1. ÉVALUER LES RESSOURCES ET LES CONTRAINTES
Encore en phase de rédaction ou de consultation dans la plupart des régions, le schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie (SRCAE) s'impose comme l'outil de planification réglementaire de référence. Pour que ce document d'orientation soit utile, gare à ne pas rater le coche de la concertation.
Mitage du territoire (avec les éoliennes), concurrence pour les terres agricoles (avec les centrales solaires au sol), surexploitation de la forêt (pour la biomasse)... Les énergies renouvelables (ENR) sont parfois accusées de tous les maux. Et pour convaincre, les porteurs de projets ne peuvent plus faire l'économie d'une évaluation précise des ressources et des contraintes de déploiement. Les collectivités peuvent leur faciliter la tâche, notamment à travers la rédaction des schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie (SRCAE). Ces documents, créés par la loi Grenelle 2 et copilotés par les Régions et les services déconcentrés de l'État, ont vocation à définir le potentiel de chaque énergie pour orienter la production sur le territoire. Ils doivent être publiés d'ici cet été, sans quoi leur rédaction sera confiée au préfet. À quelques mois de l'échéance, seule une poignée de schémas sont en voie de finalisation.
Seul document opposable au schéma, le volet éolien cristallise toutes les tensions. « La circulaire de juillet 2011 indique qu'il faut définir des zones favorables les plus larges possibles », rappelle Ludovic Armand, chargé de mission au ministère de l'Écologie. Mais « par manque d'informations ou par volonté délibérée, certaines personnes croient à tort que ne pas être dans une zone d'exclusion ou de vigilance entraîne automatiquement des déploiements », regrette Emmanuel Schuddinck, délégué général du cluster éolien bourguignon WindForFuture. Illustration en Midi-Pyrénées, où une quarantaine d'associations dénonçaient, fin janvier, le « massacre de la région » par l'implantation de 800 éoliennes prévues dans le SRCAE à l'horizon 2020. Un chiffre qui ne figure pourtant pas sous cette forme dans le document. Première région à avoir publié son schéma (fin 2011) et à l'avoir voté (en mars), la Picardie a réussi à éviter cette réaction. Pour que tous les acteurs du territoire s'approprient et fassent vivre le document, la Région s'est efforcée de trouver un consensus. « Nous avons d'abord organisé de grandes réunions plénières, puis des discussions thématiques avec un nombre plus restreint d'acteurs, indique Christophe Porquier, vice-président de la Région chargé de l'énergie et du climat. Attention notamment à ne pas faire l'impasse sur le milieu universitaire. Les chercheurs sont les mieux à mêmes de travailler sur des perspectives à 2020 ou 2050. »
La concertation en soi ne suffit pas toujours pour autant. Mi-février, la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature ( Frapna) dénonçait ce qu'elle considérait comme une phase d'instrumentalisation. « Certes, les associations de protection de l'environnement représentatives sont présentes dans les assemblées plénières, mais elles sont diluées dans la masse des groupes de pression inféodés aux industriels et surreprésentés. » Et une fois que des avis différents se sont exprimés, « le choix revient au comité de pilotage, duquel les associations sont exclues ». En Picardie, plusieurs arbitrages ont évité les désaccords trop profonds. « La phase de consultation nous a permis de rééquilibrer le potentiel de certaines énergies. On était allé un peu loin sur la biomasse, ce qui a été souligné par des observateurs. On a, en revanche, réévalué les potentiels de la géothermie et du photovoltaïque, notamment en profitant du travail des autres Régions », décrit Christophe Porquier.
Au-delà de ce schéma, certaines sources d'énergie, comme le solaire, doivent faire l'objet d'études de gisements plus précises. « Il est difficile de rendre parlantes les données au niveau d'un territoire trop vaste. Choisir comme échelle une ville ou un quartier a beaucoup plus de sens », explique Angela Saadé, chargée de mission à l'association Hespul. La ville de Lyon s'est ainsi lancée dans la planification systématique du potentiel photovoltaïque pour son nouveau quartier Confluence et pour le réaménagement du quartier Sainte-Blandine. Sur le neuf, « l'objectif est d'optimiser les apports solaires actifs [photovoltaïque et thermique] et passifs [lumière et chauffage naturels]. Cela demande un travail sur les hauteurs, les ombres, les orientations. Sur l'ancien, c'est plus compliqué, mais c'est là que se trouve le plus grand potentiel ». La modélisation 3D donne de très bons résultats. Tout comme le fait de choisir un responsable chargé du projet pour vérifier que le cahier des charges initial est bien suivi.
2. PASSER À L'ACTION
De nombreuses structures juridiques permettent aux collectivités de porter directement des projets d'énergie renouvelable.
Soutenir les énergies renouvelables est une chose. Passer à la pratique en est une autre. Et les collectivités misent trop souvent sur les opérateurs privés pour matérialiser leur engagement. Plusieurs Régions ont compris néanmoins qu'elles avaient intérêt à contribuer au financement de projets pour dynamiser la filière. Soit par le biais de subventions ou de crédits d'impôts, soit en développant des outils d'accès au crédit avec des partenaires bancaires. En Poitou-Charentes, la Région a ainsi lancé, il y a un an, un « fonds de résistance photovoltaïque » prenant la forme d'avances remboursables à un taux d'intérêt de 0 %. La rentabilité de certaines énergies pousse à imaginer des options plus lucratives, qui vont au-delà de la satisfaction du devoir accompli ou de l'intérêt fiscal. Les modèles ne manquent pas : création de régies, de sociétés d'économie mixte (Sem), de sociétés publiques locales (SPL)... « Le véhicule importe moins que le projet lui-même », prévient Barthélémy Rouer, directeur de Wind Prospect.
En confiant à EDF EN le soin de construire une centrale photovoltaïque de 60 MWc sur une ancienne base militaire de l'Otan de 244,5 hectares, à Crucey-Villages, le conseil général d'Eure-et-Loir (28) a choisi l'option la plus sûre. En échange d'un bail emphytéotique de vingt-huit ans, c'est d'abord l'opérateur qui se charge de la réhabilitation de cette friche ultra-polluée qui compte encore une centaine de bâtiments amiantés en ruine et quarante cuves à hydrocarbures. Un loyer progressif permet ensuite à la collectivité de dégager 20 millions d'euros sur la durée du contrat. Les retombées fiscales annuelles sont enfin estimées à 1,2 million d'euros pour les communes avoisinantes, le Département et la Région !
Montdidier, dans la Somme (80), va plus loin en exploitant elle-même un parc éolien via une régie municipale. Un pari plus risqué... mais une bonne manière de répondre aux détracteurs locaux des ENR qui ne comprennent pas pourquoi ils devraient supporter les désagréments d'une éolienne si la plupart des dividendes sont pour des acteurs privés. « Difficile d'obtenir de bons prix pour quatre modèles », regrette la maire Catherine Quignon-Le Tyrant. Depuis, la donne a changé. Avec la disparition de la taxe professionnelle, les maires acceptent plus difficilement les opérations privées sur leur commune. Les professionnels de l'éolien ont donc compris qu'ils devaient aussi accompagner les collectivités dans leurs démarches.
Grâce à un travail en harmonie avec la filière, « on installerait aujourd'hui une éolienne de plus avec le même budget », calcule l'élue. Conséquence : l'aide exceptionnelle obtenue pour ce déploiement, justifiée par son côté novateur (un million d'euros au titre du Feder), ne serait plus nécessaire. Côté production, les résultats sont au rendez-vous. « Pendant cinq ans, nous avions prévu une phase d'amortissement sans bénéfices. Finalement, nous avons gagné 30 000 euros nets sur six mois en 2010 et 15 000 euros en 2011 malgré, une mauvaise année pour l'éolien »... Ces revenus devraient passer à 100 000 euros après cinq ans d'exercice.
Détenue à 85 % par le Syndicat d'électricité de la Vienne, la société d'économie mixte Sergies a, elle aussi, ouvert quelques brèches... Mais en partageant les risques avec plusieurs partenaires (la Caisse des dépôts et consignations, le Crédit agricole et la Société générale). Créée il y a dix ans, Sergies exploite ou est impliquée dans de nombreux projets : un parc éolien de 7 MW et un deuxième en construction, 90 000 m2 photovoltaïques d'une puissance de 12 MW, deux unités de valorisation du biogaz produits par des centres d'enfouissement de déchets (4 MW)... « Notre objectif est d'impulser une dynamique locale. Ces projets auraient peut-être vu le jour sans nous, mais pas tous, et sans doute pas si vite », estime Emmanuel Julien, président du directoire de Sergies. La Sem n'entend pas pour autant porter toute la politique ENR du territoire !
Pour l'éolien par exemple, les deux parcs ont été imaginés à un moment où aucun acteur privé n'était prêt à le faire localement. Les développeurs étant désormais plus nombreux, pas sûr que de nouveaux projets voient le jour sous la bannière Sergies. La méthanisation agricole ayant davantage de mal à se généraliser, la Sem a, en revanche, récemment investi dans la société Métha Bel air avec des éleveurs porcins (qui fournissent le lisier et récupèrent le digestat et la chaleur produite) et la coopérative Coréa.
D'autres modèles existent pour les collectivités. Entre régies et Sem, les sociétés publiques locales (SPL) permettent d'associer plusieurs acteurs publics dans une structure privée. Avec un inconvénient majeur selon Emmanuel Julien, « elles ne peuvent pas prendre de participation dans une société pour un projet en partenariat qui n'aurait pas été imaginé au départ ».
Également installée en Poitou-Charentes, la société PCER expérimente un autre modèle : la Scic (société coopérative d'intérêt collectif). Imaginée par EDF et la Région très vite rejointes par la Caisse des dépôts, PCER a été créée en 2008 et compte aujourd'hui une dizaine d'actionnaires (dont quelques banques et professionnels de la filière photovoltaïque). Elle possède cinq centrales en toitures pour une puissance d'environ 1 MWc et ambitionne de se développer dans la méthanisation, la micro-hydraulique, la biomasse...
La Scic présente l'avantage de mettre autour de la table des actionnaires aux profils tout à fait différents, avec un principe de décision « un acteur = une voix », quel que soit le montant de la participation. Autres particularités : une collectivité ne peut détenir plus de 20 % de l'entreprise et il y a une obligation d'affecter une partie des résultats en réserve. « Ce n'est pas une structure faite pour engranger des dividendes », prévient Colette Saunier, la directrice générale de PCER mise à disposition par EDF.
Au-delà des collectivités, le dernier levier à actionner pour le déploiement territorial des ENR est sans conteste celui des fonds citoyens. Les projets participatifs facilitent l'appropriation locale des projets. En pays de Vilaine, une SAS, portée notamment par 55 Cigales regroupant chacune de nombreux actionnaires a obtenu en 2008 un permis pour construire quatre éoliennes. Mais ces projets ne sont pas légion en France. « Au-delà de 99 investisseurs, il faut faire une demande de visa à l'autorité des marchés financiers : une démarche très lourde », justifie Laurianne Fleury, animatrice du réseau Taranis créé pour soutenir ceux qui veulent se lancer. La création du fonds national citoyen Énergie partagée devrait changer la donne : la structure a obtenu son visa en septembre dernier et peut désormais servir de relais pour les porteurs de projets.
3. TROUVER UN ÉQUILIBRE LOCAL
Pour l'électricité, le gaz et la chaleur, mettre en adéquation l'offre et la demande d'énergie devrait être plus facile avec les réseaux intelligents. Les énergies renouvelables doivent aussi apprendre à s'équilibrer entre elles.
Décentralisées et intermittentes, les énergies renouvelables bouleversent l'équilibre des réseaux de distribution conçus selon une architecture unidirectionnelle. Pour accompagner leur essor, il devient urgent de développer des solutions de stockage, de nouvelles interconnexions et des techniques capables d'agir simultanément sur l'offre et la demande. Ce travail commence au niveau des grandes infrastructures. « Contrairement a une idée répandue, la production d'électricité renouvelable ne signifie nullement la fin des grands réseaux de transport. Au contraire... analyse Hervé Mignon, spécialiste de la prospective chez RTE. Le premier défi est géographique, car les nouvelles sources de production se situent souvent loin des zones de consommation. Le second est temporel, car si les éoliennes ou les parcs photovoltaïques se créent en trois ou quatre ans, la construction de nouvelles lignes nécessite presque dix ans. »
Au niveau du réseau de distribution, auquel sont directement reliés 99 % des installations photovoltaïques et 95 % des parcs éoliens (jusqu'à 12 MW), « nous comptons beaucoup sur la publication dans le courant de l'année du décret sur les schémas régionaux de raccordement au réseau (S3RENR), insiste, quant à lui, Gilles Galléan, directeur technique d'ERDF. En identifiant des zones prioritaires, ils vont offrir de la visibilité aux opérateurs. Nous pourrons investir pour préparer l'arrivée de nouveaux projets. »
Parallèlement, les démonstrateurs de smartgrids, ou réseaux intelligents, se multiplient (Venteea pour l'infrastructure moyenne tension, Nicegrid, Issygrid et autre Greenlys pour le réseau basse tension...). Enjeux : tester des fonctions d'automatisme, des capacités d'effacement, des solutions de stockage... Et des aspects moins techniques, comme le comportement des utilisateurs en cas de pic de consommation. « À terme, nous devrions être en mesure d'envoyer un signal prix quand il y a une surproduction pour déclencher la recharge de véhicules électriques ou le lancement d'appareils électroménagers », illustre Gilles Galléan. « Il ne faudrait pas que l'avènement des smartgrids conduise à miser sur le tout électrique, prévient Emmanuel Goy, délégué général adjoint d'Amorce. N'oublions pas que la chaleur représente la moitié de nos besoins. » L'équilibre à trouver entre la production d'ENR et la consommation passe donc par un développement plus cohérent des réseaux d'énergie. « La collectivité est l'autorité concédante sur le gaz, l'électricité et la chaleur. Si elle met en place un réseau de chaleur renouvelable sur un quartier, elle a tout intérêt à ne pas développer parallèlement un réseau de gaz qui viendrait le concurrencer. » À Dunkerque, un accord a par exemple été passé en ce sens avec GRDF. En contrepartie, la communauté urbaine aide l'opérateur à développer le réseau là où il y a beaucoup de chauffage au fioul ou électrique... Évitant d'ailleurs les renforcements inutiles du réseau électrique.
Sur le réseau de gaz, l'émergence du biométhane change aussi la donne. « Lorsqu'il y a une demande d'injection, on évalue le débit qui peut être accepté par la consommation locale et on cherche avec le porteur de projet les différentes options », décrit Claire Brecq, spécialiste de la question chez GRDF. Y a-t-il une possibilité de réduire la production d'été lorsque la demande de gaz est assez faible ? Peut-on interconnecter deux zones de distribution (à la charge du porteur de projet) ? « C'est du cas par cas », insiste-t-elle. À Lille, la première ville à tester le procédé depuis l'été dernier, la proximité d'une grande zone de consommation permet d'injecter 700 m3 de méthane par heure. Dans la petite ville de Morsbach, en Moselle, le site Méthavalor, qui s'apprête à lancer son expérimentation, ne pourra pas lui dépasser 150 voire 200 m3/h. « À plus long terme, le réseau de gaz peut aussi devenir dynamique », poursuit Claire Breck. Le rebours, c'est-à-dire la possibilité de remonter du méthane dans une artère de pression supérieure quand il y a une surproduction locale, pourrait s'imposer. « Comprimer du gaz n'est pas difficile en soi, mais gérer des flux bidirectionnels est assez nouveau. Cela modifie notamment les règles d'allocation. » Autre possibilité, prévoir une deuxième connexion pour le site de méthanisation, directement vers le réseau de transport. « Il y a un projet en Allemagne, mais c'est un cas très particulier. Il faut une situation géographique exceptionnelle et le double raccordement est coûteux. » La dernière étape sera, comme pour l'électricité, la marche vers les réseaux intelligents avec davantage d'interconnexions, de rebours, de compteurs communicants... Voire une continuité entre les réseaux électriques et de gaz avec des possibilités de fabriquer une énergie à partir de l'autre.