Aujourd’hui, énergies renouvelables riment avec batteries. Il va devenir difficile de multiplier les projets sans au moins envisager de déployer des solutions de stockage d’électricité. En effet, l’éolien et le photovoltaïque peuvent déstabiliser le réseau électrique, notamment à l’échelle locale, car la production peut s’arrêter brutalement. « Pour augmenter la pénétration des énergies renouvelables intermittentes, il faut des moyens de stockage à l’échelle d’un quartier, voire d’une maison », estime Laurent Torcheux, chef du groupe batteries chez EDF.Est-ce déjà indispensable ? Les besoins de stockage d’électricité se font, en tout cas, sentir dans les îles comme la Réunion, la Guadeloupe ou la Martinique, et même la Corse. En effet, ces îles sont peu ou pas connectées au continent, et sont particulièrement propices à l’éolien et au solaire. Encore faut-il que le réseau électrique soit capable de les accueillir. L'enjeu ? Faire en sorte que cette énergie ne soit pas perdue lorsque la production est supérieure à la consommation. La solution passe par le recours aux batteries, à la fois sur du très court terme (quelques minutes) pour soutenir le réseau, et sur du long terme (plusieurs heures) pour valoriser au mieux la production énergétique.Le stockage est particulièrement crucial pour le solaire, puisqu’une installation photovoltaïque peut passer de la puissance maximum à zéro, et inversement, en quelques secondes. Par exemple, lors du passage d’un nuage. « Cette variabilité du photovoltaïque pose des problèmes d’intermittence parfois violents, souligne Christophe Le Bossé, chef du projet Nice Grid chez Enedis (ex ERDF). Or, les batteries sont un remède : leur temps de réaction, bien inférieure à la seconde, est plus rapide que les variations lumineuses. » L’éolien, lui, est moins variable : le vent ne tombe jamais si soudainement. Néanmoins, lorsque les énergies renouvelables augmenteront dans le mix énergétique, la gestion du réseau de certaines régions pourrait un jour s'avérer problématique en absence de stockage. Les acteurs s’y préparent, comme Saft et Schneider Electric. Ils viennent d’installer dans l’Aube une batterie lithium-ion de 2 MW de puissance et 1,3 MWh de stockage. Elle est associée à un système de gestion de l’énergie pour mieux intégrer la production éolienne dans le cadre du projet Venteea.En quelques années, le marché du stockage a profondément changé. Certes, les batteries au plomb restent les plus vendues – elles représentent 90 % du marché en termes d’énergie, et 70 % en valeur –, mais elles restent cantonnées à quelques applications : le démarrage de nos voitures à essence ou diesel, l’alimentation des chariots élévateurs, et quelques applications en alimentation électrique de secours. Leur atout essentiel : un très faible coût. Mais elles ont aussi de nombreux défauts : elles se détériorent rapidement, doivent être vérifiées périodiquement, et n’ont pas de bons rendements.La star incontestable aujourd’hui, c’est la batterie lithium-ion. Elle déferle comme un raz-de-marée sur presque toutes les applications. Hier encore, à cause de son prix, elle était cantonnée, aux usages les plus exigeants comme les voitures électriques, qui nécessitent des batteries à la fois légères et très efficaces. Mais grâce aux efforts de R&D menés pour ce débouché, les coûts du lithium-ion ont fortement chuté. « Il y a trois ans, nous achetions les éléments d’une batterie pour 600 euros par kilowattheure, témoigne Marion Perrin, responsable du service stockage et réseaux électriques à l’Institut national de l’énergie solaire (Ines). Aujourd’hui, cela nous coûte 200 euros ! » En Allemagne, pour l’autoconsommation de l’électricité photovoltaïque, 70 % des installations comportaient des batteries au plomb il y a quelques années. Aujourd’hui, 90 % des nouvelles installations sont équipées de lithium-ion. De plus, quand elles ont perdu plus de 30 % de leurs capacités, les batteries de voitures peuvent connaître une seconde vie pour le stockage stationnaire.La batterie « de luxe » devient donc accessible à toutes les bourses ou presque. Environ 75 % des projets recensés par le Department of Energy (DOE) américain comportent ainsi des batteries lithium-ion. « Elle est suffisamment souple pour répondre à des besoins d’énergie ou de puissance très différents, et ses rendements sont bien supérieurs à toutes les autres batteries », note Marion Perrin. Ainsi, on la trouve aussi bien dans nos téléphones portables que dans des stockages de 30 mégawatts. Le pétrolier Total ne s’y est pas trompé. Il vient d’acquérir le fabricant de batteries lithium-ion Saft pour un milliard d’euros, un achat clairement en lien avec ses investissements dans les énergies renouvelables. Notamment la fabrication de panneaux solaires avec sa filiale Sunpower.De plus en plus d’appels d’offres pour des énergies renouvelables comportent aujourd’hui une obligation de stockage. La ministre de l’Environnement Ségolène Royal a ainsi dévoilé mi-juin les 33 lauréats de l’appel d’offres photovoltaïque et stockage dans les îles. « En 2013, dans les appels d’offres, les propositions pour le photovoltaïque allié au stockage s’élevaient à 440 euros/MWh, se souvient Marion Perrin. Dans la dernière édition, ces tarifs sont descendus autour de 230 euros/MWh. » Ailleurs, les projets commerciaux existent déjà, comme ce stockage de 2 MW par des batteries Li-ion de Saft aux îles Féroé au large de l’Europe du Nord, permettant d’augmenter la production d’électricité éolienne.Cependant, n’enterrons pas trop vite les autres technologies. Les batteries sodium soufre pâtissent des doutes sur leur sécurité, et devront sans aucun doute progresser pour se refaire une place sur le marché. En revanche, d’autres solutions pourraient tirer leur épingle du jeu à plus long terme. « Les batteries lithium-ion sont idéales pour lisser la production intermittente, en cas de brusque arrêt de production, ou au contraire de montée rapide, observe Laurent Torcheux. Cela correspond bien aux besoins actuels des énergies renouvelables. Mais elles restent trop coûteuses pour un stockage de plus longue durée, par exemple pour se charger le jour et se décharger la nuit dans le cas du photovoltaïque. » Là, des technologies moins coûteuses auront toute leur place, vers 2020-2025. EDF travaille ainsi sur des batteries zinc-air, encore en développement, avec une commercialisation envisagée vers 2020-2023. D’autres parient sur les batteries à concentration, également appelées batteries redox-flow). La batterie au plomb elle-même n’a pas dit son dernier mot : ses rendements s’améliorent, de même que sa cyclabilité. C'est-à-dire sa capacité à être chargée et déchargée souvent sans dégradation de ses performances. Mais ces technologies devront encore largement progresser pour s’affirmer face au succès du lithium-ion. Leurs marchés seront au départ surtout dans les zones où les réseaux électriques sont petits ou peu fiables, nécessitant des stockages de longue durée : îles et pays en développement.Au-delà des batteries elles-mêmes, tout un système de gestion du stockage qui se met en place, avec des prévisions en lien avec la météo et la modulation de la demande. C’est le cas notamment dans le démonstrateur Nice Grid, et cela devrait prendre de l’ampleur avec l’essor des véhicules électriques. « On peut les considérer comme des batteries sur roues : non seulement on peut différer leur recharge aux moments propices, mais on peut même les décharger en partie pour soutenir le réseau aux moments tendus », rappelle Marion Perrin. C’est tout le stockage d’électricité qui connaît aujourd’hui des changements très structurants.Cécile Michaut