Dans son analyse de la politique de l'eau, la Cour des comptes s'intéresse à la seule « gestion équilibrée et durable de la ressource en eau » : c'est l'objectif de la politique de l'eau d'après le code de l'environnement. Elle ne prend donc pas en compte les autres aspects de la gestion de l'eau, comme les questions sociales ou sanitaires. Elle ne précise que très discrètement le champ de son analyse : cette dernière est fondée sur la période 2002-2006 et le tout début des 9es programmes des agences de l'eau, soit 2007-2008. Elle ne peut donc pas prendre la mesure des évolutions administratives engagées depuis. Comme la réorganisation des services déconcentrés de l'État, prévoyant notamment le renforcement de la région en matière environnementale, qui est menée depuis 2008. Ou encore la montée en puissance de l'Office national de l'eau
et des milieux aquatiques ( Onema), créé au printemps 2007 et appelé à jouer un rôle central, selon le ministère de l'Écologie, « dans notre stratégie pour améliorer l'efficacité de la politique de l'eau en complément de l'action des organismes de bassin ».
La Cour appuie l'essentiel de ses critiques, d'un côté sur le non-respect par la France de ses engagements européens, et de l'autre sur le risque de « sanctions pécuniaires qui ne pèsent que sur l'État »,
corollaire des retards dans l'application des directives. La Cour regrette ainsi le fait que les instruments de gestion de l'eau « n'ont pas permis de prévenir plusieurs échecs sanctionnés
par la Cour de justice des communautés européennes », par exemple sur les taux en nitrates dans les captages de Bretagne, ou sur la directive Eaux résiduaires urbaines (ERU).
RESPECT DE LA DCE
Son attention reste cependant avant tout portée sur le respect de la directive-cadre européenne sur l'eau (DCE) de 2000. « Cette enquête a mis en lumière des insuffisances pour chacun des leviers de la politique de l'eau. Elle conduit à douter de la capacité de la France d'atteindre, dès 2015, les objectifs de qualité qu'elle s'est assignée », souligne-t-elle.
Concernant le levier financier, qui repose sur des aides, des taxes et des redevances, la Cour regrette « une allocation non optimale des ressources de la politique de l'eau. Les agences financent en effet des actions sur l'eau potable, souvent curatives, pour des montants 1,8 fois supérieurs à ce qu'elles consacrent à l'action préventive via le changement des pratiques agricoles ou la protection de la ressource. »
De plus, l'introduction d'une conditionnalité environnementale pour l'attribution des aides dans les 8es programmes des agences de l'eau est considérée « trop tardive » par la Cour. Cette dernière encourage aujourd'hui les agences à étendre cette conditionnalité « à des thématiques dites orphelines », tout en reconnaissant que « l'État les y a invitées par une circulaire de juin 2009 ».
Concernant les redevances, depuis la loi sur l'eau de 2006, « leur caractère incitatif a progressé, mais reste limité » : certains plafonds sont trop bas, d'autres forfaitisés pour tout le territoire comme la redevance pollution d'élevage. « Alors que les pollutions diffuses agricoles constituent le principal enjeu de qualité des masses d'eau, aucune redevance n'a été créée sur les apports azotés agricoles », regrette la Cour.
FAIBLES SANCTIONS
Le rapport insiste aussi sur l'insuffisance du levier réglementaire. Il ne s'étend cependant que très peu sur l'évaluation des mesures réglementaires elles-mêmes et des politiques ; en revanche, il se penche sur les contrôles par l'État de leur respect. Dans le cadre du contentieux ERU, la Cour déplore ainsi « le caractère insuffisamment répressif de la police de l'eau ».
Le nombre de contrôles effectués par la police de l'eau a fortement augmenté depuis 2005, mais le taux
de sanctions ne suit pas : seulement 1 % des contrôles conduit à une sanction. En outre, « les amendes prononcées sont peu dissuasives au regard des avantages économiques que les auteurs de l'infraction peuvent en retirer : 1 062 euros en moyenne pour
les délits, 384 euros pour les contraventions ».
INERTIE... OU RÉACTIVITÉ
La Cour regrette en outre l'inefficacité des mesures incitatives, notamment celles destinées aux agriculteurs : « Un peu plus de la moitié seulement des aides prévues dans les 9es programmes pour la lutte contre les pollutions diffuses agricoles a été consommée jusqu'à présent : 90 millions d'euros n'ont pu être engagés sur la période 2007-2008, faute de projets. » Même constat en ce qui concerne les aides destinées aux industriels, à la gestion et à la restauration des milieux ainsi qu'à la gestion quantitative de la ressource. La Cour explique cela par un « besoin d'ajustement des méthodes d'intervention des agences. Si elles savent traiter les pollutions localisées [...], elles peinent à adapter leurs interventions pour traiter les pollutions diffuses. »
En réaction à cette mise en cause, le ministre de l'Écologie, Jean-Louis Borloo, dans sa réponse au rapport de la Cour des comptes, a souhaité au contraire « souligner et reconnaître aux comités de bassin et aux agences de l'eau d'avoir su évoluer en permanence [...]. Ainsi, à l'automne 2008, les comités de bassin ont adopté des "additifs aux projets de Sdage" anticipant de plus de neuf mois le vote de la loi Grenelle 1 ».
L'organisation des services chargés de mettre en oeuvre la politique de l'eau intéresse aussi la Cour : notamment l'articulation entre volet réglementaire et volet financier. Ainsi, « la politique de l'eau est conçue au niveau du bassin en matière financière, mais au niveau du département en matière réglementaire. Ce décalage est source de dysfonctionnements », estime-t-elle.
MANQUE DE SUIVI
D'autre part, elle regrette le manque de suivi et d'évaluation des politiques engagées par les agences, comme « une appréhension encore très imparfaite de l'impact des pressions sur les milieux ».
Analysant le fonctionnement des comités de bassin, le rapport souligne que ces « parlements locaux de l'eau » sont coûteux en temps, en énergie et en crédits, mais que c'est sans doute le prix à payer pour faciliter l'appropriation des nouveaux enjeux nés de la DCE. Cependant, dans ces comités, « les groupes professionnels, par leur assiduité et leur expertise, sont mieux à même de faire prévaloir leurs préoccupations dans la durée que les élus et les associations. D'autre part, la recherche systématique du consensus peut éloigner la décision de l'optimum environnemental ».
Si les moyens d'action mis en oeuvre pour mener la politique de l'eau sont parfois inefficaces, c'est en grande partie en raison d'un défaut « d'impulsion politique et d'instruments adaptés à l'importance de l'enjeu », une impulsion qui manque surtout de la part de l'État. Ou du moins qui manquait, « avant le Grenelle de l'environnement ». L'analyse portant sur une période antérieure à ce Grenelle, elle s'en trouve moins percutante. Et l'on comprend qu'elle énerve le ministre de l'Écologie, énervement très palpable dans sa réponse, où il développe par ailleurs ses priorités.
Ainsi, il détaille un courrier qu'il a adressé en juillet 2009 aux agences de l'eau pour « insuffler » des éléments nouveaux dans les 9es programmes, à mi-parcours. Il s'agit par exemple de faire davantage appel à la conditionnalité des aides, de rechercher un meilleur coût-efficacité dans le choix des actions ou de faire appel à la maîtrise d'ouvrage directe de l'agence. Les recommandations de la Cour trouvent donc pour beaucoup un écho dans les politiques actuelles. Elles pourront peut-être les accélérer, aidant l'État à adopter une « politique plus volontariste pour atteindre l'objectif de réduction des pollutions diffuses d'origine agricole ».