandres. En Seine-et-Marne, où se joue une expérience emblématique pilotée par le conseil général et son vice-président Gérard Eudes, l'heure est propice aux premiers coups de pioche. Anne Sophie Calais, la directrice d'IT 77 – l'association seine-et-marnaise coordinatrice du projet – qui s'appuie sur le déploiement du très haut débit dans le territoire, nous confirme « qu'après l'ouverture d'un premier télécentre au cœur de l'aéroport Paris-CDC, l'aéropôle de Roissy, le 1er janvier 2013, cinq autres projets devraient voir le jour d'ici à la fin de l'année dans une logique de maillage francilien ». L'opérateur Buro'Nomade devrait prochainement ouvrir son premier télé-centre d'environ 1 000 à 1 200 m2 à Val-d'Europe, avant d'en édifier
un second à Rambouillet. Cette indispensable logique de réseau doit s'accompagner d'une réflexion sur « l'interopérabilité entre les différents réseaux », selon Frédéric Bleuse. Un même utilisateur ou une même entreprise devrait pouvoir accéder, grâce à une carte d'accès, à n'importe quel espace de co-working sans se préoccuper de l'identité de l'exploitant. « Des discussions sont en cours. Les difficultés techniques à régler sont nombreuses et les opérateurs ne sont pas toujours prêts à financer des investissements qui faciliteraient la concurrence », convient le directeur général de Régus, qui confie qu'une charte qualité pourrait prochainement être portée sur les fonts baptismaux. Ces différents travaux d'harmonisation et de standardisation sont engagés avec la collaboration du cluster Green and Connected Cities et de l'association Actipole 21. Il sera alors temps de montrer l'impact favorable des tiers lieux de travail en matière de développement durable… l