Il n’y a rien de plus démobilisateur que la déception. Je m’engage pour une cause, je néglige mes amis, je reporte toutes mes autres obligations, bref je me lance à fond, et patatras, tout ça en vain. Un immense gâchis. Après un coup pareil, j’arrête, je ne change pas forcément d’avis sur le fond, mais on ne m’y reprendra plus. Les manifs, ce sera sans moi ! La mobilisation pour Copenhague a été présentée par les ONG comme un grand succès. L’échec de la conférence, c’est la faute des autres. Notamment les États, et leur égoïsme, ou les procédures de l’ONU. Il est permis de s’interroger : les ONG n’ont-elles pas entraîné leurs militants sur une voie sans issue ? Les ONG demandaient que la conférence de Copenhague accouche d’un accord ambitieux et contraignant, et elles savaient que cet objectif était hors de portée. Beaucoup de pays ne sont pas prêts à accepter des contrôles, à voir leur souveraineté écornée, à admettre que leurs économies doivent changer de cap. L’arrivée de Barack Obama ne suffit pas pour convertir un peuple et ses représentants, qui doivent ratifier tout accord. Le président des États Unis ne pouvait faire le choix d’un échec annoncé, surtout qu’il avait d’autres réformes sur le feu, comme la santé. Pour l’opinion des nombreux pays du Sud, le réchauffement climatique était une forme de néocolonialisme, une nouvelle manière pour les pays du Nord d’imposer leur loi. Aucun dirigeant de ces pays, souvent susceptibles par ailleurs quant à leur indépendance, ne pouvait donner un accord sur des contraintes soupçonnées, à tort ou à raison, d’affecter leur développement. Sachant tout cela, pourquoi donc les ONG sont-elles restées sur leurs positions, qui les conduisaient tout droit à un échec, car l’échec de la conférence est l’échec de tous, ONG comprises.
L’échec n’est jamais mobilisateur
Certes, il est plus facile de mobiliser sur des objectifs clairs et apparemment ambitieux, et puis il y a la concurrence entre ONG, qui provoque une sorte de surenchère. Elles n’ont peut-être pensé qu’à leur audience : il fallait affirmer une position forte et intransigeante, comme la planète l’exige. Mais comme dans toutes les guerres, il faut penser à l’après-guerre. La paix n’est pas facile à gagner, et elle dépend de la manière dont la guerre est menée. Les conférences sont des moments forts, mais les vraies décisions se prennent dans la durée. Il ne suffit pas d’obtenir des décisions « à l’arraché », dans un élan d’enthousiasme. Rappelons-nous la désillusion d’Al Gore, de retour de Kyoto. Il s’est retrouvé bien isolé quand il a fallu que le congrès ratifie les engagements qu’il avait pris. La dynamique des conférences est tempérée par l’obligation de ratification, laquelle de ne se fait pas sous la pression des mêmes acteurs… Les COP sont des étapes dans un processus, et c’est l’adhésion réelle aux objectifs qui est la marque du succès. Cette adhésion se construit dans la durée, et le mélange entre sprint et course de fond n’est pas judicieux, loin s’en faut. L’escalier peut monter très haut, mais il ne faut pas louper une marche, en particulier en croyant pouvoir en sauter. Les ONG ont commis au minimum une maladresse en focalisant l’opinion sur un horizon inaccessible, et ont ainsi accentué le sentiment d’échec. Un échec par rapport à leurs souhaits, sans doute, mais les analystes n’ont pas tous été aussi sévères.
A Paris, un contexte bien différent
Dans le contexte géopolitique du moment, pouvait –on faire mieux ? Le consensus de fixer à 2° la hausse de température à ne pas dépasser est malgré tout un acquis, de même que les décisions de financement, qu’il reste à concrétiser. Le sentiment d’échec et la déception qui en est résulté ont été ravageurs. La « dernière chance » a été perdue, et tous les superlatifs utilisés à l’envi pendant Copenhague se sont retournés contre leurs auteurs. L’échec n’est jamais mobilisateur. On en vient à se demander s’il n’a pas été orchestré en coulisse par des intérêts hostiles à toute mesure anticarbone. L’essoufflement des adversaires, leur découragement, était la meilleure nouvelle que pouvait attendre les industriels liés aux énergies fossiles, et ils l’ont obtenue. Au point qu’il est légitime de se demander s’ils ne l’ont pas provoquée. Il est tellement facile de suscité une sorte d’emballement et de manipuler les foules. Croyez-vous que cette constatation ait fait l’objet d’une réflexion parmi les dirigeants des ONG ? J’en doute fort, et si c’est le cas, elle n’a guère transpiré. L’économie d’hier, fondée sur le carbone et l’idée d’un monde infini, est organisée. Elle tient l’essentiel des leviers, et sait les manœuvrer. Il revient aux ONG et à toutes les forces qui tentent de faire naître l’économie de demain, de faire monter une dynamique, un courant qui bousculera cet ordre ancien, avec l’aide des événements. Une dynamique ne se crée pas avec des échecs, elle a besoin de succès, de vitrines, d’entraîneurs portés par de réelles réussites. Des avancées qui en appellent d’autres, qui donnent du courage et laisse entrevoir une perspective exaltante. Le côté festif et souvent l’humour qui caractérise les manifestations autour des « COP » du climat sont réjouissants, mais ils ne s’inscrivent pas dans une stratégie claire et réaliste. Il n’est pas interdit de se faire plaisir, mais il ne faut pas pour autant perdre de vue ses objectifs. Le contexte de la COP 21, à Paris, est bien différent, et le volet « recherche de solution » a pris une importance nouvelle. La surenchère n’a pas pour autant disparu, elle guette et peut être activée facilement. L’accent mis sur les « solutions » devrait permettre d’éviter cette dérive, mais la vigilance s’impose !
A lire :
Le développement durable, une affaire d’entrepreneursÉditions PC, 2015.246 pages, 20 euros.Dominique BidouLe Blog de Dominique Bidou