Le 23 septembre, un arrêté préfectoral interdisait la pêche sous toutes ses formes dans les rivières de la Martinique, ainsi que dans certaines baies semi-fermées de l'île, situées en aval des bassins versants. En cause, les taux de chlordécone dans la faune aquatique.
Une nouvelle étude de la direction des services vétérinaires de la Martinique a en effet révélé que, sur 40 points de prélèvement examinés, 96 % des échantillons de poissons et crustacés étaient contaminés, dont les deux tiers à plus de 50 microgrammes par kilo, et certains à plus de 8 000 µg/kg, quand les seuils fixés par l'Afssa sont à 20 µg/kg !
UNE DANGEREUSE MOLÉCULE
Comment ce pesticide organo-chloré classé cancérigène, mutagène et reprotoxique (CMR) peut-il encore être présent en de telles quantités en Martinique et en Guadeloupe, près de vingt ans après son interdiction ? Certes, la production a cessé en 1991, après vingt ans d'épandage intensif pour lutter contre le charançon du bananier. Mais les grandes bananeraies ont obtenu l'autorisation d'utiliser leurs stocks jusqu'en 1993. Or, en Guadeloupe, c'est de Basse-Terre, région des bananeraies, que proviennent 80 % des ressources en eau potable. De plus, la molécule est très stable et manifeste une forte affinité pour la matière organique des sols et des sédiments. Elle s'est répandue dans les cours d'eau et les nappes phréatiques, mais peut aussi demeurer pour plusieurs dizaines d'années, voire plusieurs centaines d'années, dans les nitisols des Antilles, riches en oxydes de fer et aluminium, et surtout en argiles.
Et quand des mesures de protection sont prises en 2000, en fermant les captages, en équipant les stations de traitement d'eau potable de filtres à charbon, il est trop tard. Les sols, l'eau, la faune, la flore et les hommes sont contaminés. On accuse la molécule d'être à l'origine de la prévalence élevée des cancers du foie et des testicules aux Antilles. Autant d'arguments qui seront repris par les associations comme l'Union régionale des consommateurs et l'Union des producteurs de Guadeloupe, avec le soutien des Verts, lorsqu'elles obtiennent, en 2007, l'ouverture d'une information judiciaire contre X par le parquet de Fort-de-France, en Martinique. Une information judiciaire qui, de délocalisation au parquet de Paris en annulation de saisine, peine à déboucher sur un procès.
QUARANTE ACTIONS SUR TROIS ANS
Il s'agit maintenant de limiter, autant que faire se peut, l'exposition et donc les contaminations. C'est l'un des objectifs poursuivis par le plan chlordécone, lancé en 2008 en Martinique et en Guadeloupe. Un projet sur trois ans dont le budget de 34 millions d'euros se décline en quarante actions. Sur les mesures concernant la contamination, mais aussi la traçabilité des produits, la gestion des milieux contaminés... Certaines concernent les laboratoires locaux. En Martinique, le laboratoire départemental doit ainsi être équipé pour réaliser l'analyse des pesticides dans l'ensemble des matrices, sans repasser par la métropole.
Le plan prévoit aussi d'étudier les possibilités de traitement et de dépollution in situ, dans le sol. En attendant cette hypothétique remédiation, un nouvel avis de l'Afssa doit tomber fin novembre. D'ici là, les Antillais doivent renoncer à manger les légumes racines de leurs jardins, les crustacés de leurs rivières et les poissons des fonds sableux.