Investir la voie d'eau
Mettre à l'eau des navettes de transport collectif ne s'improvise pas. Qualité du service, confort à bord, aménagement des stations d'escale : rien ne doit être laissé au hasard.
Les villes redécouvrent enfin le potentiel offert par la voie d'eau aux transports collectifs. Rien qu'au printemps, plusieurs navettes sont attendues à Bordeaux et à Calais. Lyon aimerait doter la Saône d'un second Vaporetto. Et aux Sables-d'Olonne, un second passeur électrique vient d'être mis en service. Mais avant de se jeter à l'eau, plusieurs questions méritent d'obtenir une réponse. La navette rendra-t-elle un réel service aux usagers ? Son trajet peut-il être effectué par d'autres moyens ? La fréquentation sera-t-elle au rendez-vous ? Localement, les centres d'études techniques d'équipement (Cete) peuvent répondre au besoin d'expertise des collectivités. Mais pour faire du sur-mesure, mieux vaut s'entourer d'experts et s'appuyer sur l'Association française pour le bateau électrique (Afbe).
Avant tout, un état des lieux s'impose. La préexistence de quais ou d'embarcadères peut faciliter le démarrage du projet. Il faut aussi veiller à ce qu'il s'insère et complète le maillage existant ou permette de rabattre vers des gares ou d'autres nœuds de communications. Car l'idée n'est pas d'offrir du voyage d'agrément. Surtout depuis l'échec de Voguéo, le projet de navettes sur la Seine qui vient de tomber à l'eau. Usage inadapté, coût disproportionné : ces risques, les élus doivent réfléchir à deux fois pour les éviter. « Et même quand le service existe, il faut veiller à ce qu'il marche, souligne Jean-François Retière, vice-président chargé des transports à Nantes Métropole. Après avoir constaté que l'une de nos trois liaisons fluviales, celle qui reliait la gare aux facultés, n'était fréquentée que le week-end, nous avons choisi de la supprimer. » L'agglomération conserve un passeur électrique sur l'Erdre et une liaison Navibus sur la Loire, assurée par deux navires thermiques. « Sur l'échiquier des transports nantais, bien que l'offre fluviale soit intégrée à la délégation de service public et connectée aux autres modes, elle reste un peu à part », reconnaît l'élu.
C'est à l'usage qu'un tel service démontre ou non son efficacité. De fait, les collectivités passent souvent par une phase d'expérimentation. À Sète, la ville teste depuis trois ans une navette sur un modeste trajet qui dessert un lieu de spectacle. Le service a beau rencontrer un certain succès, l'agglomération dont dépend la ville, refroidie par son coût, a préféré ne pas soutenir le projet. Sète poursuit donc seule l'aventure. Leçon à en tirer : associer en amont les communes intéressées par ce type de desserte est indispensable. Ce que confirme une étude réalisée par le groupe d'ingénierie Systra : il est prudent d'inscrire ce type de service, encore atypique, dans un projet d'agglomération, voire une logique de reconquête d'espaces. « À Arcachon, le système de navettes est parfait pour relier des quartiers opposés », illustre Yves Foulon, député-maire de la ville. L'étude de Systra insiste aussi sur la navigabilité du cours d'eau, qui est parfois à restaurer, les bénéfices du service une fois qu'il est rôdé (temps de parcours garanti, fréquence attractive, peu de conflits d'usage), mais aussi les aléas techniques à gérer. « Au début, nous avons essuyé les plâtres », se souvient Jean-Claude Tchuindibi, directeur transport et développement durable au pôle foncier d'Icade. À Aubervilliers, cet acteur immobilier s'est mué en opérateur de transport en développant à ses frais – près de 4 millions d'euros depuis son lancement – une ligne qui rend service à ses salariés et aux clients du centre commercial proche. « Pour absorber les pointes de trafic, un quatrième catamaran électrique est lancé ce mois-ci, poursuit-il. En 2012, 1,2 million de passagers ont emprunté ces navettes dont l'exploitation est confiée à Vedettes de Paris. Elles assurent 80 allers-retours par jour, six jours sur sept. Gérer la maintenance est un point décisif. Il faut aussi veiller au confort à bord. Et garder le contact, même durant l'exploitation, avec les constructeurs et professionnels du secteur. » Nouveauté : ce quatrième navire embarque des batteries lithium-ion plus performantes que les précédentes. Le fabricant de l'embarcation, Alternatives Energies (Alten), un pilier du secteur, en a aussi livré à Marseille, aux Sables-d'Olonne et à La Rochelle (4 bateaux, 300 000 passagers par an). Son P-DG, Philippe Ballu de la Barrière, estime que la propulsion électrique n'est efficace qu'en travaillant sur l'hydrodynamique des bateaux. « Quant à la puissance moteur, comptez deux fois 20 kilowatts par navette. Avec une vitesse d'exploitation de 12 km/h, soit 80 km/jour, le service a des chances d'être vite amorti. » Reste le coût d'acquisition du bateau. « C'est l'un des obstacles à leur développement. Comptez 10 000 euros par passager transporté, soit 800 000 euros pour une navette de 80 places. » l
Oser le téléphérique
Courants à la montagne, les téléphériques sont quasiment absents du paysage des transports collectifs urbains. Leurs atouts étant nombreux, les projets commencent à fleurir.
G renoble, Brest, Toulouse, Créteil : après s'être heurté au scepticisme des élus, le téléphérique est en train de gagner les villes. « Pour l'heure, les réalisations les plus significatives sont à l'étranger : à New York, Portland, Rio de Janeiro, Medellín, en Colombie, et Caracas, au Venezuela, indique Cécile Clement-Werny, directrice d'études systèmes innovants au Centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques (Certu). En France aussi, sa cote grimpe dès lors qu'il permet le franchissement d'obstacles, de coupures ou de dénivelés. » C'est le cas à Toulouse. Pour relier en 2017 trois sites stratégiques, dont l'ancien site d'AZF, séparés par la Garonne et une colline, l'agglomération a opté pour le mode téléporté : 2,6 km de câbles, 20 cabines de 35 places desservant en dix minutes trois gares aériennes connectées au bus, au métro ou à des parcs relais. Un chantier à 45 millions d'euros. « Ce ne sera pas un gadget, mais un moyen de transport sûr et efficace, assure Joël Carreiras, adjoint au maire de Toulouse et président de la commission transports de Toulouse Métropole. Le bus serait trois fois plus cher et pas question de creuser un tunnel ! Nous survolerons peu d'habitations et l'impact visuel sera réduit en épousant au mieux le relief des coteaux. Côté trafic, le câble sera aussi performant qu'un bus à haut niveau de service (BHNS). »
Le câble ne manque en effet pas d'atouts : emprise au sol limitée (réduite aux gares et pylônes), fréquence de passage rapide (toutes les huit à quinze minutes à New York), capacité élevée (3 000 à 4 500 voyageurs par heure et par sens), fiabilité proche du métro (principal aléa, le vent) et niveau de sûreté élevé. Une étude du Certu pointe des efforts à faire en termes de confort des cabines et d'adaptabilité des systèmes aux pics de fréquentation quotidienne. « Il y a une marge de progrès, reconnaît Denis Baud-Lavigne, responsable commercial chez Poma, une entreprise iséroise devenue chef de file mondial du transport par câble. Pour adapter le débit en période de pointe, sans dégrader toutefois la qualité du service, nous pouvons jouer sur le nombre de cabines en ligne et la vitesse du câble. Le téléphérique que nous lancerons l'an prochain à Avoriaz intégrera cette option. »
À la différence des tramways et BHNS, les systèmes par câble ne sont pas conçus pour constituer l'armature d'un réseau de grande agglomération. Pour des raisons connues : longueur limitée à quelques kilomètres, impossibilité d'une desserte fine, contraintes réglementaires (protection incendie, servitudes aéronautiques)… Mais en complément d'un réseau et pour du rabattement vers celui-ci, ils conviennent tout à fait. Ce qui déterminera alors leur développement tient à l'acceptabilité des habitants. Intégration des pylônes (Toulouse a recours à un architecte-conseil ; les constructeurs se disent prêts à travailler avec des designers et Portland fait figure d'exemple en la matière), bruit de l'installation (trop peu évalué en milieu urbain), tarif du billet et bilan énergétique (bon, mais à mieux mettre en avant) : tous ces points méritent d'être soigneusement débattus durant la phase de concertation. À Medellín, elle a pris de longs mois. À Toulouse, elle débutera à la fin de l'année. En France, l'un des points de crispation concerne l'intrusion visuelle liée au survol des habitations. « Il faut à tout prix en débattre », insiste Cécile Clement-Werny. En montagne, un texte de 1941 complété par la loi Montagne de 1985 balise le domaine. « Mais pour le survol en ville, il y a un vide juridique, s'étonne Denis Baud-Lavigne. Le problème se pose moins si le câble survole du périurbain, où il y a aussi du potentiel. La Suisse le démontre à travers les installations dont elle s'est dotée. » Lentement, un projet émerge aussi en petite couronne francilienne. Porté par le maire de Limeil-Brévannes pub-enviromag-irises6.pdf et soutenu 1 12 par le Syndicat des transports d'Ile-de-France ( Stif ), il vise à relier Créteil et Villeneuve-Saint-Georges en survolant « de multiples coupures urbaines » (gare de triage, entrepôts) qui morcellent ce territoire. Soit un parcours aérien de 4,3 km pour 13 quatre 17: 19: 37stations, avec des correspondances bus et métro. Le coût serait de 30 à 40 millions d'euros, pour une fréquentation de 10 000 à 12 000 voyageurs par jour. Les études sont en cours et le projet sera présenté aux habitants à la fin de l'année. l
penser À deMaIn
En 2020, quel visage auront les transports collectifs urbains ? Dans ce secteur, la prospective a ceci d'enthousiasmant qu'elle mêle le grand, le petit et des projets tout droit sortis de l'imaginaire des start-up à des prototypes conçus par les leaders mondiaux. Et les collectivités locales s'invitent aussi dans la partie ! Soit elles accompagnent – le mois dernier, le conseil général des Yvelines mettait en avant Taxicol sur son stand du Salon international de l'automobile à Genève –, soit elles innovent sur leurs territoires, comme l'illustre le Grand Lyon. Dans ce foisonnement, Environnement Magazine a repéré des pépites qui sortent des sentiers battus tout en restant réalistes et opérationnelles.