Appelée à évaluer les risques liés aux nanomatériaux pour la population générale et pour l'environnement, l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail ( Afsset) reconnaît que l'état actuel des connaissances sur les nanomatériaux est très lacunaire. Ainsi, il peut exister plusieurs formes d'un même nanomatériau, aux propriétés extrêmement différentes, par exemple selon le traitement de surface appliqué. Ce qui a incité un groupe de travail de l'Organisation de coopération et de développement économiques ( OCDE), à chercher à bien caractériser chaque nanomatériau.
Autre inconnue : le devenir de ces nanomatériaux au contact des organismes et des milieux. « Pour combler les données manquantes et pouvoir faire une réelle étude de risques sanitaires et environnementaux, il faudrait cinquante ans... », estime Dominique Gombert, chef du département des expertises en santé-environnement-travail de l'Afsset. Impossible pourtant d'attendre tant de temps avant de les réglementer, d'après le directeur de l'agence Martin Guespereau : « Il faut limiter le développement des nanomatériaux aux usages essentiels, favoriser la substitution par d'autres molécules pour limiter les risques. »
INQUIÉTUDES SUR LE NANOARGENT
Un exemple, développé par l'agence dans son rapport rendu fin mars : le nanoargent. Ce nanomatériau est incorporé dans des chaussettes, par exemple, pour ses propriétés antibactériennes, antifongiques, antilevures. Cependant, lors du lavage, il est susceptible d'être extrait et de rejoindre le milieu naturel. Plus généralement, « du fait de son usage étendu dans de nombreux domaines de production (textiles, cosmétiques, agroalimentaire, etc.), l'étude estime que le nanoargent a de fortes probabilités de parvenir très facilement dans l'environnement aqueux ».
Sur les 1 015 produits contenant des nanomatériaux recensés dans le monde, plus de la moitié renferme du nanoargent. Or ce nanomatériau « risque de poser des problèmes pour les micro-organismes qui opèrent dans les stations d'épuration. Par ailleurs, la littérature scientifique montre des signaux forts de toxicité pour certaines espèces comme les poissons-zèbres : malformations, mortalité... », explique Dominique Gombert. Conclusion du rapport de l'Afsset : « L'argent utilisé sous ses différentes formes chimiques constituera certainement un risque pour l'environnement, même s'il n'est pas mesurable actuellement. » Le rapport rappelle aussi l'estimation de l'autorité de sécurité alimentaire d'Irlande (FSAI, 2008) : 15 % des émissions d'argent dans l'eau en Europe seraient issues des plastiques biocides et des textiles en 2010. Il souligne par ailleurs que « les effets associés à la taille nanométrique sont les suivants : augmentation du produit de solubilité [...], libération d'ions toxiques (par exemple des métaux) ou encore production d'espèces réactives de l'oxygène associées à des transferts d'électrons [...] extrêmement rapides. » La petite taille ne diminue donc pas le risque. Et si le nanomatériau est particulièrement stable, il risque de conserver ces caractéristiques dans les sols, les aquifères...
UNE GRILLE SIMPLIFIÉE DE QUOTATION
L'Afsset recommande donc en premier lieu l'accélération des recherches sur la toxicité et l'écotoxicité des nanomatériaux. Elle a ainsi décidé de s'autosaisir pour définir en deux ans une grille simplifiée de quotation des risques permettant de classer les nanomatériaux. Deuxième axe : l'interdiction pure et simple de certains usages au titre du principe de précaution, comme les chaussettes contenant du nanoargent. Troisième point, l'introduction d'une traçabilité et d'un étiquetage pour tous les nanomatériaux. Actuellement, les industriels utilisant des nanomatériaux n'ont aucune obligation. Seule future exception : fin 2010, un règlement européen rendra obligatoire l'étiquetage sur les cosmétiques.