L'échéance du 30 juin approche et les fournisseurs d'énergie font leurs comptes. Ils doivent avoir engrangé suffisamment de certificats d'économies d'énergie (CEE, ou certificats blancs) pour remplir leurs obligations réglementaires. Délivrés par les Drire ou les Dreal, les CEE attestent que les électriciens, gaziers, « fioulistes » et autres « propanistes » - les « obligés » - sont bien à l'origine de travaux d'économies d'énergie chez leurs clients. Au total, les quotas distribués entre le 1er juillet 2006 et le 30 juin 2009 par le législateur s'élèvent à 54 terawattheures (TWh), soit 54 milliards de kilowattheures. Un objectif dépassé avec plus de 60 TWh au 1er mai.
Dès le mois de mars, Butagaz avait pris les devants en annonçant avoir « validé plus de 100 % de son obligation », avec 474 CEE approuvés. Ceux-ci correspondent à 474 millions de kilowattheures Cumac, c'est-à-dire « cumulés actualisés » pendant la durée de vie des équipements installés. Ce sont 244 certificats de plus que l'objectif fixé au distributeur de propane dans le cadre de ce dispositif institué en juillet 2005 par la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique. Pour mémoire, la loi Pope 2005 vise 2 % d'économie d'énergie finale par an en 2015 et 2,5 % en 2030. On en est encore loin . « Pendant cette première période de trois ans, les CEE auront contribué à hauteur de 0,1 à 0,2 % à l'effort national de maîtrise énergétique, constate Luc Bodineau, coordinateur CEE à l'Ademe. L'objectif de 54 TWh était plus qualitatif que quantitatif. »
La priorité était de valider et rendre opérationnel un système reposant sur une notion que Xavier Romon, délégué général de l'Association technique énergie environnement (ATEE) qualifie « d'assez révolutionnaire » : faire émerger une offre de l'économie d'énergie. « L'idée est d'amener les fournisseurs et distributeurs à ne plus se rémunérer uniquement sur le kilowattheure vendu, mais à vendre mieux », précise Luc Bodineau.
Le législateur a retenu le concept d'actions standardisées, qui permettent de calculer forfaitairement les économies d'énergies : changement de chaudière, installation d'une pompe à chaleur, isolation, remplacement de fenêtres, etc. « Cette approche permet de structurer les actions de maîtrise de l'énergie des collectivités territoriales en définissant des critères de performance énergétique de base à respecter pour de très nombreux travaux, souligne Emmanuel Goy, délégué adjoint énergie de l'association Amorce. Pour autant, la variété des travaux et l'imagination des contributeurs fédérés par le club C2E de l'ATEE, chargé d'élaborer les fiches et de les faire valider auprès de la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), se sont traduites par une profusion d'actions, de l'éclairage public aux formations à l'écoconduite, en passant par l'installation d'un chauffe-eau solaire, l'acquisition de conteneurs pour le ferroutage, l'installation de moteurs à vitesse variable dans l'industrie, de transformateurs de distribution électriques plus économes ou encore l'achat de pneus basse consommation pour équiper les flottes de véhicules. « Ce sont 181 actions qui figurent au catalogue, pour seulement une trentaine très utilisées », relève Xavier Romon. La réalité est encore plus tranchée. Selon un bilan de la DGEC dressé le 1er mars dernier, dix fiches comptent pour plus de 70 % des 42,9 TWh d'économie réalisés à cette date.
D'où des interrogations sur la complexité et l'efficacité du dispositif. Marc Jedliczka, vice-président du Comité de liaison des énergies renouvelables (Cler), pointe « un travail très lourd de l'ATEE, avec des choses intéressantes et d'autres moins » qui a débouché sur « une usine à gaz ». Dans un bilan des CEE établi en janvier, la DGEC annonce d'ailleurs « une révision des fiches pour ajuster leur contenu (...)». « Des ajustements techniques sont nécessaires pour supprimer les contraintes qui n'apportent pas de vraie valeur ajoutée », explique Vivien Tran-Thien, chef du bureau de la maîtrise de la demande à la DGEC. Une valeur ajoutée encore virtuelle pour les obligés, pour qui les CEE sont aujourd'hui synonymes de coût. « Nous devons tracer les opérations avec un système d'information, afin de démontrer que Madame Durand, à Thionville, a bien fait appel à tel artisan pour installer une chaudière à condensation adaptée à la surface de son logement, avec l'attestation de fin de travaux et la facture qui en témoignent », souligne Patrick Arnaud, chef de la mission efficacité énergétique à la branche énergie France de GDF Suez.
D'ores et déjà, les obligés « ont choisi d'intégrer cette contrainte dans leur démarche commerciale », précise Luc Bodineau. Information, conseil en économies d'énergie (comme l'offre Bleu ciel d'EDF ou le diagnostic Dolcevita de GDF Suez), ou encore des prêts bonifiés pour des travaux de rénovation thermique. Les fournisseurs de propane et de fioul vont jusqu'à attribuer des primes ou des subventions pour financer des travaux et l'achat d'équipements. Butagaz, très agressif commercialement, a élargi son programme « butaprimes », réservé à ses clients, à l'ensemble des particuliers ! Primagaz a également compris l'intérêt de se démarquer avec les CEE, dans un contexte d'ouverture du marché de l'énergie et d'attentes du grand public en matière d'environnement.
Pour l'heure, les débats se focalisent autour du prochain objectif, qui sera fixé par la loi Grenelle 2. Le Meeddat annonce un nouvel objectif annuel d'au moins 100 TWh (au lieu de 18 jusqu'à présent). « La réalité du marché ne permet pas de faire plus de deux fois l'objectif de la première période », évalue Patrick Arnaud, qui craint que le système, assorti de pénalités libératoires de 2 centimes le kilowattheure, ne se transforme en taxe faute de pouvoir satisfaire ses exigences. Alors que Luc Bodineau plaide, au nom de l'Ademe, pour un facteur 10 à 18. Grâce notamment à l'isolation thermique, peu mobilisée avec 6,1 % des économies réalisées. « En 2006, le marché de la rénovation thermique était de 100 TWh Cumac, ajoute-t-il. Si on augmente le niveau d'exigence de chaque opération, on peut atteindre 330 TWh Cumac par an. » Des chiffres qui s'ajoutent aux gisements dans les autres secteurs, dont l'industrie, les réseaux, mais aussi les transports : le projet de loi prévoit d'élargir la catégorie des obligés aux distributeurs de carburants.