Le vélo de loisirs est devenu une affaire sérieuse. Il a désormais son label national de qualité, Accueil vélo. Les véloroutes qu'il parcourt ont leur mission interministérielle, dotée de représentants en régions, et leurs très officiels schémas les font définitivement passer de l'excursion du dimanche improvisée à un outil d'aménagement du territoire. Ces véloroutes s'organisent selon trois niveaux qui s'imbriquent les uns dans les autres pour former un réseau de plus de 30 000 kilomètres : la portion française d'Eurovélos, les parcours inscrits dans le schéma national des véloroutes et voies vertes (SN3V), né en 1998 et dont la dernière version remonte au Ciadt (Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire) du 11 mai 2010, et, enfin, les itinéraires ajoutés par les schémas régionaux dont le dernier, celui de Midi-Pyrénées, doit être adopté cette année. « Le schéma régional fait de notre collectivité l'assem-blier qui dépasse les logiques d'opportunités locales, en ne transformant pas tout bout de route libre en voie pour cyclistes, et évite qu'une voie s'arrête à la frontière d'un département. Il fixe les règles communes de signalisation », commente Paulo-Serge Lopes, conseiller régional du Nord-Pas-de-Calais chargé du vélo. Continue tout au long de ses dizaines, voire ses centaines de kilomètres, sûre pour l'usager, entretenue en permanence, accessible à tout type de pratiquants, bien balisée pour lui éviter de se perdre : ces adjectifs définissent la véloroute selon le « cahier des charges » de 2001 découlant du SN3V.
La continuité ne signifie pas la circulation à 100 % sur site propre. L'itinéraire pourra emprunter une route partagée avec les voitures à condition que la fréquentation y soit modérée : moins de 1 000 véhicules par jour, recommande le cahier des charges. Mais il empruntera autant que possible une « voie verte ». La notion obéit à une signalétique précise, avec son logotype attitré, et à des critères de dimension (au moins 1 à 3 m de large), de pente (moins de 3 % sauf en montagne) et de services aux cyclistes. Le coût de son aménagement est évalué entre 100 000 et 150 000 euros le kilomètre.
Le jalonnement, c'est-à-dire le balisage d'une véloroute, est essentiel. « Ce que le vélorandonneur attend avant tout, c'est une signalétique facilement compréhensible et homogène d'un bout à l'autre du parcours pour toujours trouver son chemin », avertit Albert Cessieux, responsable de l'animation à l'Association française de développement des véloroutes et voies vertes (AF3V), qui a porté le projet de schéma national. La véloroute la plus fréquentée de France, « la Loire à vélo » (802 500 cyclistes en 2012, chiffre en constante progression) a fixé comme principe l'indication tous les 2 km de la prochaine destination et des distances. Les régions Pays de la Loire et Centre qui la pilotent ont édité dès 2000 un guide commun d'aménagement à destination des services techniques des collectivités traversées.
Compte tenu de la longueur des itinéraires, une signalisation cohérente, voire identique, requiert la coordination entre plusieurs régions. Le « comité d'itinéraire » en constitue la forme la plus aboutie, mais elle est encore rare. En attendant sa création dans les prochaines semaines sur la liaison Entre-Deux Mers (Atlantique-Méditerranée) et sur la vaste partie française de l'Eurovélo des pèlerins, Trondheim (Norvège) – Saint-Jacques-de-Compostelle, le dispositif fonctionne pour la Véloscénie reliant Paris au Mont-Saint-Michel et pour la Vélodyssée qui longe sur 1 250 km le littoral de Roscoff à Hendaye. « Comme le trajet traverse quatre régions et dix départements, le comité d'itinéraire s'imposait. Son budget de 550 000 euros sur trois ans, apporté par les collectivités et l'État, mutualise les actions de promotion et communication et il finance les actions de coordination, qui comprennent un logo commun et le même kilomètre zéro pour le calcul des distances. L'échange d'expérience tire chacun vers le haut », témoigne Sabine Andrieu, coordinatrice de la Vélodyssée. La Véloscénie, qui traverse quatre régions et huit départements sur ses 434 km, adopte un fonctionnement de même type, autour d'un chef de file, le comité départemental Manche Tourisme, d'un comité de pilotage et de trois groupes de travail sur la promotion, les infrastructures et les services à l'usager.
La continuité de l'itinéraire devient plus difficile à l'entrée des villes : les réseaux cyclables urbains même les plus performants n'ont pas été pensés pour les vélorandonneurs venus de loin. La cohabitation est plus ou moins satisfaisante. À Bordeaux, l'association Vélocité salue la connexion réussie entre le réseau départemental venu de Lacanau et le réseau urbain. À Lille, en revanche, Michel Anceau, le directeur de Droit au vélo (et délégué régional de l'AF3V) pointe « deux réseaux qui se tournent largement le dos. Jusqu'au nouveau PDU de 2012, il y avait deux schémas cyclistes distincts, l'un pour les déplacements quotidiens, l'autre pour les récréatifs, rédigés par deux directions de la communauté urbaine. La coupure se voit encore sur le terrain. » La Véloscénie, elle, est en prise avec le poids lourd : Paris. Les services techniques de la capitale ne se montrent pas réceptifs à l'idée d'une signalétique particulière qui viendrait ajouter un panneau. Au vélorandonneur de se débrouiller pour rejoindre Notre-Dame, terminus de l'itinéraire. Celui-ci sera par contre indiqué dans les Yvelines à partir de la fin de l'année ou le début de l'année prochaine. À Mulhouse (Haut-Rhin), cinq années d'aménagements divers (panneaux de signalisation, pose d'enrobés sur chemin de halage caillouteux…) permettent depuis l'an dernier une traversée parfaitement fiable de l'agglo, en « site propre », par les adeptes de l'Eurovélo Atlantique-mer Noire.
Strasbourg lance cette année le concept de périphérique du vélo : son « Vélostras » organisera progressivement 130 km d'itinéraires en rocades, radiales et autres pénétrantes pour vélos. « Vélostras est d'abord pensé pour les déplacements pendulaires. Mais grâce au jalonnement, le vélotouriste de la liaison Londres-Brindisi ou de l'Eurovélo du Rhin saura passer de façon lisible et rapide (vitesse garantie de 20 km/h) du canal de la Bruche à l'ouest de l'agglo ou de la Marne au Rhin au nord vers le canal Rhin-Rhône au sud », décrit Alain Jund, adjoint à l'urbanisme. Des « portes d'entrée » sous forme de totem matérialiseront les intersections de voies, et des stations sont prévues pour servir à la fois d'aire de repos ou pique-nique au vélocycliste et de point de ralliement aux Strasbourgeois désireux de faire un trajet vélo urbain à plusieurs. « L'initiative est doublement gagnante, pour la meilleure fluidité d'un grand itinéraire et l'augmentation de la part modale du vélo en ville », salue Thomas Sedlbauer, directeur de la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB).
Au total, le réseau national des véloroutes est « réalisé », c'est-à-dire revêtu de façon stabilisé, jalonné et ponctué de services aux usagers, à 39,82 % très précisément à mi-avril, selon l'observatoire des véloroutes et voies vertes de l'Association des départements et régions cyclables de France (DRC), qui suit la progression mètre par mètre. Cela signifie qu'il reste 12 000 km à aménager d'ici à 2020 pour respecter le schéma national. « L'objectif réaliste à se fixer, c'est la pleine réalisation des tronçons d'Eurovélos, achevés à un peu plus de 60 % (4 100 sur 6 700 km) », estime Camille Thomé, secrétaire générale de DRC.
Le coup d'accélérateur pourrait venir, aussi, de l'adjonction de nouveaux tronçons grâce à l'utilisation des chemins de halage de VNF et des voies ferrées désaffectées de RFF. Sur les 6 700 km de canaux que gère Voies navigables de France, la moitié environ sont en capacité d'accueillir des cyclistes. « Nous sommes des facilitateurs, disposés à augmenter ce réseau, dans le respect du maintien de la navigabilité et en veillant à la stabilité des berges. Les circulations sur la voie d'eau et à vélo se complètent souvent : 60 % des plaisanciers embarquent un vélo à bord », expose Véronique Vergès, responsable tourisme à la division des territoires de VNF. Pour que les collectivités aménagent des voies vertes sur les chemins de halage, l'établissement public actionne l'outil juridique de la convention de superposition de gestion (également appelée superposition d'affectation). Son intitulé dit bien sa fonction : partager l'usage. Elle fixe les engagements réciproques de chaque partie. Dans le Lot-et-Garonne, le conseil général a pris à sa charge le revêtement, la signalisation, l'entretien des nouvelles plantations, les équipements pour empêcher la circulation des véhicules à moteur, le confortement des berges sauf si leur érosion nuit à la navigabilité, auquel cas VNF prend le relais. Il a aussi organisé un concours pour reconvertir des maisons éclusières en lieux d'animation et restaurants. Ses interventions représentent les deux tiers des 9,9 millions d'euros de travaux induits par la convention. Mais si péniches et cyclistes peuvent évoluer en parallèle, les voies ferrées, elles, ne se partagent pas. Près de 3 000 km de lignes désertées par les trains ont été reconverties en voies cyclables depuis les années 1960. Pourraient s'y ajouter une bonne partie des quelque 5 300 km aujourd'hui inutilisés. Or la procédure classique de fermeture-déclassement et vente est lourde et coûte plusieurs milliers d'euros du kilomètre à l'acquéreur. RFF a trouvé une option plus légère : la convention de transfert de gestion le laisse propriétaire du tronçon qu'elle « prête » à une collectivité pour dix ans, vingt ans ou plus, de façon réversible, sans enterrer l'hypothèse d'un retour un jour à l'usage ferroviaire. Mais d'un montage complexe, le nouvel outil tarde à se concrétiser – quelques projets pilotes de convention sont en cours. En Seine-Maritime, RFF n'a pas encore débloqué, comme espéré, le dossier en rade depuis dix ans de 7 km de voie verte près de Dieppe. Il faut aussi compter avec les très fréquents recours de la Fnaut contre la disparition de lignes. Pour concilier les points de vue, un groupe de travail réunit depuis quelques semaines les pro-vélo et les pro-train autour de France nature environnement.
Les véloroutes n'ont pas seulement gagné en considération en tant qu'infrastructures de transport, les collectivités se sont aussi intéressées de plus près aux personnes qui viennent de loin pour les fréquenter : une vraie démarche touristique en a découlé. La production de services d'information, d'accueil, d'assistance (location-réparation) fait d'ailleurs partie des critères d'une véloroute. « Le périmètre pertinent est une bande de 5 km de part et d'autre de la voie, c'est là que le vélotouriste fait un crochet pour visiter, se restaurer, s'héberger », souligne Jean-Louis Pons, directeur de la Mission nationale véloroutes et voies vertes. Mulhouse a par exemple conçu six circuits de découverte de la ville à vélo d'une quinzaine de kilomètres chacun. L'office de tourisme s'est organisé pour renseigner complètement le cycliste, ce qu'a consacré la labellisation « Ville vélotouristique » de la Fédération française de cyclotourisme.
Le touriste à vélo est un « client » intéressant : il dépense davantage et reste plus longtemps que le touriste classique (lire en Repères). Sur la Loire à vélo, « il a généré 17 millions d'euros de retombées économiques l'an dernier, soit un excellent retour sur investissement des 52 millions d'euros dépensés en aménagement en une dizaine d'années », relève Laurent Savignac, animateur-coordinateur pour le conseil régional du Centre.
La Loire à vélo est également à l'origine de la marque et du référentiel de qualité « Accueil vélo », qui se diffuse désormais à l'échelle nationale. Objectif : labelliser sites d'hébergement et de restauration, sites d'accueil (offices de tourisme) et sites de loisirs. Les régions s'approprient progressivement la démarche, comme la Bretagne qui lance cette année 1 000 km de parcours dans 30 communes déjà labellisées « stations vertes » ou comme « L'Alsace à vélo », qui vise depuis l'an dernier à fédérer l'offre hôtelière et touristique autour des 2 500 km d'itinéraires de la région. Accueil vélo porte une ambition forte : faire de la France la première destination du tourisme à vélo en Europe.