EM : Comment accueillez-vous le débat national sur la transition énergétique : les termes sont-ils bien posés ?
Il y a un souhait général dans la population pour débattre de ces sujets, en raison du contexte international nouveau : hausse des prix du pétrole, essor des hydrocarbures non conventionnels, catastrophe de Fukushima. Le problème est qu'il existe trois conceptions différentes de la transition énergétique : celle qui veut alléger la dépendance aux énergies fossiles, é met-trices de gaz à effet de serre, mais sur lesquelles reposent 80 % de nos usages ; celle qui veut à la fois se passer de fossiles et de nucléaire en misant sur les renouvelables ; et celle qui associe toutes les sources d'énergie, équitablement, mais à faible dose pour chacune. Les incertitudes économiques montrent que cette dernière approche est la plus prudente.
EM : Pourquoi recommandez-vous de « ne pas se fixer aujourd'hui d'objectif de part du nucléaire à quelque horizon que ce soit », alors que François Hollande veut la réduire ?
Justement, parce qu'il y a beaucoup d'incertitudes é co-no miques sur la planète énergie. Le parc nucléaire français a donné au pays une électricité bon marché, si bien qu'économiquement un moindre recours à l'atome, a fortiori une sortie du nucléaire, ne se justifie pas. Dans notre rapport, nous disons qu'il n'y a aucune raison de fermer les centrales qui fonctionnent, sauf, bien sûr, avis contraire de l'Autorité de sûreté nucléaire. Assigner un chiffre « mythique » à la part du nucléaire dans le mix à l'horizon 2020 ou 2030 est une erreur, car c'est faire abstraction du progrès technique qui s'opère entre-temps.
EM : Le nucléaire, en particulier la génération 4, reste donc une énergie d'avenir ?
Le parc français en est à la génération 2 ; l'EPR relève de la génération 3, plus sûre, plus puissante, mais plus coûteuse ; donc oui : par la force des choses, l'avenir est la génération 4, celle des surrégénérateurs, refroidis au sodium ou non. Leur atout est d'économiser du com-bus-tible, à puissance égale, et de retraiter les déchets ; c'est le sens du projet Astrid (retenu en 2010 au titre des Investissements d'avenir, ndlr). La France commettrait une erreur d'arrêter ses recherches en la matière, elle qui a reconquis l'avance perdue en 1997 à la fermeture de Superphénix devant les Chinois, les Russes, les Coréens et les Américains.
EM : Dans l'optique d'une diversification du mix, le gaz se contentera-t-il d'être une énergie de transition ?
On lui a longtemps prêté bien des vertus : moindres émissions de gaz à effet de serre, souplesse de transport et d'utilisation, meilleure distribution géographique. Mais, aujourd'hui, la compétitivité des centrales à cycle combiné au gaz est compromise par le charbon, dont les prix ont chuté en raison de son remplacement, aux États-Unis, par des gaz de schiste : mis au placard dans un pays où il assurait la moitié de la production d'électricité, le charbon est devenu excédentaire, et son prix a chuté, y compris en Europe. D'autre part, l'intérêt du gaz comme énergie de soutien aux renouvelables est amoindri par le fait que les centrales de backup (prenant le relais de l'éolien en l'absence de vent ou du photovoltaïque en l'absence de soleil) ont du mal à être rentables. En effet, leur facteur de charge est très bas : elles ne tournent pas assez dans l'année, alors que l'investissement à la construction est élevé. Enfin, les prix du gaz suivent les prix du pétrole, qui poursuivront forcément leur hausse.
EM : Même si la France produit son propre gaz, avec du gaz de schiste, ce qui allégerait d'ailleurs la balance commerciale ?
La rentabilité d'une exploitation des gaz de schiste en France reste à prouver, tout comme la question de leur présence en masse dans le sous-sol français et celle de l'impact environnemental de leur extraction. Mais soyons rationnels : avant de répondre à tout cela, il faut prospecter. Cela aurait au moins le mérite de montrer aux Russes de Gazprom que nous pouvons examiner d'autres solutions avant de nous jeter dans leurs bras ! S'ils existent en grande quantité dans notre pays, les gaz de schiste se posent certes comme un remède à la facture énergétique, mais aussi à la désindustrialisation : aux États-Unis, des centaines d'usines sont revenues s'implanter sur le territoire, attirées par une énergie bon marché.
EM : Comment développer les énergies renouvelables à l'heure où l'éolien piétine et le solaire s'écroule ?
En développant une vision industrielle des renouvelables : photovoltaïque de nouvelles générations, biomasse, petite hydraulique. Regardez l'éolien terrestre : en le déployant à échelle industrielle, la filière est presque parvenue au prix de marché : 80 euros le mégawatt-heure, contre 75 pour l'EPR. Deuxième moyen : taxer les panneaux solaires chinois à l'entrée de l'Europe, dans le cadre de la clause de sauvegarde de l'OMC prévue pour les industries en péril. Bonifier le tarif d'achat des panneaux « made in UE » me paraît délicat, car cela pèsera encore sur la contribution au service public de l'électricité (CSPE), payée par tous les consommateurs.
EM : Le rapport Énergies 2050 recommande de « faire de la sobriété et de l'efficacité énergétique une grande cause nationale ». La nouvelle directive européenne vous semble-t-elle à la hauteur de l'enjeu ?
Elle va dans le bon sens, notamment en généralisant à l'Union le système des certificats d'économie d'énergie. En France, on a fait le plus facile en changeant les chaudières ; il faut main tenant s'attaquer au gros morceau : le logement et les transports. Pour cela, je compte sur le signal prix : en rétablissant la vérité des prix (des carburants, en particulier), on montre que l'énergie est chère, ce qui pousse à l'économiser. Et, ce, dès le premier litre ou le premier kilowattheure, à l'inverse de la tarification progressive souhaitée par François Hollande. Et en aidant les moins riches par des mé ca nismes comme le tarif électrique de première nécessité, l'exonération de CSPE ou l'octroi d'un « chèque-énergie ».