En six ans, la filière des déchets d'équipements électriques et électroniques (D3E) ménagers est rapidement montée en puissance en termes de couverture du territoire et de performances, atteignant presque 7 kg collectés par habitant en 2012. Pas mal ! Mais depuis deux ans, les résultats plafonnent. « Les objectifs assignés à la filière pour 2019 sont de 14 kg par habitant et par an : il va falloir doubler les volumes collectés en cinq ans », prévient Christian Brabant, président de l'OCAD3E, l'instance coordinatrice de la filière et directeur général d'Ecosystèmes. Cet enjeu sera celui du réagrément des éco-organismes, qui aura lieu à la fin de l'année. Les travaux préparatoires commencent à s'engager : il faut dresser le bilan de la période allant de 2010 à 2014 et imaginer de nouveaux moyens pour atteindre les objectifs. « La filière D3E se trouve à un moment charnière, avec cet enjeu de doublement des performances, des interrogations sur ce qu'il advient réellement des tonnages manquants, et de fortes attentes sur les manières de mieux capter le gisement, confirme Baptiste Legay, chef du bureau de la Qualité écologique des produits à la direction générale de la Prévention des risques (DGPR) du ministère de l'Écologie. Il existe plusieurs pistes. Toutes vont devoir être exploitées. »
La première de ces pistes pour augmenter les performances réside dans un meilleur fonctionnement du 1 pour 1 : l'obligation, pour les distributeurs, de reprendre un appareil usagé lors de l'achat d'un produit similaire neuf. Cette reprise en magasins était censée fournir la majorité des tonnages de la filière. Pourtant, c'est en déchèterie que les deux tiers des D3E sont collectés. « Il faut se pencher sur ce système du 1 pour 1, his to ri quement en panne, et s'attaquer sérieusement au cas du e-commerce qui ne joue pas le jeu mais n'est pas sanctionné », plaide Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce. En effet, les distributeurs traditionnels ont finalement réussi à respecter à peu près ce principe, mais la vente de produits électriques et électroniques se fait de plus en plus par internet, où la règle du 1 pour 1 est purement et simplement ignorée, voire facturée au prix fort. « Les pouvoirs publics ont toujours été trop mous sur ce sujet, proteste Nicolas Garnier. Certes, certains petits e-commerçants sont à l'abri à l'étranger, mais le gros des ventes à distance est réalisé par quelques acteurs bien identifiés, domiciliés en France, souvent pourvus de magasins traditionnels dans lesquels ils appliquent le 1 pour 1 sans discuter. » La CLCV, l'Association nationale de défense des consommateurs et usagers, a d'ailleurs récemment assigné en justice deux sites de vente à distance, Grosbill (groupe Auchan) et Delamaison, pour pratiques illégales liées à la reprise payante de l'ancien matériel.
Un deuxième point faible de la filière réside dans la collecte des petits équipements ménagers, qui reste à la traîne. Les gens se débarrassent des gros appareils mais ne pensent pas à ramener en magasins ou en déchèteries les téléphones, appareils audio, rasoirs, réveils, grille-pain, outils… « Certains gisements sont sous-collectés : 2 % des jouets électroniques reviennent, 15 % des petits appareils comme les sèche-cheveux, 27 % des lampes », pointe Nicolas Garnier. Sur ces petits équipements, la situation s'est un peu améliorée ces deux dernières années grâce aux efforts déployés par les éco-organismes pour proposer la collecte en libre-service. Il s'agit de bornes en magasins dans lesquelles les consommateurs peuvent déposer leurs petits appareils usagés, sans condition d'achat. Eco-systèmes a ainsi mis en place 5 800 meubles dans 40 enseignes de grande distribution, ERP travaille avec Monoprix, Ecologic avec les enseignes de bricolage comme Leroy Merlin. Ces opérations sont souvent l'occasion d'une collaboration avec les éco-organismes de la filière des piles et accumulateurs, Screlec et Corepile, pour une collecte multiflux.
Surtout, elles préfigurent le passage à la reprise sans condition, dite du 1 pour 0, que la récente directive D3E impose désormais pour les petits appareils dans les surfaces de vente de plus de 400 m2 . Dans la mesure où, en France, des meubles de collecte sont déjà largement déployés en magasins, la grande question est de savoir si ce dispositif s'appliquera aux distributeurs en ligne. Pour l'instant, le projet de décret transposant la directive en droit français ne le prévoit pas.
Le troisième levier pour accroître les performances consiste à mieux sécuriser les tonnages collectés. Depuis qu'elles accueillent les D3E, les déchèteries sont confrontées au vandalisme et au pillage. « De ce fait, le barème de soutien à la collecte des D3E pour la période 2010-2014 a dû intégrer une aide à la sécurité de 10 euros la tonne, versée automatiquement dès lors que la collectivité protège son gisement », rappelle Michel Bourgain, maire de l'Ile-Saint-Denis, président de la commission d'agrément D3E et rapporteur de la commission environnement et développement durable de l'Association des maires de France. Ce soutien est attribué à une collectivité dès lors que la part de gros électroménager, hors froid, atteint 31 % du tonnage collecté : ce taux n'est en effet atteignable, en théorie, que lorsque des mesures de sécurité ont été prises. Le bilan de ce dispositif de soutien est en cours, dans la perspective des réa-gréments. « Il est important de rappeler qu'il n'y a pas un remède unique à ces phénomènes de vol et de vandalisme, mais des combi nai sons de solutions, insiste Christian Brabant. Il faut d'ailleurs signaler que les récupérateurs jouent un rôle absolument clé et qu'ils constituent un levier sur lequel il faut impérativement continuer à agir. Dans les 7 kg qui nous séparent de l'objectif de 14 kg, il y en a sans doute 4 à 6 qui passent par eux et qui, par conséquent, sont désossés sans aucune précaution écologique. »
La quatrième piste, très importante, porte sur une collecte mieux réussie en zones urbaines. En effet, alors que le ratio moyen de collecte en milieu rural est de 7,7 kg par habitant et par an, il tombe à 5,9 kg en territoire semi-urbain et 2,4 kg en zone urbaine. En cœur de ville, la collecte des D3E est donc en panne. Et plus la ville est dense, plus les performances sont faibles : à Paris intra-muros, la collecte organisée par la municipalité (hors collecte chez les distributeurs et autres circuits) plafonne ainsi à 600 g par habitant et par an.
Les explications sont nombreuses : quasi-absence de déchèteries en zones urbaines, difficultés d'entreposage liées à la taille des habitations, modes de déplacements des citadins souvent réduits aux transports en commun, etc. S'agissant des gros appareils, une partie du gisement semble rejoindre les filières de l'économie souterraine : vieux équipements abandonnés dans la rue, déposés sur le trottoir en vue du passage des encombrants mais escamotés avant, volés sur des chantiers ou revendus par les professionnels qui les ont démontés… Ce que les rois de la récupération laissent derrière eux est en général trop abîmé (téléviseurs défoncés pour retirer les matériaux valorisables, etc.) pour rejoindre ensuite les filières officielles. S'agissant des petits appareils, malgré la multiplication des points de collecte, les gens les jettent toujours beaucoup dans la poubelle, ou alors ils les stockent. « Nous sommes tous atteints par un réflexe de rétention : qui n'a pas dans ses placards un vieux baladeur, un ou deux anciens téléphones portables ? », demande Nicolas Garnier. « Les comportements vis-à-vis de ces produits connaissent des évolutions, que l'on peut associer à une chute des tonnages collectés dans certains endroits, confirme Guillaume Duparay, directeur collecte et relations institutionnelles chez Eco-systèmes. Par exemple, les gens gardent de plus en plus d'appareils parce qu'ils ne peuvent se résoudre à laisser du matériel auquel ils sont attachés être pillé sur le trottoir. Ou alors, plutôt que de conserver cet équipement en nourrissant l'espoir qu'il resservira un jour, ils choisissent de le revendre en passant une annonce sur un site internet. » L'une des conséquences, c'est une érosion du don qui affecte désormais de manière importante cette filière. « Les gens préfèrent revendre plutôt que donner, ce qui conduit à une diminution, en quantité comme en qualité, des produits arrivant dans le circuit des associations comme Emmaüs », constate Guillaume Duparay.
Pour déstocker tous ces déchets, une solution existe : des collectes de proximité, qui vont à la rencontre des habitants dans les quartiers d'habitat dense. Plus efficaces, elles permettent de toucher les citoyens attentistes, lesquels représenteraient 27 % de la population. Depuis cinq ans, Eco-systèmes a développé de telles opérations pilotes avec 26 collectivités. « Les premières expériences sur l'aménagement de locaux en mini-points de collecte en pied d'immeubles ont eu lieu à Seclin, avec Lille Métropole Habitat », se souvient Guillaume Duparay. Dans l'habitat collectif, social ou non, de plus en plus de conteneurs à déchets traditionnels sont désormais entreposés dehors ou enterrés, ce qui libère des locaux. Des bailleurs sociaux, parfois même des copropriétés, les aménagent pour y accueillir les D3E. Les habitants y déposent leur matériel, en présence du gardien qui referme le local. Le résultat est payant : à Lille, c'est 35 % de volumes en plus captés depuis le début de ces opérations. « Il s'agit d'un modèle aujourd'hui éprouvé et décliné : plus de 400 opérations de ce type ont été développées ; on en réalise 20 à 25 de plus chaque mois », précise Guillaume Duparay.
En l'absence de locaux libres, deux autres options sont possibles : la déchèterie mobile et la collecte événementielle en centre-ville ou en pied d'immeubles. Par exemple, avec Emmaüs à Paris, Eco-systèmes a lancé des collectes solidaires dans le XIe arrondissement. Lors de la première session, en octobre dernier, 240 personnes se sont présentées en quatre heures. « L'adhésion se maintient au même niveau depuis cette date, à raison d'une collecte un week-end sur deux, se félicite Guillaume Duparay. Les gens sont en confiance : ils apportent des équipements de grande qualité : ordinateurs portables, smartphones, appareils photo de marque, etc. » Les tonnages collectés équivalent à une performance de 7 à 8 kg par habitant sur le périmètre desservi. Ces opérations qui « redonnent de la vigueur à la collecte et redynamisent le don », selon Guillaume Duparay, sont appelées à être bientôt reproduites ailleurs et enrichies de nouvelles options : la possibilité de quelques rendez-vous à domicile pour les appareils lourds ou les personnes dans l'incapacité de se déplacer, l'identification de personnes relais dans les immeubles pouvant faire de la précollecte, etc.
Alors qu'Eco-systèmes communique beaucoup sur ses expérimentations de collecte de proximité, Ecologic et ERP sont plus discrets sur le sujet. ERP affirme développer « activement » la collecte en habitat vertical. Après une première opération en janvier 2012 sur Valenciennes Métropole, l'éco-organisme annonce avoir ouvert plus de 20 points de collecte en pied d'immeubles dans le Nord et en Ile-de-France, en partenariat avec sept gros bailleurs, et deux en Rhône-Alpes, à Villeurbanne. ERP accom-pagne par ailleurs le Syelom, un syndicat des Hauts-de-Seine qui s'est doté de 27 déchèteries mobiles, et fait référence au développement de points de collecte éphémères dans les Ardennes. Il met aussi en avant des collectes de proximité en résidences universitaires, à Poitiers et bientôt à Limoges. De son côté, Ecologic indique avoir accompagné la mise en place de collectes ponctuelles organisées par la ville de Maisons-Laffitte.
Tous ces retours d'expérience présentent un fort intérêt dans la perspective des réagréments et de la définition du barème de soutien à la collecte des D3E qui s'appliquera début 2015. L'enjeu sera de déter miner la suite à donner pour les déployer là où les performances des collectes traditionnelles ne donnent pas satisfaction. « Les discussions ont commencé sur le barème et, bien évidemment, on regardera de près ces questions des collectes de proximité », reconnaît Guillaume Duparay, qui rappelle toutefois « qu'il y a, dans le barème actuel, des soutiens aux collectes événementielles qui ne sont pas pleinement utilisés par les collectivités ».
D'autres éléments vont influer sur les futurs réagré-ments : il s'agit de nouvelles contraintes imposées dans le cadre d'une évolution de la réglementation européenne sur les D3E : l'amélioration de cinq points du taux de recyclage et de valorisation, l'intégration à court terme des panneaux photovoltaïques dans la filière, des évolutions de périmètres à plus long terme entre déchets ménagers et professionnels… La question d'une éventuelle fusion des éco-organismes D3E devra aussi peut-être être reposée, les auteurs du rapport parlementaire sur les REP de 2013 ayant encouragé le ministère de l'Écologie à étudier l'opportunité d'une telle décision.