Des pistes cyclables séparées du trafic automobile ? « C'est ce que demandent les néophytes... Avec pourtant beaucoup d'inconvénients : la piste améliore la circulation en ligne droite, mais complique la visibilité aux carrefours. D'ailleurs, plus de 70 % des accidents en ville se produisent aux intersections. Elle doit donc être réservée aux sections longues ou lorsque la vitesse de circulation est élevée. » Des bandes cyclables délimitées par une signalisation au sol ? « Elles sont vues comme un sous-aménagement, alors qu'en termes de sécurité, elles sont souvent adaptées. Les cyclistes sont dans le champ de vision des automobilistes et ne perdent pas la priorité aux carrefours. » Pour Nicolas Mercat, cofondateur du bureau d'études Altermodal, devenu un département d'Inddigo, mieux vaut combattre quelques idées reçues lorsqu'on s'attaque à un plan vélo. « Les collectivités se focalisent trop sur les solutions techniques », insiste-t-il.
S'appuyant sur les conclusions du groupe de travail européen Bypad, il note trois volets essentiels pour un schéma type : la définition d'une stratégie, l'action et l'évaluation. La première étape du plan est donc politique. Elle consiste à définir un objectif réaliste à atteindre en dix ans : quelle part modale pour le vélo ? Et surtout, qui sont les cyclistes de demain ? Convertir les enfants qui vont à l'école à deux pas de chez eux ou des étudiants qui doivent traverser la ville pour se rendre sur leur campus ne demande pas les mêmes aménagements. Généraliser les zones 30 dans des lotissements peut faire partie d'une stratégie vélo qui ne demande pas de marquage propre aux cycles. Le plan ne se résume pas non plus à des aménagements immédiats : il donne des pistes qui pourront être appliquées à l'occasion de travaux de voirie. Conséquence, le recrutement d'un chargé de mission capable de faire vivre le plan et d'accompagner la population vers une nouvelle manière de se déplacer est essentiel.
Deux types de schémas coexistent à Nantes Métropole. D'une part, au niveau des communes et de dix quartiers de Nantes, des démarches participatives permettent des continuités locales. D'autre part, pour l'agglomération dans son ensemble, le plan publié fin 2009 tente, quant à lui, de donner une certaine cohérence au territoire « avec un service de vélos, une politique de stationnement et deux axes structurants Sud-Nord et Est-Ouest », explique Jacques Garreau, vice-président de l'agglomération. Pour trouver la place nécessaire (au moins 2 mètres de large pour que les cyclistes puissent se doubler, voire 3 quand la circulation des vélos est prévue à double sens), toutes les collectivités ne sont pas logées à la même enseigne. Beaucoup profitent des berges de rivières ou d'anciens itinéraires ferrés pour créer des voies vertes. Ces espaces interdits aux engins motorisés sont définis par le Code de la route et apportent un très bon niveau de sécurité. D'autres grignotent l'espace automobile en reproduisant les autoroutes à vélos très répandues aux Pays-Bas, des pistes ultra-prioritaires qui doivent être larges de 4 mètres lorsque le trafic dépasse 1 000 usagers par jour.
À l'image de l'agglomération d'Orléans, qui vient de dépenser près de 4 millions d'euros pour créer une passerelle de 300 mètres sur le Loiret, les collectivités doivent parfois consentir de lourds investissements pour garantir une continuité cyclable. « Avant, elles veulent être sûres que cela servira à quelque chose », explique Enrico Durbano, directeur commercial d'Eco-Compteur. Cette société propose des dispositifs de comptage automatique des vélos en milieu urbain. L'outil est devenu essentiel pour valider la pertinence des options imaginées dans un plan cyclable. « On peut aussi opter pour le comptage manuel, mais cela demande des extrapolations pas toujours fiables, car la circulation des cyclistes est très sensible aux variations saisonnières et à la météo », insiste-t-il.
Des statistiques incontestables permettent, parallèlement, de faire vivre les schémas en évaluant les effets des aménagements : cette nouvelle piste est-elle empruntée ? Les usagers osent-ils prendre ce contresens cyclable ?... Car une chose est sûre : il n'existe pas de méthode unique pour créer un réseau cohérent. Réunis début octobre à Dijon pour le XIXe Congrès du Club des villes et territoires cyclables, les spécialistes français du vélo en zone urbaine en ont fait l'expérience. Se penchant sur un cas concret (comment relier le campus et le centre-ville ?), ils ont dû reconnaître qu'ils n'étaient pas d'accord sur tout ! La question de la suppression de places de stationnement automobile reste une question sensible.
Quelques règles élémentaires s'imposent cependant. Le sens unique pour les voitures apparaît ainsi comme une fausse bonne idée puisque celles-ci peuvent être tentées d'augmenter leur vitesse. Inutile, par ailleurs, de prévoir un itinéraire de délestage pour les cyclistes : seule la ligne droite compte ! « Si l'on quitte sa voiture, c'est pour retrouver une certaine liberté de mouvement. Les tentatives de canalisation des flux sont vouées à l'échec », souligne Sonia Lavadinho, chercheuse à l'École polytechnique fédérale de Lausanne. Pour autant, « il ne faut pas penser qu'à la continuité dans la ville, poursuit-elle. Le cycliste veut avoir la possibilité de latéraliser son parcours, de s'arrêter pour faire un pas de côté ».