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BIODIVERSITÉ

Réensauvagement : « donner à la nature les moyens de trouver le bon chemin »

PUBLIÉ LE 20 OCTOBRE 2021
PROPOS RECUEILLIS PAR ABDESSAMAD ATTIGUI
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Réensauvagement : « donner à la nature les moyens de trouver le bon chemin »
Les loups font partie des espèces réintroduites en Europe, comme celui-ci photographié dans les Carpates en Pologne. Crédits : Grzegorz Leśniewski / Wild Wonders of Europe
Face à la disparition des écosystèmes, l’enjeu de la réintroduction devient plus que jamais central. Le réensauvagement se propose comme une approche plus adéquate en donnant aux milieux naturels l’ensemble des éléments dont ils ont besoin pour se régénérer. Échange avec Fabien Quétier, spécialiste de la restauration de la biodiversité au sein de l’entreprise Biotope.

En septembre s’est tenu le congrès de l’UICN qui a préparé la récente Conférence des Parties (COP 15) à la Convention sur la diversité biologique (CDB) où il est question de reconquête, de restauration, de la biodiversité au niveau mondial pour des raisons d’adaptation au changement climatique. L’idée de restaurer la nature dégradée et lui faire jouer un rôle dans les réponses qu’elle doit apporter aux défis environnementaux, gagne du terrain et se concrétise à l’échelle nationale et européenne. Mais encore faut-il statuer sur la méthode de restauration la plus efficace !

Alors que jusqu’à présent les politiques de restauration optent pour une gestion dirigiste de l’écosystème, des voix s’élèvent pour laisser la nature suivre son propre chemin et ce, sans aucune intervention humaine. Quel rôle peut jouer le réensauvagement dans la conservation des écosystèmes ? Environnement Magazine s’est entretenu avec Fabien Quétier, spécialiste de la restauration de la biodiversité, pour comprendre l’essence de cette approche ?
 

Quel est le fondement du réensauvagement ?

Lorsqu’on observe ce qui est proposé dans le Plan de Relance français post-covid19, il y a un budget destiné à la plantation de haies, de la reforestation. Ce sont des choses dirigistes d’une certaine manière, c’est-à-dire dans le cadre des financements on va gérer la nature pour essayer de diriger l’écosystème vers un résultat prédéfini. C’est ce qu’on appelle la restauration qui est l’approche dominante.

En parallèle il y a le réensauvagement. Selon cette approche qui a émergé aux États-Unis et portée en France par Gilbert Cochet, il vaudrait mieux laisser faire la nature plutôt que de la diriger de manière trop forte. Avec ce modèle on permet à la nature avec ses processus de sélectionner les espèces, les formes végétales, les animaux qui vivent dans les écosystèmes et qui seront les plus adaptés au fil du temps. On parle d’une libre évolution, en laissant l’écosystème se débrouiller sans intervention. C’est ce que nous avons fait historiquement sur une grande partie du pays avec la déprise agricole, aujourd’hui il y a beaucoup de forêts en France qui ont poussé dans d’anciens pâturages.

Ce que proposent à présent les acteurs du réensauvagement à travers l’Europe, ce n’est pas simplement la libre évolution, mais de donner aux milieux naturels l’ensemble des éléments dont ils ont besoin pour que cette libre évolution puisse avoir lieu car il y a des écosystèmes appauvris à cause de la conversion massive à l’agriculture et d’extinction de la grande faune européenne. Les acteurs en faveur de ce principe remettent dans les écosystèmes des fonctions écologiques, des processus qui manquent pour qu’ils puissent se restaurer tout seuls. Cela implique de travailler sur la complexité du cortège d’espèces. Par exemple ce qui manque c’est une diversité de grands herbivores qui font partie de l’espèce ingénieure comme les castors et dans d’autres cas il manque les prédateurs.

Nous sommes sur une conception de la restauration écologique qui se veut plus fonctionnelle et moins dirigiste que ce que nous faisons habituellement. On reconstitue les espèces parce qu’elles remplissent des fonctions qui sont irréalisables en leur absence et tout cela crée des régimes de perturbation, c’est-à-dire des animaux qui vont perturber la végétation et qui vont créer des micros-habitats, et cela crée toute une diversité de compositions, de fonctions, et de structures.

Comment se positionne cette approche dans les politiques de conservation ?

Le réensauvagement est encore à la marge. Aujourd’hui, l’essentiel de la conservation de la nature est très interventionniste, c’est du jardinage parce que nous le faisons sur des petits espaces, moins d’un hectare ou dans certain cas une centaine d’hectares alors que les processus naturels qui manquent fonctionnent à plus grande échelle. On ne peut pas mettre des bisons sur des petits hectares et simplement les nourrir, mais si nous voulons que ces bisons jouent leur rôle, il est nécessaire de leur accorder plus d’espace, les laisser se déplacer selon les saisons, d’inscrire leur activité dans une dynamique écologique sur des surfaces beaucoup plus grandes.

En Europe, de grands espaces qui ont subi la déprise agricole sont aujourd’hui très peu peuplés. Et la question se pose, est-ce que nous pouvons déployer dans ces espaces des processus écologiques à grande échelle et construire une économie davantage sauvage autour de cette nature ? L’idée est intéressante parce qu’elle pose la question de construire de nouveaux projets de territoires dans des espaces abandonnés et de faire en sorte que ces projets soient bénéfiques pour la biodiversité, le climat et les habitants.
 

Y-a-t-il un choix de réintroduction dans cette approche ?

La réflexion est fonctionnelle dans cette approche. Il faut constater ce qui manque dans l’écosystème et dans bien des cas, les espèces sauvages sont absentes voire disparues. Ce qui est possible est de mettre des animaux domestiqués, si vous voulez des herbivores qui s’alimentent sur des broussailles l’hiver, qui vont creuser la terre, se déplacer en transportant les graines pour rétablir ces fonctions, vous pouvez dans ce cas mettre des races de vache anciennes et les élever en pâturage intégral sans complément alimentaire.

Ce type de réintroduction ne coûte pas cher et ça peut continuer à être productif dans une certaine mesure mais en tout cas le rapport coût-efficacité peut être intéressant.

Un écosystème mourant est remplacé naturellement par un écosystème plus adapté. Est-ce qu’en adoptant cette approche, on risque de créer un déséquilibre ?

Le déséquilibre arrivera de toute façon avec le réchauffement climatique qui nous attend. Il faut accepter l’arrivée d’un déséquilibre et il faut laisser de l’espace et la possibilité à la nature de trouver le nouvel équilibre car elle le fera mieux que nous. Par exemple, aujourd’hui nous avons des forêts qui dépérissent à cause des sécheresses, c’est un problème qui s’intensifie, et dans ce cas quelles sont les réponses possibles ? Une réponse consiste à dire qu’une fois la forêt dépérit on nettoie et puis on regarde les scénarios climatiques en plantant telle espèce et en anticipant la température moyenne. Nous sommes ici dans l’interventionnisme en créant un écosystème très proactif et dirigiste.

L’autre scénario est de se dire « on ne sait pas l’espèce la plus adaptée », et comment cela se passera dans les détails. Il faudrait introduire une diversité d’essences forestières, peut-être que certaines ne sont pas encore là, d’autres y sont déjà ou sont pas favorisées dans la gestion forestière actuelle, et de permettre à cette diversité de s’exprimer. On reconstitue une faune qui créera de la perturbation, du processus pour dynamiser l’ensemble et puis on va observer comment évoluera l’écosystème, mais on ne peut pas s’engager sur le résultat !

Donc il ne faut pas chercher un équilibre ou un nombre défini d’espèces. Il faudrait en mettre quelques-unes pour leur reproduction et après nous observerons ce qui se passe et c’est la nature qui va définir leur nombre. Ce n’est pas à nous de faire les calculs, il faut faire confiance à la nature plutôt qu’à notre équation. Avec le réchauffement climatique notre équation sera fausse. 

Y-a-t-il assez d’espaces naturels pour cette réintroduction ?

Aujourd’hui, les espaces disponibles pour le réensauvagement sont également ciblés pour déployer les énergies renouvelables. Parce que si vous voulez mettre des panneaux solaires, des éoliennes sur des terrains pas chers, vous allez choisir des zones où il y a peu ou pas d’habitants et sans pratique agricole. Le principal scénario pour ces espaces est d’être couvert de matériaux de production énergétique. Il faut se poser la question sur ces espaces, vaudrait-il mieux y déployer des solutions fondées sur la nature pour s’adapter au changement climatique ou y mettre de l’industrie de l’énergie renouvelable.

Sinon pour établir cette approche de réensauvagement, on peut penser à la récupération des zones abandonnées et désertées en Europe. Il y a des analyses qui ont été réalisées sur les scénarios d’adaptation du système alimentaire européen. Elles montrent que l’approche est tout à fait compatible avec le maintien de ces zones abandonnées davantage naturelle, et qu’on peut tout à fait alimenter les Européens avec un régime alimentaire adapté au réchauffement climatique et à l’enjeu de santé publique et cela sans retourner les forêts françaises et européennes.

Qu’en-t-il de la restauration à l’échelle des collectivités et entreprises ?

La société Biotope travaille avec les institutions sur les mesures compensatoires. Les aménageurs qui ont des projets avec des répercussions sur la biodiversité doivent demander des autorisations. Dans ce cadre, ils doivent prouver qu’ils ont évité les impacts et ou réduit les impacts qu’ils ne pouvaient pas éviter, et si des impacts résiduels subsistent, il faut les compenser. Cette compensation passe par la restauration d’un autre site que celui qui est impacté. C’est notamment une restauration dirigiste qui vise des compositions en espèces. Par exemple dans une partie de la France, il y a des oiseaux appelés œdicnème criard, qui est une espèce protégée et déclenche de la compensation lorsqu’elle est présente sur une zone en aménagement. Nous créons des habitats de substitution à cette espèce de manière artificielle, autrement dit, nous prenons des champs agricoles que nous remplissons d’un tas de cailloux, pour faire un petit carré adapté à cette espèce. Il va ensuite falloir gérer ce petit carré pendant 30 ou 40 ans.

Le contraste est vraiment ridicule entre cette solution et la nécessité de faire évoluer les systèmes agricoles, de conserver la biodiversité menacée et de s’adapter au réchauffement climatique. Non seulement cette gestion nous coûte cher, mais il y a des chances que cela ne marche pas afin de faire en sorte que ces espèces se maintiennent et à être florissantes. C’est une gestion qui nous pose question, car ce n’est pas de cette façon que nous aurons des écosystèmes riches en biodiversité et fonctionnels, c’est du bricolage !

Avez-vous déjà mené une compensation par fonctions ?

Nous essayons de proposer une restauration par fonctions, mais c’est difficile puisque la législation est fondée sur les espèces. Nous explorons cette possibilité, nous essayons de proposer des mesures compensatoires de grandes tailles ou interconnectées et localisées au bon endroit pour que les processus écologiques à grande échelle puissent s’y déployer même si la parcelle compensatoire au sens strict est petite, mais si nous la mettons au bon endroit celle-ci peut contribuer au renforcement d’un ensemble plus vaste.

Nous essayons également de travailler avec les collectivités pour inscrire ces approches dans l’aménagement de leurs territoires, comme les plans d’urbanisme pour mettre en place des stratégies sur l’évitement, la réduction et la compensation. Ces compensations contribueront à l’objectif de reconquête de la biodiversité à l’échelle du grand territoire, plutôt que de penser projet par projet d’aménagement
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