C'est en 2003 que Veolia Eau et Suez Environnement repèrent les premières fissurations en série de branchements d'eau potable en polyéthylène (PE), en présence de dioxyde de chlore (ClO2). L'heure est grave, car les tubes en PE sont massivement installés pour remplacer les branchements en plomb. Rapidement, les deux opérateurs privés - ainsi que Saur - commandent une étude à un laboratoire de l'Ensam dans le but de comprendre l'origine du phénomène observé. Cette démarche commune dure trois années, mais des divergences subsistent entre les distributeurs sur la stratégie à adopter. Veolia Eau lance une action en justice contre deux fournisseurs : Boréalis (fabricant de résine) et Sotra Seperef (extrudeur). « Le but de cette action n'était pas de définir les responsabilités, mais de demander à un expert indépendant de statuer sur l'existence ou non du phénomène observé et d'en préciser les causes, pour pallier une attitude alors peu collaborative des extrudeurs et résiniers face aux observations remontant du terrain. L'expert a ainsi confirmé l'existence du phénomène d'oxydation du PE par le dioxyde de chlore pouvant entraîner sa rupture mécanique et de facteurs pouvant influencer la cinétique du phénomène, comme la température de l'eau, les conditions d'exploitation, voire de pose initiale des branchements », explique Frédéric Blanchet, de la direction technique de Veolia Eau.
De son côté, Suez Environnement cherche à associer les différents acteurs du PE à ses travaux de recherche. « Malgré les réticences de certains, l'approche partenariale a vite séduit et conduit à la mise en place d'un programme de recherche ambitieux », commente Dominique Geoffray, chef de produit gestion du patrimoine chez Suez Environnement.
LE TUBE MULTICOUCHE
En parallèle du volet judiciaire, Veolia Eau mène ses propres recherches pour comprendre le phénomène et cherche un produit de substitution au PE pour les réseaux d'eau où du dioxyde de chlore est utilisé en post-désinfection. C'est finalement le tube multicouche Excel-Plus, développé par Aliaxis en collaboration avec Arkema, qui est retenu en 2006. Il est constitué d'une couche intérieure de PVDF collée sur la paroi interne d'un tube en PE 100 grâce à une couche d'adhésif. Disponible en France dès le début de l'année 2008, ce tube a été retenu par Veolia Eau depuis cette date sur les sites utilisant du dioxyde de chlore.
L'imperméabilité du PVDF au dioxyde de chlore n'est pas totale : au fil du temps, le ClO2 passe à travers le PVDF, attaque l'adhésif, puis le PE. « Mais nous avons pu déterminer avec certitude le coefficient accélérateur de ce phénomène en condition de vieillissement accéléré, et ainsi estimer le temps que le ClO2 met à traverser le PVDF et à oxyder les adhésifs en condition d'exploitation moyenne sur le terrain. Au final, une durabilité supérieure à cinquante ans a été ainsi évaluée », confirme Frédéric Blanchet.
Par ailleurs, depuis 2003, pour les réseaux où du dioxyde de chlore est utilisé en post-désinfection, Veolia Eau conseille aux collectivités d'utiliser du chlore gazeux : « En 2003, nous avions 130 sites avec désinfection au dioxyde de chlore. Depuis, nous n'en avons plus qu'une cinquantaine, ce qui ne représente que 5 % des réseaux que nous exploitons en France. »
Du côté de Suez Environnement, le début des recherches est marqué par la découverte de l'absence de littérature scientifique sur l'impact du dioxyde de chlore sur le PE. Les études existantes s'appuyaient en effet sur des tests à l'eau distillée réalisés à 80 °C, conformément à la norme en vigueur pour les tubes et raccords en PE (ISO 9080, NF 114). « Cela est lié au fait que les tubes en PE ont tout d'abord été utilisés pour la distribution du gaz », souligne Magali Rozental, expert matériaux chez Suez Environnement. Mais les produits de désinfection de l'eau jouent un rôle fondamental sur la durée de vie des tubes en PE.
SUEZ MAÎTRISE LE CYCLE DE VIE DU PE
Une enquête menée sur 45 sites et sept pays, avec 210 échantillons collectés et 1 000 analyses effectuées, a permis d'identifier cinq facteurs déterminants : le désinfectant, la température, la pression, la qualité du PE, ainsi que les conditions de pose et les contraintes auxquelles est soumis le branchement. Ils peuvent entraîner un vieillissement prématuré des tubes, dont la durée de vie peut alors passer de cinquante ans à quinze ans ou moins.
La mise en place d'un banc de vieillissement accéléré a permis de simuler ce vieillissement, de déterminer l'impact de chaque désinfectant et de tester différents matériaux : PE80, PE100, PEX, PVC ou PP. « La majorité des tubes testés sont en PE, ce qui montre bien notre volonté de pérenniser ce matériau », ajoute-t-elle. Pour chaque matériau, les chercheurs ont fait varier l'épaisseur (résistance à différentes pressions : PN 16, PN 25), le type et la qualité de PE (PE 80, PE 100), et les fournisseurs. « L'épaisseur du PE est importante, mais elle ne fait pas tout. La qualité de la résine et le travail de l'extrudeur sont également importants », précise-t-elle.
L'action des différents désinfectants a été comparée : dioxyde de chlore (ClO2), eau de Javel (HClO), monochloramine (NH2Cl). Tous entraînent des réactions d'oxydation à des vitesses différentes. Dans les conditions d'essais, seul le ClO2 a conduit à la rupture du tube. Avec le HClO, la réaction est environ sept fois plus lente qu'avec le ClO2. Avec la monochloramine, la réaction est la plus lente. Le mécanisme de fissuration est le suivant : dans un premier temps, les antioxydants présents dans le PE sont oxydés et les produits d'oxydation partent dans l'eau. L'oxydation se stabilise dans le premier millimètre de PE en contact avec l'eau ; elle fragilise ensuite la structure du matériau, allant jusqu'à la perte des propriétés mécaniques. Deux tests ont été mis au point pour éprouver les tubes : le Nol Ring Test, et le Reverse Bend Back Test. « Basé sur la norme américaine, le Nol Ring Test, développé par le LNE, a été optimisé pour aboutir à un essai reproductible (erreur de 2 % à 5 %) et discriminant. Ces tests nous permettent de savoir si le problème est lié au matériau ou à l'exploitation (conditions de pose, etc.) », explique-t-elle. Aujourd'hui, l'objectif de Suez Environnement est de faire intégrer des tests véritablement discriminants (dont le Nol Ring Test) à la nouvelle version de la norme NF 114.
Le poinçonnement, la présence d'un point dur ou d'une charge externe peuvent réduire la durée de vie du PE. Il faut donc soigner la pose des tubes. Il a aussi été vérifié que les techniques sans tranchées n'impactaient pas la performance des tubes PE, à condition que les rayures créées ne dépassent pas 10 % de l'épaisseur.
Une autre partie du travail a consisté à créer des outils d'aide à la décision pour les exploitants qui peuvent ainsi déterminer le niveau de risque et les zones prioritaires.
Au niveau de la direction des achats, Lyonnaise des eaux a sélectionné dès 2006 les fabricants qui apportaient le plus de traçabilité, et a demandé à ses sous-traitants pour la pose des branchements (plus d'un tiers des chantiers) d'utiliser le matériel qu'elle a sélectionné et qui leur est fourni, car la durée de vie du branchement dépend fortement de la qualité des produits utilisés. Ainsi, Suez Environnement a cherché à mettre en place une stratégie globale visant à maîtriser toutes les étapes du cycle de vie du PE, des achats jusqu'à la pose, en s'adaptant au contexte local.