Depuis 1986, date de lancement de Spot, les connaissances acquises grâce aux satellites d'observation de l'environnement ne cessent de progresser : concentration des gaz à effet de serre, trou de la couche d'ozone, montée du niveau des mers... Parallèlement, leurs applications se sont multipliées : bardés d'équipements, les satellites fournissent aussi bien des images, des données de positionnement (GPS) que des mesures. Et la résolution des images fournies se rapproche maintenant de celle obtenue par avion, sans dépendre des conditions météorologiques et avec une meilleure répétitivité.
Une réussite qui doit beaucoup à la puissance publique. « Le programme Spot a coûté 3 milliards d'euros aux fonds publics, sans que la couverture satellitaire de la France ne soit mise à disposition des services publics », rappelle Pascal Kosuth, directeur de recherche au Cemagref. Sauf pour la sécurité civile, les données étant gratuites pour l'observation des catastrophes naturelles.
Mais cela commence à changer. « L'image satellite n'appartient plus au seul domaine de la recherche. C'est un nouvel outil au service de la puissance publique », estime Jean-Paul Gachelin, directeur de SIRS, une société spécialisée dans l'analyse d'images. Ainsi, certaines mesures issues des Grenelle de l'environnement et de la mer pourraient en bénéficier, comme les trames verte et bleue. Impliquant une cartographie de tous les points d'eau, elles exigent aujourd'hui trois personnes sur le terrain pour faire des relevés, pendant trois jours. Ou encore, le suivi des populations du grand hamster d'Alsace, dont la France doit rendre compte annuellement à la Commission européenne.
Bref, tout service municipal, départemental ou régional, jusqu'aux services déconcentrés de l'État, est un utilisateur potentiel. « Le ministère de l'Écologie a révisé, fin 2011, son plan d'application satellitaire. Nous avons dénombré plus de cent nouveaux usages », recense Alain Griot, sous-directeur à l'innovation au sein du Commissariat au développement durable ( CGDD). Mais, pour l'instant, les collectivités locales utilisent peu, voire pas du tout, les données issues de l'imagerie satellitaire. D'où l'intérêt du projet Geosud (Geoinformation for Sustainable Development). « Ce projet veut aller à contre-courant de la vision très technologique qui prévaut, pour mettre l'imagerie satellitaire à disposition des collectivités locales », explique Pascal Kosuth, porteur du projet qui rassemble quatorze partenaires, notamment AgroParis Tech, le Cirad et l'IRD. L'idée est donc d'acheter ces données en multilicence, pour les mettre à disposition de tout acteur public qui signe la charte d'utilisation. En 2010, une ligne budgétaire de 11,5 millions d'euros a été débloquée dans le cadre des Investissements d'avenir pour les équipements d'excellence, sur un budget total de 20 millions, afin d'acquérir la couverture de la France pendant six années consécutives, de 2010 à 2015. Depuis septembre 2011, les données sont en ligne sur un portail internet, et 130 collectivités avaient adhéré fin mars.
Car il y a de quoi renouveler l'intérêt des acteurs publics, qui ne disposaient jusqu'à présent que de Corine Land Cover : des données, d'une résolution de 25 mètres, datant de 2006. Là, la résolution des images est de 5 mètres. Et la couverture annuelle permet de gérer la police des coupes forestières ou de mesurer finement la progression de l'étalement urbain. Des travaux menés à l'échelle du Languedoc-Roussillon ont déjà permis de développer des méthodes d'évaluation de la consommation de terres arables par l'urbanisation à partir d'images satellites acquises entre 1997 et 2009. Une méthode généralisable à l'ensemble du territoire. « Ce serait un outil majeur à l'heure de la grenellisation des Scot, par exemple », note Silvan Coste, animateur de la plateforme de mutualisation du Languedoc-Roussillon, SIG-LR.
Un bémol, impossible d'utiliser les données satellitaires en l'état. « Il faut extraire l'information des images pour pouvoir les intégrer dans des systèmes d'information géographique, ce qui implique de maîtriser des logiciels spécialisés », explique Jean-Paul Gachelin. La culture de l'imagerie satellitaire se diffuse depuis une dizaine d'années, notamment via la formation des ingénieurs agronomes, des géographes ou des étudiants en sciences de la terre. Pour faciliter le développement des compétences, Pascal Kosuth met en relation les services d'un même département, afin d'encourager la création de réseaux. Mais reste réaliste : « Les acteurs publics vont apprendre à faire certaines choses en interne, et en confieront d'autres à des prestataires ». Au sein de Geosud, les partenaires réfléchissent d'ailleurs à un parcours de formation, qui, étalé sur deux ans, accompagnerait les utilisateurs dans la prise en main de l'outil.