Le droit de la navigation intérieure était jusqu'à présent un ensemble de textes épars. Avec l'adoption de la partie législative du Code des transports par voie d'ordonnance en 2010 (1), la France avait entamé une salutaire œuvre de structuration et de consolidation des textes à droit constant. Par décret n° 2013-253 du 25 mars 2013, une seconde étape a été franchie consistant à regrouper divers textes d'origine réglementaire afin de constituer la partie réglementaire du Code (2). Certes, un code existait, il s'agissait du Code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure (3), mais il ne restait guère qu'une vingtaine d'articles en vigueur sur les 232 articles d'origine, du fait de l'adoption du Code général de la propriété des personnes publiques (Cgppp) en 2006, puis du Code des transports en 2010.
Ainsi, le décret n° 2013-253 codifie les dispositions réglementaires de la quatrième partie du Code des transports relative à la navigation intérieure et au transport fluvial, relevant d'un décret en Conseil d'État ou d'un décret simple. Les dispositions de l'annexe au décret n° 2013-253 constituent la quatrième partie réglementaire relative à la navigation intérieure et au transport fluvial du Code des transports. L'article 4 du décret fixe la liste des décrets abrogés parce que repris dans le nouveau code, tandis que ceux dont l'abrogation est reportée figurent à l'article 7. Ainsi, n'entreront en vigueur que le 1er septembre 2014, les articles du Code des transports, créés par le décret, concernant la police de la navigation intérieure, à l'exception de ceux relatifs à la délivrance des autorisations spéciales de transport requises pour les déplacements de bateaux dont les dimensions ne répondent pas aux caractéristiques d'une voie d'eau intérieure (R. 4241-35), ainsi qu'à l'obligation de communiquer en langue française pour les équipages de bateaux soumis à l'obligation d'installation embarquée de radiotéléphonie (R. 4241-8). Il en est de même des dispositions relatives à l'obligation de disposer à bord de certains documents de bord et au contrôle, soit de la conformité du bateau au titre de navigation et des modifications apportées au Code de procédure pénale destinées à rendre applicable le dispositif de l'amende forfaitaire aux infractions des quatre premières classes prévues par le Code des transports en matière d'identification du bateau, de règlements de police de la navigation et de règlement de la circulation sur les dépendances du domaine public fluvial (R. 4241-31).
Les articles du Code des transports, créés par le décret, relatifs au conseil d'administration de Voies navigables de France (Vnf) entreront en vigueur seulement une fois proclamés les résultats des élections des représentants du personnel au sein du nouveau conseil d'administration organisées au plus tard le 1er janvier 2014 (R. 4312-1). Jusqu'à la constitution du comité technique unique de Voies navigables de France, la fonction dévolue au secrétaire de la formation représentant les salariés de droit privé est assurée par le secrétaire du comité d'entreprise de Voies navigables de France. La quatrième partie du Code des transports s'organise en six livres. Le premier s'intitule « Le bateau » et traite notamment de son régime d'identification et de propriété. Le second, « La navigation intérieure » intègre le nouveau règlement général de police de la navigation intérieure en application des règles harmonisées pour les voies navigables européennes. Il renferme également les normes techniques à respecter pour la délivrance d'un titre de navigation de bateau et établissements flottants et les règles d'obtention d'un certificat de conduite des unités de navigation. Le troisième « Voies navigables de France et ports fluviaux » contient les dispositions visant le nouvel établissement public Vnf consécutivement à la réforme de cet établissement et les textes relatifs aux ports fluviaux, notamment le Port autonome de Paris, dont le statut vient d'être modifié. Le quatrième livre dit « Le transport fluvial » traite de la réglementation du transport fluvial et de la batellerie artisanale, mais aussi d'autres acteurs comme les courtiers de fret fluviaux. Ce livre IV contient également les modèles types supplétifs de contrat de transport applicables au transport fluvial (4). Le cinquième intitulé « Personnels des entreprises de navigation intérieure » traite de leur régime de travail. Enfin, le dernier livre contient les « Dispositions spécifiques à l'outre-mer » (5). La quatrième partie du Code des transports ainsi adoptée est constituée de plus d'un millier de nouveaux articles numérotés indifféremment R ou D, de R 4000-1 à R 4651-4. Les articles identifiés par un « R » correspondent aux dispositions relevant d'un décret en Conseil d'État ; ceux identifiés par un « D » correspondent aux dispositions relevant d'un décret simple.
Nous avions eu l'occasion, il y a un an dans ces colonnes, de présenter l'état du droit du transport fluvial à l'heure du développement durable (6). À cette occasion, nous avions relevé que les efforts de l'État s'étaient jusqu'à présent portés sur la modernisation des textes encadrant l'immatriculation et l'homologation les bateaux à partir de 2007 (7) après avoir modernisé les textes relatifs à l'activité du transport lui-même totalement libéralisé en 2000 (8). Dans un monde où les hommes comme les marchandises sont de plus en mobiles du fait de l'accroissement du commerce international et de l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale traditionnellement utilisateurs du transport fluvial, il importait de moderniser les règles encadrant la circulation en eaux intérieures. Le processus est aujourd'hui engagé avec l'adoption de la partie réglementaire du Code des transports.
Parmi les textes dont l'abrogation est reportée par l'article 7 du décret du 25 mars 2013, figure le décret n° 73-912 du 21 septembre 1973 portant règlement général de police de la navigation intérieure. Il est en soi l'équivalent d'un Code de navigation et mérite à ce titre un développement particulier.
I. Les textes régissant la circulation fluviale en vigueur avant la réforme des règles de navigation intérieure
Avant d'évaluer la réforme en cours, examinons les textes en vigueur, d'autant que ceux-ci demeureront applicables jusqu'au 1er septembre 2014. La navigation fluviale est encadrée depuis 1973 par un règlement général de police, communément appelé Rgp (9). Ce texte pose les règles générales applicables sur l'ensemble des rivières, plans d'eau et canaux en matière de navigation intérieure, qu'il s'agisse de la plaisance ou du transport de marchandises ou de personnes. Sur les parties des cours d'eau, lacs et canaux déclassées ou rayées de la nomenclature, les usagers naviguent à leurs risques et périls conformément aux dispositions de l'article 1er du décret n° 6952 du 10 janvier 1969 selon lesquelles « aucune dépense autre que celles nécessaires pour rétablir, en cas de nécessité, la situation naturelle ne sera faite par l'État au titre des ouvrages intéressant antérieurement la navigation ». S'agissant des cours d'eau ou plans d'eau non domaniaux, la navigation est subordonnée au respect des droits des propriétaires riverains et des tiers et s'effectue aux risques et périls des navigants, aucune obligation d'entretien n'étant imposée aux propriétaires riverains pour la navigation de loisirs des tiers.
Organisé en dix chapitres, le Rgp traite des règles générales de conduite, du rôle et devoirs de l'équipage, de la construction des bateaux, des documents de bords, des signalisations de jour et de nuit, des règles de stationnement des bateaux de marchandises générales ou dangereuses, des passages et priorités aux ouvrages, des activités de loisirs et manifestations nautiques et bien entendu des pouvoirs de police de l'administration.
Des règlements particuliers de police (Rpp) complètent pour chaque bassin de navigation ou partie de bassin les dispositions générales du Rgp. Ces Rpp sont adoptées par arrêtés préfectoraux lorsqu'il y a lieu de prescrire des dispositions de police applicables à l'intérieur d'un seul département, par arrêtés interpréfectoraux pour les dispositions applicables dans plusieurs départements et concernant les lacs, retenues et étangs ainsi que leurs dépendances, ou arrêtés ministériels pour les dispositions applicables dans plusieurs départements et concernant les fleuves, rivières et canaux ainsi que leurs dépendances.
Ces règlements particuliers ont déterminé et déterminent jusqu'en septembre 2014 au plus tard les conditions dans lesquelles sont précisées par voie d'avis à la batellerie les modalités d'application pratiques et ponctuelles de certaines de leurs dispositions. Si le Rgp a plutôt bien vieilli, les Rpp n'ont pas ou peu suivi l'évolution du réseau. En effet, la grosse centaine de Rpp existants en France n'a fait l'objet que de rares mises à jour par les services de l'État, alors que le gabarit des voies, la fréquentation, le niveau de service du gestionnaire évoluaient. Ces textes sont aujourd'hui en grande partie obsolètes et ne répondent plus aux exigences modernes de la navigation fluviale. Ils sont pourtant essentiels et constituent l'ossature d'une mission régalienne de l'État que celui-ci conserve même sur le domaine public fluvial navigable décentralisé aux collectivités locales : la police de la navigation.
La police de la navigation est traditionnellement assurée par l'État par l'intermédiaire du préfet de département qui s'appuie sur les services déconcentrés du ministère chargé de l'écologie et des Transports, et notamment sur les services spécialisés de la navigation. Si le Rgp confère au préfet des prérogatives importantes en matière de police administrative pour adopter les Rpp départementaux, définir les règles de route, délivrer les autorisations spéciales de transport exceptionnel sur la voie d'eau, adopter les plans de signalisation ou autoriser l'organisation de manifestations nautiques, le chef du service de la navigation disposait de pouvoirs propres conférés par l'article 1.22 du décret de 1973 en matière d'adoption de mesures temporaires de restrictions ou de suspension de la navigation qui étaient portées à connaissance des navigants par avis à la batellerie. Ces avis sont aujourd'hui dématérialisés et transmis en temps réels aux navigants par Vnf pour le réseau qu'il gère mais également les réseaux connexes relevant d'autres gestionnaires. Les agents des services de l'État assurent en outre la police répressive aux côtés des traditionnelles forces de l'ordre et notamment des brigades fluviales de gendarmerie.
Avec la disparition des services de la navigation du ministère des Transports découlant du transfert de ces agents à l'établissement public Vnf au 1er janvier 2013 (10), les missions de police sont désormais assurées par les Ddtm (directions départementales des territoires et de la mer) pour le compte du préfet. Par décret n° 2012-1556 du 28 décembre 2012 pris en application de l'article L. 4241-3 du Code des transports, les gestionnaires de voies d'eau (notamment les directions territoriales de Vnf, mais aussi les collectivités gestionnaires de cours d'eau décentralisés) se sont vu reconnaître le droit d'adopter en cas d'incident d'exploitation, de travaux ou d'événement climatique, une mesure temporaire visant à interrompre ou modifier les règles de route, vitesses autorisées, règles de stationnement ou caractéristiques de la voie navigable fixées par les règlements particuliers de police (11). Sauf en cas d'événement climatique perturbant la navigation, la durée de chaque mesure temporaire ne peut excéder dix jours dans le cas d'une interruption de navigation et trente jours dans les autres cas (12).
II. Le processus de réforme des règles de navigation intérieure
L'architecture actuelle des textes (Rgp national et Rpp locaux) découle expressément des articles L. 4241-1 et 2 du Code des transports. Selon l'article 2 du décret n° 2012-722 du 9 mai 2012 modifiant les statuts de Vnf (13), les services de Vnf préparent pour le compte du préfet les projets de Rpp, les autorisations de manifestations nautiques, autorisations spéciales de transport, plans de signalisation, actes de déplacement d'office. Sur les autres voies, cette compétence relève, selon les délégations de compétences consenties par les préfets, des Ddtm. Notons cependant qu'en cas d'expérimentation, les directions territoriales de Vnf peuvent dans les conditions de l'article L. 3113-2 du Cgppp, apporter leur assistance aux collectivités bénéficiaires d'une expérimentation.
La réforme du Rgp se traduit bien sûr par sa codification dans le Code des transports (14). En l'absence de nouveau Rpp dûment approuvé et publié sur une voie, seules les dispositions du nouveau règlement général de police s'appliqueront et s'opposeront sur cette voie. Ce nouveau Rgp traite de la signalisation (visuelle, lumineuse ou sonore), du balisage, de la signalisation, des règles de route, des règles de stationnement, des dispositions spécifiques applicables aux convois et matières dangereuses, des sports et activités nautiques, de la protection des eaux et des déchets, des marquages de bateaux. Parmi les nouveautés introduites par les textes, citons le nouvel article R. 4241-38-1 du Code des transports qui précise la façon dont sont instruites et délivrées les demandes d'autorisation d'interruption de navigation pour la tenue de manifestation nautique. L'instruction est faite par les services de l'État en lien avec le gestionnaire de la voie, voire par ses soins comme dans le cas de Vnf (15), avant d'être délivrée par le préfet en tant qu'autorité chargée de la police de la navigation.
On le voit au travers de ce qui précède, un travail de restructuration et de modernisation des textes touchant au secteur fluvial est engagée. Ce travail atteste d'une prise de conscience de la nation pour un mode de transport respectueux de l'environnement et dont le renouveau est réel. Le même jour qu'était publié le décret n° 2013-253 (16) portant adoption de la partie réglementaire du Code, était adopté le décret n° 2013-251. Ce décret codifie dans la quatrième partie du Code des transports les dispositions réglementaires applicables à la navigation intérieure et au transport fluvial relevant d'un décret en Conseil d'État délibéré en conseil des ministres. Il s'agit, d'une part, des modalités de désignation du préfet de département dans lequel le « service instructeur » a son siège (17). Le service instructeur est en effet un service déconcentré du ministère des Transports à périmètre interpréfectoral chargé de l'immatriculation des bateaux et de la délivrance des certificats de jaugeage, des titres de navigation, des certificats de capacité, des certificats d'agrément et des documents spécifiques à la navigation sur le Rhin. Il s'agit, d'autre part, des dispositions afférentes à la désignation du préfet de la région Nord-Pas-de-Calais comme autorité compétente pour accomplir certaines formalités encadrant l'exercice de la profession de transporteur fluvial et de courtier de fret fluvial (18). Certaines dispositions n'entreront en vigueur qu'à compter du 1er janvier 2014 comme celles relatives à la délivrance, pour certains bateaux à passagers, des titres de navigation (19).
Notons par ailleurs que dans le cadre de la récente loi n° 2013-431 du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports, trois articles importants concernant le secteur fluvial ont été adoptés (20). L'article 24 de la loi crée un nouvel article L. 4244-1 au sein du Code des transports permettant le déplacement d'office des bateaux qui stationneraient sur les voies fluviales en méconnaissance du règlement général de police de la navigation intérieure ou compromettraient la sécurité des usagers du domaine public fluvial. La modification de l'article L. 1127-3 du Code général de la propriété des personnes publiques a précisément pour objet de préciser la procédure d'abandon pour les bateaux épaves ou non gardés, qu'ils soient en stationnement régulier ou non sur le domaine public fluvial.
L'article 25 habilite les agents des ports autonomes fluviaux à verbaliser les contraventions de grande voirie et adapte le régime de protection des voies ferrées portuaires. Il importe en effet de tirer les conséquences de la réforme de Voies navigables de France issue de la loi du 24 janvier 2012 qui a eu pour effet de supprimer les services de navigation au 1er janvier 2013 et ainsi de priver les ports autonomes fluviaux de la possibilité de solliciter les agents des anciens services de la navigation pour dresser des procès-verbaux de contravention de grande voirie. L'article 26 concerne les ressources du Port autonome de Paris (Pap). Dans la ligne de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui considère que la détermination des catégories de ressources des établissements publics relève du législateur, cet article a pour finalité d'insérer expressément les droits de port dans l'énumération des catégories de ressources du Port de Paris figurant à l'article L. 4322-20 du Code des transports qui codifie les textes fondateurs du Pap, tout en renvoyant à un décret en Conseil d'État la définition de leurs règles d'assiette, de liquidation et de recouvrement.