C'est au début des années 1990 que Veolia Eau a remporté ses premiers contrats importants en Europe : tout d'abord au Royaume-Uni (ceux de Hundred Water Services et de Three Valleys en 1989), puis en Hongrie ( Szeged, 1994), au Portugal ( Mfra en 1996 et Ourem en 1996), en République tchèque ( Pilsen, 1996) ou à Berlin en 1999. En l'espace d'une vingtaine d'années, cette entreprise, dont l'activité reposait principalement sur le marché français, a réussi à réaliser 55,7 % de son chiffre d'affaires 2009 en dehors de la France. L'Europe (hors France) représente désormais 21,2 % et le reste du monde 34,5 %. Au sein de cette activité Europe, on retrouve ses actions au Royaume-Uni et en Europe du Nord, en Allemagne et en Europe centrale.
La clé de ce développement éclair réside dans l'adaptation du modèle contractuel aux spécificités locales des pouvoirs publics, et bien sûr dans l'amélioration des performances des services d'eau et d'assainissement. Cela implique souvent de créer des sociétés communes avec les collectivités, parfois de reprendre les actifs des sociétés publiques, ou de travailler dans le cadre d'une classique délégation de service public.
Le cas du marché de l'Europe continentale est emblématique de cette démarche. Veolia Eau y a développé une activité représentant 900 millions d'euros en l'espace de dix ans. En effet, après la chute du mur de Berlin, ces pays se sont ouverts sans tabou au capitalisme, en souhaitant s'appuyer fortement sur le secteur privé. Les logiques qui ont prévalu à Prague ou à Budapest ont cependant été différentes, comme l'explique György Palko, qui dirige Veolia Viz, filiale hongroise de Veolia Eau créée en 1992 et qui a réalisé en 2009 un chiffre d'affaires de 147 millions d'euros avec 1 800 employés : « Quand les collectivités locales ont fait appel aux entreprises privées dont Veolia Eau fait partie, elles nous ont offert le droit aux dividendes, nous ont demandé de réaliser un investissement dans la société publique locale et nous ont fixé des objectifs de performance. Mais elles n'ont jamais voulu céder la majorité des parts des sociétés publiques. » Du reste, aucune entreprise privée ne peut être majoritaire dans le capital d'une société liée à un service public en Hongrie. À Budapest où Veolia Viz gère la collecte et le traitement des eaux usées, il s'agit donc d'un contrat de management, avec une prise de participation minoritaire au capital de la société Budapest Sewage Works ( BSW) - et dont la ville de Berlin est aussi actionnaire. « Nous avons néanmoins une obligation de résultats et nous demandons pour cela d'avoir le contrôle de la société », explique György Palko. La concertation avec les élus est importante et les décisions sont souvent prises conjointement, avec des règles de fonctionnement parfois complexes. « Nous décidons de tout ce qui relève de l'exploitation, des services et de la maintenance. Les décisions concernant les constructions ou les renouvellements sont prises conjointement, tandis que les nouveaux projets relèvent uniquement de la municipalité », ajoute-t-il.
Aujourd'hui, la société BSW est une référence en Hongrie, si bien que de nombreuses villes du pays lui demandent d'être présente, avec Veolia Viz, dans le capital de leurs sociétés publiques locales. Mais Veolia Viz peut aussi choisir de répondre seul aux appels d'offres.
LE CAS DE PRAGUE
Veolia Voda, filiale tchèque créée en 1996, a une part de marché de près de 50 % ; elle emploie 5 500 salariés et réalise un chiffre d'affaires d'environ 580 millions d'euros, grâce à quarante contrats industriels et des relations commerciales avec 1 050 partenaires municipaux. Son contrat emblématique est celui de la capitale, qui a été signé en 2001 pour une durée de vingt-huit ans. Cette fois, l'appel d'offres pour la gestion de l'eau et de l'assainissement à Prague exigeait le rachat de 100 % de la société publique d'exploitation pour environ 100 millions d'euros. Si initialement le critère prix était prépondérant, le contrôle de l'exécution du contrat et les exigences pour améliorer le service ont été aussi très importants. À la sortie de l'ère soviétique, les sociétés publiques en charge des services d'eau et d'assainissement et leurs infrastructures étaient en bien mauvais état, avec d'importantes fuites sur les réseaux d'eau, une gratuité de l'eau qui tirait les consommations vers le haut (500 litres par habitant et par jour à Prague, et même 1 000 l/habitant/jour dans un pays voisin, à Bucarest, en Roumanie), des pénalités importantes pour les rejets polluants, etc.
AUTONOME À 75 %
Depuis la reprise du contrat, les fuites sur le réseau d'eau sont passées de 46 % à 21 %, les pénalités ont disparu et la station d'épuration est autonome en énergie à 75 % grâce au traitement des boues. Cette expertise en énergie a d'ailleurs diffusé sur d'autres contrats européens, par exemple à Édimbourg.
Avec un prix pour l'eau et l'assainissement passé à 2,3 euros/m3, les consommations d'eau ont baissé de 70 %. Face à ce réseau surdimensionné, il faut veiller à la qualité de l'eau distribuée et au temps de séjour de l'eau, en utilisant notamment des sondes d'analyse en continu sur le réseau. « Ce service, qui a notamment été intégré dans le contrat du Sedif où 500 sondes seront prochainement installées, va être généralisé en Europe. Le contrôle de la qualité de l'eau au robinet va d'ailleurs devenir un argument de plus en plus fort », souligne Philippe Guitard, directeur en charge de l'Europe (hors France) de Veolia Eau. Sa gestion clientèle bénéficie de nombreuses innovations : communication avec les usagers par SMS, paiement alternatif dans des commerces à l'aide d'une facture avec un code-barres, etc.
À L'EST, DU NOUVEAU
« Il y a dix ans, rares étaient les entreprises à vouloir aller sur les marchés d'Europe centrale. Aujourd'hui, nous sommes à Prague, Budapest, Bucarest, avec des contrats à long terme. Et notre croissance naturelle, c'est d'aller toujours plus à l'Est », enchérit Philippe Guitard. Les opportunités se trouvent en Pologne, Ukraine et Russie, où une ouverture aux opérateurs privés est en train de se faire. « En Russie où le modèle public prédomine encore, il y a une volonté de l'État d'améliorer les services publics, du fait de l'élévation du niveau de vie.
Le contrat de Tomsk est par exemple le premier contrat de PPP remporté depuis deux ans. » Et pour s'attaquer à ces nouveaux marchés, que ce soit pour l'exploitation ou la construction, Veolia Eau ne compte pas envoyer d'expatriés, mais mise sur ses filiales européennes où près de 10 000 personnes dont 1 000 ingénieurs parlent russe.