1 Les obligations du maître d'ouvrage
Près d'un an après l'entrée en vigueur de la réforme pour diminuer les dommages aux réseaux, on peut encore parler de rodage, en particulier pour les maîtres d'ouvrage dont le rôle a été fortement renforcé.
La vaste réforme pour diminuer les dommages aux réseaux est entrée en vigueur au 1er juillet 2012. Les nouveaux textes forment un corpus impressionnant (une loi, quatre décrets, une dizaine d'arrêtés), dont la lecture est malaisée et l'articulation peu évidente. Une norme (NF S 70-003-1) d'application obligatoire, qui décode et rend lisible cette réglementation, a été publiée en parallèle. « Elle prend les acteurs par la main, de la naissance du projet jusqu'à sa conclusion », se félicite Michel Benedetti, président de la commission de normalisation produisant les normes d'ac-com pa gnement de la réforme et directeur technique chez NGE-EHTP, un entrepreneur de travaux.
La mise en œuvre des nouvelles règles a été éprouvée, sur le terrain, sur les agglomérations de Perpignan et d'Orléans. « Cela a mis en évidence une vingtaine de points réglementaires à revoir », indique Jean Boesch, adjoint au chef du BSEI à la direction générale de la Prévention des risques du ministère de l'Écologie. Un arrêté du 19 février 2013 prévoit déjà des modifications issues de ce retour d'expérience, qui sera pris en compte dans de nouveaux textes à paraître cet été.
L'un des changements majeurs apporté par la réforme est le rééquilibrage des responsabilités entre les familles d'acteurs, renforçant notablement le rôle du maître d'ouvrage. Celui-ci doit consulter le guichet unique national (www.reseaux-et-canalisations.gouv.fr), y dessiner la zone d'emprise des travaux projetés, télécharger les formulaires en partie préremplis ainsi que les coordonnées des exploitants des réseaux concernés, et leur adresser une déclaration de projet de travaux (DT) qui remplace l'ancienne demande de renseignement (DR). « La réforme a amené les responsables de projet à beau coup plus s'impliquer qu'aupara vant : on est passé de 5 % de DR déposés à 65 % de DT », souligne Jean-Marie Leprince, vice-président de l'Observatoire national DT-DICT, où il représente ERDF. Les informations collectées par le maître d'ouvrage à la suite de ses déclarations sont ensuite intégrées dans le dossier de consultation, puis dans le marché de travaux.
Dans la première période de fonctionnement du télé-service, la tâche s'est révélée lourde pour les responsables de projet. Par exemple, Noréade, la régie du Siden-Sian, un gros syndicat d'eau et d'assainissement qui s'étend sur le Nord, le Pas-de-Calais, l'Aisne et la Somme a, dans le cadre d'un projet d'interconnexion de réseaux sur 22 km et 15 communes, produit 67 séries de déclarations, à compléter en partie à la main et à adresser à un nombre invraisemblable d'exploitants. Pour remédier à ces difficultés, des évolutions du guichet unique sont prévues. Comme le déploiement imminent des zones d'implantation des réseaux, destinées à mieux les situer, qui devrait aussi restreindre le nombre de concessionnaires auxquels adresser la DT.
Une autre grande nouveauté de la réforme est la reconnaissance préalable de l'encombrement du sous-sol par le maître d'ouvrage, obligatoire en zone urbaine, quand les plans des réseaux sensibles ne sont pas assez précis. Ces investigations complémentaires font appel à des techniques intrusives (sondages) et à de la localisation par détection (acoustique, radar, méthode électromagnétique, etc.). « La détection offre des solutions adaptées à certaines situations, mais pas à d'autres, prévient Laure Semblat, chargée de mission travaux à la FNCCR. Pour avoir un minimum de garanties sur le résultat, il faut croiser plusieurs techniques ; c'est forcément coûteux. » On évoque souvent un surcoût dépassant 10 % du budget du projet. « Il faut aussi tenir compte des délais supplémentaires : deux mois de plus, en moyenne », indique Marc Medjani, responsable service VRD sud à la direction de l'équipement du territoire de Perpignan Méditerranée, qui a piloté l'expérimentation dans l'agglomération.
La détection par géoradar, testée sur quelques chantiers perpignanais, a donné des résultats mitigés. « En planimétrie, c'était satisfaisant, mais en altimétrie des écarts jusqu'à 50 cm ont été relevés, relate Marc Medjani. À mon sens, pour l'instant, on ne peut s'affranchir des sondages intrusifs durant la phase projet et durant l'installation du chantier. La législation paraît optimiste car si, à ce jour, la détection est un plus, elle n'est pas suffi samment précise pour atteindre le niveau d'amélioration de cartographie demandé par les textes. » Le ministère confirme un bilan mitigé sur le volet des investigations complémentaires : dans certains cas, elles ont permis de corriger des écarts jusqu'à 5 mètres entre le tracé précédemment cartographié et le tracé réel, mais, dans d'autres, elles n'ont pas abouti de manière satisfaisante. « La profession est jeune et a besoin d'évoluer, mais je reste persuadé du bienfait de ces investigations complémen taires, affirme Jean Boesch. Dans la majorité des cas, elles réduisent les délais, évitent des arrêts de chantiers et, in fine, permettent des travaux à coûts maîtrisés. Le surcoût apparent est compensé dès l'évitement d'un seul jour d'arrêt de chantier. »
Le matériel n'est pas en cause, pour le président de la Fédération nationale des entreprises de détection de réseaux enterrés (Fne dre), Hubert Brérot : « on dispose de bons équipements et de méthodes bien établies. Mais il ne suffit pas d'avoir une Rolls pour savoir bien conduire : c'est la compétence et la formation des hommes qui fait la différence ». Le secteur attire de nouveaux acteurs par effet d'opportunisme, ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose car le marché est important. « On parle d'environ un million de chantiers, rappelle Jean-Pierre Brazzini, l'expert auprès de l'Afnor qui a piloté la préparation de la norme sur les techniques de détection, parue en décembre 2012 (NF S 70-003-2). L'enjeu est donc d'augmenter le nombre de prestataires et de permettre leur montée en com pétences. » Pour ce faire, un dispositif de certification des prestataires intervenant sur les réseaux en service (investigations complémen taires) ou sur les réseaux neufs (récolement) est en train d'émerger. « Mais c'est lent : ce sera difficile d'être prêt pour le 1er janvier 2017, date à laquelle seules les entreprises de détection et de géoréférence ment certifiées pourront travail ler », regrette Hubert Brérot.
Le ministère, lui, estime que les premières certifications pourront être décernées début 2014. En attendant, il a décidé, au vu des expérimentations sur les sites pilotes, de réduire un peu la voilure sur les investigations complémentaires : les textes à paraître cet été devraient resserrer les conditions dans lesquelles elles sont obligatoires. « Seuls 10 % des chantiers exigent une phase explo ratoire, le reste peut s'en dispenser à condition que les précautions appropriées soient prévues par les clauses particulières du marché de travaux », précise Jean Boesch. l
2 Les déclarations des exploitants
L'enjeu pour les concessionnaires de réseaux, au-delà de nouvelles pratiques obligatoires comme le renseignement du guichet unique ou le relevé géoréférencé de tous les réseaux neufs, est l'amélioration progressive de la cartographie de l'existant.
Depuis la réforme, la première obligation des concessionnaires de réseaux est de renseigner le guichet unique. En théorie, tous devraient désormais s'être enregistrés et avoir spécifié la longueur du réseau dont ils ont la charge. « 12 800 exploitants sont inscrits, représentant plus de 95 % des réseaux, en kilomé trage », signale Jean Boesch.
Mais des milliers de gestionnaires manquent encore à l'appel, notamment de petites collectivités qui n'ont pas conscience de la nécessité de déclarer aussi leurs réseaux d'éclairage public, d'alimentation de feux tricolores, d'eaux pluviales. Ce manquement expose l'exploitant à une amende de 1 500 euros. Il engage en outre sa responsabilité civile et pénale en cas d'incident, en plus de devoir assumer, sans possibilité de recours, les dommages occasionnés à son propre réseau.
Malgré ce bémol, le guichet unique poursuit sa route et franchira, le 30 juin, une nouvelle étape : les exploitants doivent achever avant cette date le chargement des zones d'implantation des réseaux, des bandes de 100 m de large placées à 10 mètres près. « Avec cet enrichissement du téléservice, le maître d'ouvrage ne s'adressera qu'aux exploitants réellement à proximité du chan tier, et plus à tous ceux présents sur la commune », se réjouit Jean Boesch, adjoint au chef du BSEI à la direction générale de la Prévention des risques du ministère de l'Écologie . « Il a fallu un dessinateur et demi à plein-temps pendant plus d'un an pour affiner la cartographie en vue de renseigner le guichet unique sur cette bande », témoigne Pierre Eysseric, directeur du Syndicat départemental d'eau et d'assainissement de l'Aube, qui gère en régie des milliers de kilomètres de réseaux.
La barre est encore plus haut pour les gestionnaires dépourvus de cartographie informatisée. « En interne, cela a posé un problème aux col lègues chargés de l'exploitation de réseaux pluviaux par exemple », atteste Marc Medjani, responsable service VRD sud à la direction de l'équipement du territoire de Perpignan Méditerranée, qui a piloté l'expérimentation dans l'agglomération. Le ministère a entendu le message et créé, depuis avril, une application web d'aide à la fabrication de ces bandes.
L'exploitant doit ensuite répondre dans des délais imposés aux déclarations reçues, même s'il n'est pas concerné par le projet. Plutôt que d'envoyer un plan, il peut convenir d'un rendez-vous sur site avec le déclarant. « Nous le faisons dès lors que le projet nécessite un certain degré de précision, mais cela implique une disponibilité énorme : on reçoit des dizaines de déclarations par jour », détaille Pierre Eysseric. L'exploitant doit en particulier signaler les organes de mise en sécurité à l'exécutant des travaux. Point très important : il doit spécifier la précision des données cartographiques qu'il transmet (classe A, c'est-à-dire incertitude inférieure à 40 cm, classe B de moins de 1,50 m ou classe C au-delà), car elle conditionne les investigations complémentaires.
L'objectif principal de la réforme reste la mise à jour de la cartographie des réseaux. Elle passe par l'intégration des résultats d'investigations complé men taires diligentées par les maîtres d'ouvrage et des plans de ré co lement géo-référencés des réseaux neufs. Les réseaux sensibles pour la sécurité devront, en outre, au 1er janvier 2019 en zone urbaine, au 1er janvier 2026 pour les autres, faire l'objet d'un plan en classe A : un objectif difficile à atteindre et coûteux.
Il conviendra en parallèle d'améliorer la qualité des fonds de plan. « Ceux issus du cadastre ou de l'IGN sont incompatibles avec la classe A », avertit Régis Taisne, adjoint au chef de service de l'eau à la FNCCR. « Notre dessinateur corrige le fond de plan cadastral quand il reporte les relevés géoréféren cés faits à l'occasion de travaux. Mais c'est un travail de fourmi », con f i r m e Pierre Eysseric. La nouvelle réglementation demande la mise en place d'un fond de plan à grande échelle mutualisé, établi et mis à jour « par l'autorité publique com pétente ». Il ne serait en effet pas très logique ni très cohérent de demander aux exploitants, chacun individuellement, d'améliorer ses fonds de plan. « Mais la question est de savoir qui, au niveau local, serait le bon porteur de projet », s'interroge Laure Semblat, chargée de mission travaux à la FNCCR. Certaines collectivités pourraient accepter de défricher cette voie (syndicats d'information géographique, grands syndicats multicompétences sur les réseaux, collectivités déjà engagées sur le terrain des SIG, des BDU). Mais de nombreuses questions resteront en suspens : celle de la gouvernance de ces démarches avec les autres gestionnaires de réseaux, du maillage du territoire national…
3 Les responsabilités des entreprises de travaux
Pour les entreprises de travaux, la réforme est plutôt favorable. Elles ne peuvent notamment plus subir de préjudices financiers liés à un arrêt de chantier déclenché après la découverte d'un réseau non signalé.
L'entreprise de travaux a un rôle décisif pour prévenir les accidents. Dès la consultation, elle reçoit un dossier d'éléments complets afin de structurer sa réponse : demande de travaux, réponses apportées par les exploitants, catégorie, classe de précision et localisation des tronçons de réseaux, recommandations techniques spécifiques des exploitants, résultats des investigations complémentaires le cas échéant. Une fois retenue, et préalablement au chantier, l'entreprise doit consulter à son tour le téléservice pour accéder notamment aux formulaires de déclaration d'intention de commencement de travaux (DICT), qu'elle adresse à chacun des exploitants identifiés.
En l'absence de réponse d'un exploitant de réseau sensible, les travaux ne peuvent pas démarrer. « Tout cela demande quand même quelques adaptations, constate Pierre Eysseric, directeur du Syndicat départemental d'eau et d'assainissement de l'Aube géré en régie et, à ce titre, entreprise de travaux. Comme on est susceptible de recevoir les plans sous n'importe quel format, cela engendre quelques frais d'équipements en impri mantes, en postes informatiques nouveaux. Surtout, l'intégration de ces nouvelles exigences est consommatrice en temps. »
Il existe un cas particulier : les travaux urgents justifiés par la sécurité, la continuité du service public, la sauvegarde des personnes ou des biens, ou la force majeure sont dispensés de DT et même dans certains cas de DICT. Il convient alors simplement de tenir compte des mesures de sécurité transmises par les exploitants de réseaux sensibles. « Renseigne ment pris auprès du ministère, il se trouve que la réparation de fuites détectées sur un réseau d'eau relève de ces travaux urgents », précise Pierre Eysseric.
« Pour l'entreprise de travaux, la réforme est plutôt positive, estime Michel Benedetti, directeur technique du groupe NGEEHTP et président de la commission Afnor produisant les normes d'accompagnement de la réforme. Depuis plus de vingt ans, les exé cutants fonctionnent avec les DICT. La plupart ont bien intégré ce réflexe et la réforme entraîne, de ce point de vue, peu de chan gements pour eux. »
Beaucoup de responsabilités ont basculé sur le maître d'ouvrage, comme le marquage piquetage sur le site, avant commencement des travaux, du tracé des réseaux enterrés. « Le travail devrait, de ce fait, être beaucoup plus simple pour l'exécutant », analyse Michel Benedetti. « C'est une bonne chose que ce marquage piquetage soit désormais imposé, reconnaît Marc Medjani, responsable service VRD sud à la direction de l'équipement du territoire de Perpignan Méditerranée, qui a piloté l'expérimentation dans l'agglomération. Il est réalisé sous la responsabilité du maître d'ouvrage, mais nous préférons le confier à l'entreprise de travaux plutôt qu'à un prestataire exté rieur : c'est plus sûr et cela a un effet sensibilisateur. Évidemment, l'entreprise est rémunérée pour le faire ; une clause ad hoc est prévue dans le marché. »
Une autre obligation majeure pour l'entreprise est de former son personnel et de délivrer une autorisation d'intervention pour certaines catégories d'intervenants (chefs de chantier, conducteurs d'engins lourds...). Il lui faut aussi respecter les prescriptions fixées par le guide technique en ce qui concerne les précautions à prendre dans l'emploi des différentes techniques de travaux. Et si elle rencontre une situation dangereuse, comme la découverte de réseaux non identifiés, ou une erreur de localisation de réseau, la précaution lui impose de suspendre les travaux.
Pour éviter d'en arriver là, dans les cas dérogatoires où les investigations complémentaires préalables ne sont pas obligatoires, le maître d'ouvrage doit inscrire dans les marchés de travaux des clauses techniques et financières particulières. Ces clauses ont vocation à garantir l'emploi par les exécutants de techniques compatibles avec l'incertitude du tracé des réseaux, ainsi qu'une rémunération en conséquence pour l'entreprise. Et, authentique révolution, elles doivent également protéger les entreprises des préjudices financiers dus au report de démarrage, arrêt de travaux, modification notable du projet ou de ses modalités d'exécution... Un important chantier est en cours à l'Afnor, en vue de produire des recommandations pour ces clauses techniques et financières particulières des marchés de travaux, accompagnées d'exemples concrets de rédaction. Le do cument, codifié XP S 70-003-4, est attendu à l'automne. « La commission de normalisation a demandé à la direction des Affaires juridiques, à Bercy, des précisions sur la délicate articulation de ces dispositions avec le code des marchés publics », indique Laure Semblat.