Le réseau d'assainissement
français est un patrimoine vieillissant. Et au taux actuel de renouvellement, il faudra 170 ans pour traiter les quelque 100 000 km de réseaux unitaires et 180 000 km de séparatifs - dont près de la moitié pour les réseaux d'eaux pluviales (données Ifen-SCEES 2004) - qui acheminent nos eaux usées vers les stations d'épuration. Le problème principal tient au fait que 20 à 30 % de ces tronçons ont été posés il y a plus de cinquante ans. Or, les matériaux et les techniques de pose de l'époque leur confèrent une durée de vie moyenne... d'une cinquantaine d'années ! Pour éviter un raz-de-marée de renouvellement dans les années à venir, les collectivités, qui ont en charge la gestion de leur patrimoine, se voient obligées de hiérarchiser et de planifier leurs travaux de réhabilitation.
Hélas, dans de très nombreuses communes, la connaissance du linéaire n'est encore que toute relative. « Nous savons assez bien où se trouvent les réseaux d'assainissement et quelle est leur taille. Mais leur âge, la nature des matériaux qui les constituent ou encore leur état structurel sont encore largement méconnus », estime Daniel Villessot, président de la commission assainissement de l'Astee et directeur scientifique de Lyonnaise des eaux. Il faut dire que les décideurs urbains ont longtemps demandé à leurs réseaux d'assainissement de s'en tenir au rôle pour lequel il avait été conçu : collecter les eaux usées et les envoyer vers les usines de traitement. Seuls de graves dysfonctionnements, comme d'importants volumes d'eaux claires parasites, pouvaient les amener à se pencher sur l'état structurel des conduites. Aujourd'hui, l'autosurveillance réglementaire demande d'ailleurs d'analyser les eaux en amont et en aval des stations d'épuration et de contrôler les débits aux principaux points du réseau pour pister les eaux claires parasites. Mais ces données ne renseignent pas toujours directement sur l'état physique des conduites : un tronçon peut être très dégradé sans que l'évacuation des eaux ne soit sévèrement perturbée... et du coup, passer longtemps inaperçu. « Il est très difficile de persuader les élus qu'il faut renouveler des tronçons alors que tout semble marcher correctement », explique Pierre Bourgogne, directeur eau et assainissement de la communauté urbaine de Bordeaux. Pour l'écrasante majorité des conduites non visitables, il faut donc le plus souvent attendre un réaménagement de la surface pour que soient réalisés des passages de caméras, étapes obligées avant une éventuelle réhabilitation.
Pourtant, de récents arrêtés montrent que les législateurs ont compris l'importance de la gestion patrimoniale. Celui du 2 mai 2007 fixe ainsi des barèmes de notation pour évaluer le degré de connaissance du réseau d'assainissement, la régularité de la mise à jour des plans et l'élaboration d'un programme annuel de travaux.
ÉVOLUTIONS EN VUE
L'arrêté du 22 juin 2007 définit quant à lui les dispositions particulières relatives à la surveillance des systèmes de collecte par tout moyen approprié. « S'ils n'imposent pas de délais de mise en conformité, ils ont pour but de motiver les collectivités à faire un diagnostic de l'état patrimonial de leur réseau, par exemple dans le cadre de l'actualisation de leur schéma directeur d'assainissement, et à établir un programme de travaux de réhabilitation pluriannuel et hiérarchisé », commente Jean Vuathier, directeur de projet et ingénieur expert assainissement à Safege.
Et peu à peu, les mentalités évoluent. « La gestion patrimoniale au sens strict n'est pas encore vraiment rentrée dans les moeurs, précise Bertrand Ollagnon de la direction des collectivités locales de l'agence de l'eau Loire-Bretagne. Pour autant, certains maîtres d'ouvrage ont compris l'intérêt de regrouper les approches structurelle et fonctionnelle. » C'est le cas de la communauté urbaine de Brest métropole océane (BMO). Les 1 500 kilomètres de linéaire ayant été reconstruits après guerre, l'âge, la taille et la nature du réseau sont bien connus. « Nous partons du principe que deux tronçons aux caractéristiques identiques n'ont pas de raison de se comporter différemment. Nous tentons donc d'extrapoler à l'ensemble du réseau les données collectées par des inspections télévisées menées par notre exploitant, Veolia, et ainsi établir une carte de risques », explique Jean-François Menez,
responsable de l'unité gestion
du patrimoine au sein de la divi-
sion eau potable et assainisse-
ment de Brest métropole océane.
Depuis 2004, les collectivités peuvent aussi se référer au guide édité suite à l'action « Méthodologie de gestion du patrimoine » lancée en 1999 au sein du projet national de réhabilitation des réseaux d'assainissement urbains (Rérau). Grâce à lui, les procédures à suivre pour réhabiliter son réseau se précisent. Et une chose est sûre : le diagnostic se doit d'être précis et fiable. « Il est crucial de le mener selon des étapes méthodologiques : une première analyse générale à critères multiples comprenant l'historique du réseau, la nature de sol ou la nappe est nécessaire pour passer ensuite à l'inspection sur site », explique Amer Aflak, ingénieur expert études patrimoniales à Safege. Les inspections peuvent ensuite être complétées pour justifier de la planification des travaux, par des auscultations instrumentées comme des tests d'étanchéité pour les réseaux non visitables ou le prélèvement d'échantillons dans le cas des visitables. « Pour ces derniers, nous pouvons aussi utiliser un géoradar pour identifier des désordres dans le sol encaissant, procéder à une auscultation géométrique au laser pour constater les déformations structurelles ou à une auscultation mécanique pour déterminer la résistance de l'ouvrage », ajoute-t-il.
Une fois le diagnostic établi, il faut pouvoir l'interpréter. C'est pourquoi l'Agence nationale de la recherche (ANR) a lancé en 2007, à la suite du projet Rérau, le programme
Indigau (Indicateurs de performance pour la gestion patrimoniale des réseaux d'assainissement urbain) qui devrait s'achever en 2010 et auquel participent l'Insa de Lyon, le LCPC, le Cemagref, la société G2C Environnement, les communautés d'agglomération et urbaines de Caen-la-mer, Lille, Lyon, Nantes, Strasbourg, et le conseil général du Bas-Rhin. L'un de ses objectifs principaux est la mise au point de modèles permettant de calculer le niveau de priorité d'une réhabilitation sur un tronçon à partir des résultats des inspections visuelles et des autres données disponibles, comme celles issues de l'autosurveillance.
DES CARTES DE RISQUES
Les collectivités qui décideront de s'équiper de tels outils pourront donc établir de manière systématique des cartes de risques sur l'ensemble de leur réseau et planifier les réhabilitations. « Mais pour être utilisables, encore faut-il que les données soient numérisées sous forme de fichiers exploitables. Le patrimoine ne se résume pas aux conduites ; toutes les informations collectées sur le réseau en font aussi partie ! », rappelle Pascal Le Gauffre, maître de conférences à l'Insa de Lyon et coordinateur du projet Indigau. Mais la méthode Indigau/Rérau est très gourmande en données, et les inspections télévisées coûtent cher : entre 4 et 7 euros par mètre linéaire en comptant le curage préalable. Impossible dans ces conditions d'inspecter l'ensemble du patrimoine. Avant même de hiérarchiser les travaux de réhabilitation, il peut donc être intéressant de définir un niveau de priorité des passages caméras. C'est dans ce but que Lyonnaise des eaux a élaboré la méthode DiagRap. Tout commence là aussi par la collecte de toutes les informations disponibles sur le réseau : les résultats d'inspections précédentes, les données sur les conduites ainsi que les conditions environnantes comme le trafic ou la nature du terrain. « En pondérant ces critères, nous attribuons une note à chaque tronçon et établissons une carte des risques, explique Didier Lahalle, expert réseaux assainissement et pluvial à Lyonnaise des eaux. Puis nous consolidons ces notations théoriques par des inspections rapides, à l'aide d'un vidéopériscope introduit dans les regards. Elles ne nécessitent pas de curage et reviennent en moyenne dix fois moins cher qu'une inspection télévisée. »
UN VASTE PROGRAMME
Depuis sa mise en service en 2001, la méthode DiagRap a été utilisée pour vingt collectivités dont une dizaine en 2008, signe que les mentalités changent. Parmi les heureuses élues, la communauté urbaine de Bordeaux (CUB). « Le prédiagnostic DiagRap a permis de déterminer que sur nos 3 471 kilomètres de réseaux non visitables, un peu plus de 400 étaient en mauvais état et 43 dans un état critique », précise Pierre Bourgogne. Une fois ces 43 kilomètres identifiés grâce à des inspections télévisées ponctuelles, la CUB pourra se lancer dans la phase de réhabilitation à proprement parler. Sur proposition du bureau d'études en charge du diagnostic, la collectivité peut privilégier telle ou telle technique selon le degré de dégradation du linéaire (voir encadré ci-dessous), mais aussi en fonction de sa politique de réaménagement. La ville de Valenciennes, par exemple, s'est lancée au début des années 2000 dans un vaste programme de rénovation de son centre-ville sous l'influence de son maire de l'époque, Jean-Louis Borloo, alors ministre délégué à la Ville et à la Rénovation urbaine. Le projet comprenait la mise en place d'un tramway, la requalification des voies principales, des aménagements de places et un nouveau plan de circulation. De grandes études hydrauliques ont donc été menées sur l'ensemble du patrimoine du Syndicat intercommunal d'assainissement de Valenciennes (Siav) : 750 km de réseaux dont 280 km pour la seule ville de Valenciennes.
Les constats ont été catastrophiques : une partie du réseau était sous-dimensionnée, les conduites existantes étaient majoritairement en amiante-ciment ou en béton non armé de mauvaise qualité et l'emplacement de certains tronçons n'était tout simplement plus approprié à l'aménagement urbain. Il a donc été décidé de remplacer complètement 10 % du linéaire du Siav sur dix ans, à raison de 1 % par an. Ce qui représente un investissement annuel de 7,5 millions d'euros. Pour faire face à cette charge sans déstabiliser la redevance du service assainissement, le syndicat a donc recours à l'emprunt. « Car il ne faut pas oublier que les collectivités ont en même temps l'obligation d'appliquer la loi sur l'eau et les milieux aquatiques. Autant de prestations à inscrire aux budgets pour une réalisation dans les délais », ajoute Jean-Michel Cardon, ingénieur au Siav.
De fait, les collectivités se voient souvent dans l'incapacité de débloquer les fonds pour la réhabilitation de leur réseau, car nombre d'entre elles sont encore en prise avec la mise en conformité des stations d'épuration. Voilà pourtant quinze ans que la directive européenne relative au traitement des eaux résiduaires urbaines (Deru) a été transposée en droit français, et sa mise en oeuvre doit être achevée en 2011. Les agences de l'eau elles-mêmes sont débordées par les demandes d'aide concernant les usines de traitement et les reprises de rejets directs. Ce qui ne les empêche pas de penser à l'avenir. « L'agence de l'eau Loire-Bretagne ne peut aider au financement une réhabilitation que si elle a un effet direct sur le fonctionnement du réseau, explique Betrand Ollagnon. Mais dans le cadre de son neuvième programme, qui couvre la période 2007-2012, l'agence a renforcé ses exigences en matière de contrôle et de qualité de mise en oeuvre des réseaux d'assainissement ». Car c'est aussi dès la pose des ouvrages neufs qu'il faut intervenir pour optimiser la longévité du réseau. Les autres agences suivent aussi cette voie. « Nous subordonnons nos aides pour les travaux neufs à l'application de la charte nationale de qualité relative à la pose des réseaux d'assainissement », indique Bernard Jayet, chef du service collecte assainissement de l'agence de l'eau Adour-Garonne. Cette charte, rédigée par l'Astee et signée en 2006, liste les pratiques à suivre au moment de la construction et de la réception des travaux. « Aujourd'hui, deux tiers des départements français qui ont engagé des travaux neufs l'ont fait sous charte. Son élargissement aux opérations de réhabilitation est en cours de rédaction et devrait voir le jour en 2010 », annonce Daniel Villessot.
PLAN D'ATTAQUE
La prise de conscience des acteurs publics est réelle, et peu à peu le plan d'attaque se met en oeuvre. Restera ensuite à s'occuper du domaine privé. À l'étranger, certaines sociétés proposent déjà aux particuliers de petits systèmes portables pour réaliser la réhabilitation de leurs branchements. En France, il n'y a aujourd'hui aucune obligation réglementaire dans ce domaine. Mais les normes de construction sont à n'en pas douter appelées à se rapprocher de celles en vigueur dans le domaine public. La réhabilitation a de beaux jours devant elle.