Du Maghreb jusqu'au Moyen-Orient, les hommes ont, depuis toujours, appris à s'adapter à la rareté de l'eau. Les civilisations sumérienne, égyptienne, arabe et romaine ont développé de savants systèmes pour récupérer l'eau douce : canaux, aqueducs, réservoirs, citernes, puits. Des villes entières se sont construites dans le souci de garantir l'accès à l'eau potable de la population, telle la cité de Kumran, près de la mer Morte.
Aujourd'hui, les techniques de captation des eaux de ruissellement (issues de la pluie, de la fonte des neiges) et de sources, perdurent. Nombreux sont encore les programmes d'extension et de construction de barrages et de retenues d'eau. Ces systèmes de rétention d'eau sont creusés aux emplacements les plus appropriés par rapport au relief et aux oueds (chenaux développés à la surface du sol).
Il reste que les retenues d'eaux superficielles présentent un risque d'altération par les phénomènes d'envasement et d'érosion des berges (cf. hors-série Pays arabes d'Hydroplus, avril 2006, p. 22) et s'exposent aux risques de contamination biologique (souvent liée à un manque d'assainissement) et de pollutions (nitrates, hydrocarbures, rejets industriels). Leur éloignement des centres urbains et du littoral oblige à transférer l'eau sur de longues distances, parfois jusqu'à plusieurs centaines de kilomètres, et par conséquent avec un débit important. Actuellement, la technologie des systèmes fermés de transport d'eau sur de longues distances est, elle, en pleine expansion. Elle est arrivée à maturité dans les années 80, avec le pipeline reliant l'installation de dessalement d'eau de mer de Jubail et la capitale saoudienne Riyad.
Comme toutes les eaux de surface, les eaux de ruissellement nécessitent un traitement pour être consommables, en s'appuyant sur les critères établis par l'Organisation mondiale de la santé. « L'idéal est que le traitement soit fait sur place, dans une station située à proximité du barrage et équipée d'un traitement physico-chimique, précise Jean-Yves Gadras, directeur du développement de Degrémont pour l'Afrique. Mais au bout de plusieurs dizaines de kilomètres, la qualité de l'eau peut se dégrader et il est nécessaire de recourir à des injections de chlore. » Cette gestion du traitement présente l'intérêt de distribuer l'eau au fil du transfert, aux communes et villages parcourus par les canalisations.
Ce mode d'accès à l'eau douce atteint ses limites dans les régions planes, particulièrement dans les déserts de la péninsule Arabique et du Sahara : lors des épisodes pluvieux, l'eau se concentre dans les oueds, s'infiltre à faible profondeur dans le sol et s'évapore vite. Dans ces régions caractérisées par un fort ensoleillement et une faible pluviométrie, certains pays bénéficient d'une ressource persistante en eaux douces. Ces fleuves sont, là aussi, équipés de barrages (Assouan sur le Nil, Samarra et Kut sur le Tigre) qui ont trois missions : la production d'eau potable, la production hydroélectrique et la protection du risque d'inondation (souvent orientée vers la gestion des crues pour un usage agricole). Outre la qualité biologique, la qualité physico-chimique de ces eaux influe sur le traitement nécessaire avant consommation : selon la concentration en sels minéraux, elles nécessitent une simple déminéralisation ou un dessalement.
Accéder aux ressources profondes
Les pays dépourvus en eaux de surface persistantes doivent s'orienter vers les eaux souterraines. Plus elles sont profondes (et donc protégées des effets anthropiques), meilleure est leur qualité. Ainsi, les eaux souterraines de la nappe fossile du Sahara, exploitée par la Lybie pour sa rivière artificielle, nécessitent un simple rééquilibrage chimique pour éliminer le CO2. « L'eau extraite passe dans des grandes tours de dégazage, avant de partir dans le réseau », précise Jean-Yves Gadras. L'exploitation des eaux souterraines est limitée par la très grande profondeur des aquifères (pouvant aller jusqu'à plus d'1 km, ce qui suppose l'usage de foreuses de haute technicité), la capacité d'extraction des groupes électropompes immergés (standard jusqu'à 500 m de hauteur, pompes de relevage sur mesure selon les besoins) ou encore l'alimentation au réseau électrique (standard plutôt en basse tension et sur mesure plutôt en haute tension). Et comme toute ressource fossile, cette eau est épuisable et non renouvelable. Les nappes plus superficielles peuvent, elles, se recharger par infiltration des eaux de bassins de rétention sus-jacents. Tandis qu'une remontée du biseau salé dans une nappe côtière condamne la ressource.
Qu'il s'agisse de nappes affleurantes ou d'aquifères profonds, la technique de captage d'eaux souterraines repose sur la technologie du forage, pompage (sauf pour les nappes artésiennes, jaillissantes) et stockage (en réservoir). « En matière de forage, la technique, les équipements nécessaires, l'architecture du forage etc., tout dépend de l'aquifère qu'on veut capter et des débits qu'on souhaite obtenir », précise Mohammed Akamkam, directeur général de Tubafor Maroc (filiale de Johnson Screens). En effet, pour garantir une stabilisation de la nappe à son niveau dynamique et garantir un captage performant, la technique de foration, le dimensionnement de l'ouvrage (diamètre du forage d'exploitation, volume de la chambre de pompage, puissance du moteur de pompe) et les équipements à utiliser (tubes, crépines lorsque le sol est sableux, nature de la pompe) dépendent du niveau piézométrique de la nappe, de la constitution du terrain ou encore de la qualité des eaux souterraines. Des eaux saumâtres impliquent des équipements composés de matériaux inoxydables capables de résister à la corrosion (inox, fonte). « Ce n'est pas une question de technique, juste une question de prix ! », souligne Roland Apfelbacher, responsable des marchés eau chez KSB.
Au préalable de la réalisation d'un captage, un forage de reconnaissance de l'état de la ressource souterraine s'impose, sans quoi elle peut s'avérer inexistante. « C'est bien souvent le cas des forages palestiniens », remarque Bertrand Charrier, administrateur de Green Cross France, chargé du projet « L'eau pour la paix au Moyen-Orient » démarré début 2007. La reconnaissance de la présence d'eaux souterraines repose sur une seule technique : l'étude hydrogéologique. « Les techniques de prospection géophysiques (résistivité, sismique, gravimétrie) sont insuffisantes, précise Mohammed Akamkam. Seule une campagne de reconnaissance en plusieurs forages de petits diamètres (165 mm) donne les éléments indispensables à l'étude de l'aquifère : perméabilité et transmissivité du terrain, niveau de rabattement de la nappe, qualité de l'eau, etc. »
Accéder à l'eau de mer
Enfin, l'ultime voie d'accès à l'eau douce se trouve dans le dessalement d'eau de mer ainsi que d'eaux saumâtres. Dès le IVe ou le IIIe siècle avant JC, les Égyptiens pratiquaient déjà cette technique : sous l'effet du soleil, l'eau s'évapore, se sépare des sels (la saumure) et est récupérée par condensation (procédé de distillation). Cette technologie est mature pour une production à l'échelle industrielle depuis les années 60/70. Elle s'est d'abord développée avec le procédé de distillation Flash (MSF), le procédé de distillation à effets multiples (MED) puis l'osmose inverse (OI)
(cf. hors-série Hydroplus, mai 2007, p. 28).
Cette technologie est accessible aux pays côtiers, ce qui est souvent le cas dans les régions qui disposent de ressources énergétiques suffisantes. L'Arabie Saoudite, principal pays producteur de pétrole, détient depuis longtemps déjà la plus grande capacité de dessalement au monde
(1,070 Mm3/an en 2004, soit 30 % de la capacité mondiale, selon le ministère de l'Eau et de l'Électricité d'Arabie Saoudite). En effet, le dessalement d'eau de mer nécessite un important apport énergétique, sous forme de chaleur pour les procédés avec changement de phase (distillation) et d'électricité pour les autres (OI). Ce qui implique de coupler les unités de dessalement à une centrale de production d'électricité. Dans une centrale thermique avec combustible fossile, une turbine à vapeur récupère l'énergie résiduelle devenue disponible à l'unité de dessalement. Aujourd'hui, la maîtrise de cette technologie permet d'atteindre de très grandes capacités de production : jusqu'à 320 000 m3/jour (Ashkelon en Israël) avec l'osmose inverse, un procédé contraint par le dimensionnement du prétraitement et des membranes, et jusqu'à 800 000 m3/jour avec la distillation MED (projet en cours de réalisation pour alimenter la ville industrielle de Jubail et la province orientale de l'Arabie Saoudite).
Et, pour pallier aux variations de charge de la centrale thermique (liées à celles de la demande en électricité), des systèmes hybrides distillation/membranes sont maintenant accessibles (voir encadré p.29). Le développement de cette technologie repose aussi sur celui des centrales électriques éoliennes (déjà testé par l'Espagne) et des systèmes de dessalement solaire dédiés. Dans un contexte de changement climatique et de volonté de stabiliser les émissions de CO2, le recours au dessalement nucléaire est également attrayant (voir p. 15). L'eau de mer semble une ressource inépuisable. Mais la généralisation de la pratique du dessalement laisse craindre un phénomène de salinisation si les résidus saumâtres venaient à se concentrer en un endroit, comme cela s'observe dans le cas des lacs salés.