Le cours des ferrailles a été entraîné à la baisse par la chute vertigineuse du minerai de fer. Le mouvement semble s’installer dans la durée, obligeant la filière à s’adapter (article publié en avril-mai 2015). En baisse, et pour un certain temps. Voilà plusieurs mois que le prix des ferrailles suit une pente déclinante. Les HMS1/2 ont perdu 20 % de leur valeur sur l’année 2014 et l’on observe également des reculs de 10 à 15 % sur les principales autres qualités (voir tableau). Après un regain de forme en janvier 2015, la rechute a été relativement sévère en février. Le sentiment général n’est pas au rebond durable. Federec s’attend à une poursuite de la baisse dans les prochaines semaines au moins. « Je pense qu’on est parti pour un recul sur toute l’année », renchérit le négociant Olivier Fassin, dirigeant de Sofrest. « On peut prévoir une diminution supplémentaire de 30 à 40 euros à court-moyen terme », ajoute Stéphane Lejeune, dirigeant du groupe allemand de recyclage Leber. Cette hypothèse ramènerait les cours significativement sous le seuil de 200 euros la tonne. Après un premier semestre 2014 qui avait alterné le positif et le négatif, la baisse est clairement marquée depuis l’automne, s’accordent à constater récupérateurs et sidérurgistes. Elle suit logiquement celle du minerai. Mais l’ampleur de la chute du minerai pose des questions nouvelles aux recycleurs, par la réduction historique de l’écart entre les deux matières qu’elle engendre. A cet égard, l’exposé de Marcel Genet, président du cabinet Laplace Conseils, fin décembre 2014 à l’assemblée générale de Federec, a marqué les esprits : « Le minerai a perdu la moitié de sa valeur en 2014 (soit 69 dollars la tonne en fin d’année), alors que dans le même temps, la ferraille n’a perdu « que » 20 %. Cette situation ne s’est pas résorbée début 2015 sans qu’on dispose encore du recul suffisant pour dresser une conclusion de long terme ».Minerai concurrentLes causes de l’effondrement du cours du minerai sont identifiées : baisse du prix des énergies de transformation et de transport (pétrole, gaz…), ralentissement de la demande de la Chine, et surtout politique de suroffre assumée des géants miniers (BHP-Billiton, Rio Tinto, Vale) dans le but d’asphyxier les nouveaux concurrents qui avaient été attirés par les cours élevés. Les conséquences de ce plongeon ne sont pas neutres pour les producteurs de ferrailles. Outre son effet quasi-mécanique sur les cours, le minerai devient un concurrent potentiel dans une certaine mesure. Moins chère, la matière première peut supplanter la recyclée. Comme l’a montré Marcel Genet, à partir d’avril 2014, il est devenu plus cher de produire une tonne d’acier à partir de ferrailles qu'avec du minerai, ce qui va à l’encontre de toute habitude et de toute logique. A fin 2014, pour que les deux prix de revient redeviennent égaux, il aurait fallu que la tonne de ferraille soit 40 à 50 euros moins chère que son niveau du moment. Certes, les deux filières fonte et électrique suivent deux chemins tellement différents que les possibilités d’arbitrage demeurent très limitées pour les sidérurgistes. Mais elles ne sont pas inexistantes. Les recycleurs allemands constatent en ce moment chez ArcelorMittal une réduction de 20 à 15 % du taux d’ajout de ferrailles dans les aciéries à oxygène, compte d’un prix de la fonte devenu plus compétitif.Des mouvements défavorables à la matière recyclée s’observent parmi les acheteurs turcs. L’acier russe étant particulièrement bon marché (la chute du rouble vient s’ajouter aux causes mondiales), ils peuvent s’approvisionner à leurs portes en billettes peu chères. L’autre source de pression vient des DRI, le « pré-réduit ». En ce moment, il s’obtient à partir d’une énergie bon marché, au Moyen-Orient ou aux Etats-Unis sous l’effet du cours du pétrole/gaz et des gaz de schiste. D’où le cercle vicieux qui s’installe selon Marcel Genet : « hausse des exportations de billettes russes, baisse des importations turques de ferrailles européennes, accroissement de la production de DRI au Moyen-Orient, hausse des exportations de rebars chinoises, hausse des importations de billettes russes en Europe du Sud et au final, baisse de la demande de ferraille de l’Union, en volume et en prix ». Les statistiques encore en attente sur l’ensemble de l’année 2014 diront si une telle baisse de volume s’observe, comme le rapportent les acteurs du marché. Au premier semestre, l’évolution restait positive : le BIR relevait une croissance de 3,4 % de la consommation de ferrailles dans l’Union européenne, à 47,7 millions de tonnes, ce qui la maintenait au premier rang mondial juste devant la Chine. De même, les exportations à fin juin s’affichaient en hausse de 4,6 % à 8,584 millions de tonnes. Le groupe Derichebourg a annoncé une baisse de 9,3 % de ses volumes de ventes de ferrailles à l’automne, succédant à des croissances en Europe de 2,8 % au printemps puis de 4,1 % à l’été. A l’export, la Turquie montre des signes de retrait. Sa consommation de ferrailles avait reculé de 0,3 % sur le premier semestre (total : 14,46 millions de tonnes). « Nous constatons en revanche des regains de demande de l’Egypte et du Maroc », souligne Olivier François, directeur du développement de Galloo France. « Je ne crois pas à un potentiel durable venant de l’Inde ou de plus loin (Pakistan, Vietnam…). La valeur faible relative des ferreux continuera à limiter le champ de leur export aux marchés limitrophes… et ce n’est pas la tendance actuelle des cours qui va inverser la donne ! ». Du côté des sidérurgistes, des signaux encourageants émergent. L’an dernier, la production totale d’acier a progressé d’1,7 % dans l’Union européenne selon Worldsteel. L’UE a même fait un peu mieux que le monde entier (+ 1,2 %) et la Chine (+ 0,9 %). En chiffres absolus, avec 169,2 millions de tonnes, elle est revenue au niveau de 2012, soit tout de même un retrait de près de 20 % par rapport à 2007. Pour la France, la croissance s’est élevée à 2,9 % soit 16,1 million de tonnes, mais la filière électrique s’est contentée d’une stabilité, à 5,5 millions de tonnes. Eurofer annonce des perspectives de croissance de la consommation d’acier dans l’Union : + 2,2 % en 2015 et + 2,5 % en 2016 en général. Le secteur de la construction, qui concentre une bonne partie des débouchés de la filière électrique, ne serait pas en reste : + 1,5 % cette année puis + 2,3 % en 2016. « La reprise est encore timide, mais elle se généralise dans l’Union. Elle est appuyée en Grande-Bretagne et en Allemagne par les plans de relances nationaux de la construction, et en Pologne/Hongrie par les programmes européens. Le plan Juncker pourrait ajouter son propre impact », analyse Eurofer, qui détecte deux points de faiblesse persistants pour la construction acier : la France et l’Italie. La prudence reste de mise. « Dans les armatures à béton, nous constatons une surcapacité persistante de 30 à 40 % en Europe, malgré les arrêts définitifs ou les mises en veilleuse d’installations », souligne un producteur de ce secteur. Inquiétudes dans la filière électriqueLe paysage de la filière électrique a peu évolué ces derniers mois, mais nombre de ses représentants suscitent des points d’interrogation. Celsa en Espagne inquiète. En Suisse, Stahl Gerlafingen vient d’annoncer une réduction d’effectifs de 25 salariés pour cause de montrée de la devise helvétique, mais cette filiale de Beltrame indique dans le même temps vouloir monter sa production de 5 % sur l’année 2015, à 720 000 tonnes. Plombé par le dossier de l’usine de Tarente, Ilva est désormais sous administration provisoire de l’Etat en Italie. Chez son ancienne maison-mère Riva toutefois, les récupérateurs notent le bon niveau de commandes des usines en France (Neuves-Maisons) et en Belgique (Thy-Marcinelle). Officiellement en veilleuse depuis plus de trois ans, les usines luxembourgeoises Rodange/Schifflange d’ArcelorMittal (ronds à béton et profilés) paraissent vouées cette fois-ci à arrêt définitif. En tout cas plus aucun acteur ne croit au retour sur le marché de leur quelque 1 million de tonnes de ferrailles/an d’antan. En France, Ascométal est sorti au printemps dernier de son redressement judiciaire, sa nouvelle direction hexagonale l’affirme en rémission, celle-ci paraît encore fragile. L’évolution des prix vient compliquer un peu plus la donne de la filière : elle doit déjà composer avec la baisse des collectes. « En 2011, on avait connu les difficultés au niveau des cours, mais les volumes étaient restés globalement au rendez-vous. Là, on a la combinaison des deux », rappelle Olivier Fassin. En l’absence pour l’heure des chiffres 2014 globaux, les rares acteurs à s’épancher sur le thème tracent la perspective d’une baisse de l’ordre de 20 à 30 % en France. Parmi les grandes sources d’approvisionnement, l’industrie reste à des niveaux atones, les grands programmes de démolition urbaine sont passés. Et pour les VHU, la ressource annuelle a été ramenée à 1,2 million d’unités en 2012 et 2013, soit 300 000 de moins qu’en 2011. La filière attend un bilan 2014 encore moindre, pas très éloigné du million d’unités. La fin des primes à la casse et la reprise timide des immatriculations s’ajoutent à l’incapacité persistante à remettre dans les circuits agréés les quelque 30 % de véhicules qui empruntent les filières illégales.Dans ce contexte compliqué, « les bonnes qualités restent bien consommées », constate Olivier François. La tendance est confirmée en Allemagne. « Globalement, les volumes 2014 restent stables voire en très légère baisse, mais des mouvements s’opèrent à l’intérieur des sortes : l’E1 et l’E2 baissent, l’E 8 se maintient, plusieurs sidérurgistes diminuent le recours à l’E 40 au profit de chutes neuves de tôles, de tournures et plus encore de paquets automobiles, dont ils apprécient l’homogénéité de qualité », expose Sebastian Will, vice-président de la branche ferreux de BVSE, la fédération allemande du recyclage. Les aciéries se montrent de plus en plus exigeantes sur la qualité de la matière, jusqu’à installer des équipements spécifiques de tri à l’entrée. Logique, salutaire, mais à condition de raison garder, commente Maxime Lautard, dirigeant du négociant familial FML : « C’est un corollaire à la baisse des prix et des volumes. On ne peut se permettre le moindre écart. Les récupérateurs ont leur rôle à jouer et la notion de certification prend ici tout son sens, pour garantir la qualité et parler le même langage que le client. Mais qu’on ne nous transforme quand même pas en apprenti chimiste devant traquer la moindre impureté. Cela reste de la ferraille, pas du minerai ! » .CR/RR