CE 26 septembre 2012 Monsieur G. N° 347068
Le Conseil d'État (1) confirme la jurisprudence établie en matière d'entretien des chemins ruraux.
Pour démontrer que la commune a une obligation d'entretien, il faut prouver qu'elle a aménagé le chemin ou qu'elle y a réalisé concrètement des travaux.
Il existe en France environ 750 000 km de chemins ruraux (2). Ceux-ci sont dans une situation ambiguë : d'un côté, ils doivent être affectés à l'usage du public ou à la circulation publique (3), d'un autre, ils font partie du domaine privé de la commune propriétaire s'ils n'ont pas été classés comme voie communale (4). Ainsi, ces chemins ruraux font partie des voies de circulation appartenant à la commune, mais sont soumis à un régime juridique particulier, notamment s'agissant de leur entretien comme le montre la présente affaire (5). Or l'entretien des chemins ruraux représente forcément un enjeu financier considérable.
M. G. est propriétaire d'une parcelle située dans le quartier du Puits Fangon, sur le territoire de la commune de Pontevès, dans le département du Var. Cette parcelle est desservie uniquement par un chemin ouvert à la circulation, soit un chemin rural, qui comporte des nids-de-poule et des nappes d'eau stagnante. M. G. estime que l'usure prématurée de son véhicule est due à l'état de ce chemin et qu'il encourt même des risques pour sa santé. Il demande à la commune de réparer les préjudices qu'il estime avoir subis. Le maire lui ayant répondu négativement (6), Monsieur G. saisit alors le tribunal administratif de Toulon d'un recours en responsabilité en réclamant une indemnisation d'un montant de 2 500 euros accompagné des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la demande indemnitaire préalable (7). Ce dernier rejette ladite demande par un jugement en date du 5 novembre 2010. M. G., mécontent ,saisit alors la cour administrative à tort, puisqu'il ne peut faire qu'un seul recours en cassation contre le jugement rendu en premier et dernier ressort par le tribunal administratif. Le Conseil d'État se retrouve normalement saisi de l'affaire (8). La Haute Assemblée casse le jugement rendu, au motif que le tribunal a oublié de répondre sur un des moyens soulevés par le requérant et elle décide de répondre directement sur le fond (9). Le Conseil d'État rejette la requête de M. G.
Le rejet est tout d'abord fondé sur le fait que le chemin desservant la propriété de M. G. est bien un chemin rural et non un élément entré dans le domaine public routier de la commune. Plusieurs possibilités auraient permis une telle intégration. Ainsi, ledit chemin n'a pas fait l'objet d'un arrêté de reconnaissance sous le régime de la loi du 20 août 1881 et antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 7 janvier 1959. Il n'est pas non plus situé en agglomération. En effet, les chemins matériellement situés dans une agglomération ou une zone urbaine et présentant l'aspect d'une rue appartiennent à la voirie communale sans qu'il soit utile de les classer ainsi (10). En conséquence, le chemin visé par M. G. est bien un chemin relevant de la voirie rurale communale (11). Le rejet de la requête par la Haute Assemblée repose ensuite sur l'inexistence d'une obligation d'entretien dudit chemin par la commune et qu'en conséquence, elle n'a pas de lien avec les préjudices invoqués par le requérant.
Ainsi, en matière d'entretien d'un chemin rural, la commune n'a aucune obligation générale en la matière (I) mais le maire détient la police de ces chemins et peut être amené à intervenir à ce titre (II).
I. L'inexistence d'une obligation générale d'entretien d'un chemin rural
Les communes ont l'obligation d'entretenir les voies communales au sens des voies relevant de leur domaine public (12). En revanche, au regard des dispositions législatives sur le sujet, les chemins ruraux n'entrent pas dans le champ de ces dépenses obligatoires. Cependant, la situation devient plus complexe dès lors que les chemins ruraux sont considérés comme des ouvrages publics. En effet, ils répondent bien aux critères de définition de ces ouvrages, à savoir : être en un bien immobilier, résultant d'un travail de l'homme et affecté à l'intérêt général (13).
Dès lors, le régime de responsabilité découlant des préjudices causés par les ouvrages publics doit trouver à s'appliquer. Cela est tout à fait juste pour les préjudices subis par les tiers à l'ouvrage (14), qui bénéficient alors d'un régime de responsabilité
sans faute s'ils démontrent un préjudice spécial et anormal et sans que cela ait un lien quelconque avec l'obligation ou non d'entretien dudit chemin par la commune. En revanche, la situation des usagers de ces chemins ruraux est plus complexe. Normalement, les usagers d'un ouvrage public qui s'estiment victimes d'un préjudice lié à celui-ci, doivent invoquer le défaut d'entretien normal de l'ouvrage, sauf à démontrer le caractère exceptionnellement dangereux dudit chemin (15). Cependant, s'agissant d'un chemin rural, la théorie du défaut d'entretien normal ne s'applique que si la commune a l'obligation de l'entretenir. Or il se trouve que même si la commune est propriétaire du chemin rural, et même si ce dernier remplit les conditions de qualification en tant qu'ouvrage public, il est de jurisprudence constante que la commune n'a pas d'obligation générale d'entretien (16).
Il existe cependant une situation d'exception, lorsque la commune a exécuté, postérieurement à l'incorporation du chemin dans la voirie rurale, des travaux destinés à en assurer ou à en améliorer la viabilité et a ainsi accepté d'en assumer, en fait, l'entretien (17). La difficulté réside alors dans la preuve que la commune a décidé d'assumer cet entretien et/ou du moins n'a pas décidé d'arrêter d'assumer un tel entretien (18). Cette preuve ne repose finalement que sur des éléments matériels, mais il ne suffit pas de montrer qu'un panneau de signalisation a été apposé (19), ni qu'un permis de construire a été accordé pour la réalisation de travaux sur une parcelle desservie par le chemin en question (20), ni que le maire a écrit un courrier dans lequel il envisage des travaux (21), ni que des habitants
attestent par écrit avoir connu le chemin accessible aux véhicules hippomobiles ou automobiles et parfaitement entretenu à l'époque (22). Dans la présente affaire, le requérant met en avant le fait que le maire lui a envoyé un courrier dans lequel il indique « faire au mieux pour résoudre le problème posé par le mauvais état du chemin ». Mais comme aucuns travaux n'ont ensuite été réalisés par la commune, ce courrier ne peut signifier à lui seul que la commune a souhaité assumer l'entretien.
Pour démontrer que la commune a une telle obligation d'entretien d'un chemin rural, il faut prouver qu'elle l'a aménagé ou qu'elle y a réalisé concrètement des travaux (23). Cependant, il existe encore des limites, même si nous trouvons de tels travaux. D'une part, si la commune a entrepris des travaux sur ce chemin rural, son obligation d'entretien s'arrête aux éléments entretenus. Dès lors, si les opérations d'entretien portent sur la partie sommitale du chemin et son goudronnage (24), l'obligation d'entretien ne saurait porter sur le sous-sol (25). D'autre part, la commune a pu réaliser des travaux en urgence pour assurer la sécurité et donc intervenir dans le cadre des pouvoirs de police du maire sans que cela puisse être qualifié de travaux d'entretien (26). Il faut faire attention à la nature des travaux réalisés, il y a les travaux d'entretien et les travaux « à but de police ». Ces enjeux sont essentiels quant à la responsabilité qui pèse alors sur la commune.
In fine, la commune n'ayant jamais réalisé de travaux d'entretien et n'ayant donc jamais assumé en fait cet entretien, ne peut être tenue pour responsable des préjudices qu'invoque le requérant. Mais ne pourrait-on pas voir dans la situation de ce dernier, un enjeu d'exercice du pouvoir de police du maire ?
II. Une obligation d'entretien liée à l'exercice du pouvoir de police ?
Le requérant a soulevé un autre moyen dans ses conclusions en reprochant à la commune de ne pas avoir entretenu ledit chemin rural dans le cadre cette fois de l'exercice du pouvoir de police du maire.
Il est vrai que le maire est l'autorité investie « de la police et de la conservation des chemins ruraux » (27), à l'exemple de la police qu'il détient par ailleurs sur les dépendances du domaine public. Il reste alors à savoir ce que recouvre l'exercice de cette compétence propre et personnelle du maire. En fait, les termes du Code rural visant le maire doivent être compris comme lui confiant la « police de la circulation et de la conservation » et non comme lui confiant deux missions, celle de police et celle de conservation. En effet, dans ce dernier cas, le fait de lui confier la conservation aurait pu alors s'entendre comme lui demandant de prendre les mesures (hors police) pour assurer cette conservation, à savoir faire en sorte que le chemin rural soit maintenu dans un bon état d'entretien pour sa finalité, la circulation et donc l'entretenir.
Dès lors, il faut retenir que le maire ne détient que « la police de la conservation », il ne peut donc agir que par les moyens d'une telle police, à savoir adopter la réglementation adaptée au maintien de la finalité des chemins ruraux en préservant leur intégrité et la sécurité de leurs utilisateurs. En conséquence, il n'est pas possible de demander au maire de prendre des mesures d'entretien du chemin sur un tel fondement, comme le rappelle le Conseil d'État dans la présente affaire ; cette police n'a ni pour objet, ni pour effet de mettre à la charge de la commune une obligation d'entretien de ces chemins. Alors finalement, quelles mesures peut-il prendre ? Le maire peut notamment interdire la circulation à certains véhicules (comme lorsqu'il limite le tonnage des véhicules circulant sur le chemin afin d'éviter sa dégradation) (28) ou comme le précise le Code rural, il peut interdire l'usage de tout ou partie du réseau des chemins ruraux aux catégories de véhicules et de matériels dont les caractéristiques sont incompatibles avec la constitution de ces chemins, et notamment avec la résistance et la largeur de la chaussée ou des ouvrages d'art (29). Le maire peut, de ce fait, faire poser des dispositifs d'interdiction d'accès, comme des barrières (classiques ou de dégel), une clôture ou des blocs de ciment. Il peut encore prendre toutes les mesures utiles pour faire enlever tout obstacle s'opposant à la circulation sur le chemin rural (30). Mais il peut encore prendre des mesures se traduisant par des travaux sur le chemin rural, travaux réalisés en urgence pour éviter les accidents et qui n'ont dès lors pas pour effet de pouvoir considérer que la commune a accepté d'assumer l'entretien dudit chemin (31).
Bien sûr, si le maire n'adopte pas les mesures de police attendues afin de mettre un terme à une situation préjudiciable ou si la mesure de police méconnaît les principes à respecter (comme celui d'égalité), il engage la responsabilité de la commune tant pour faute que sans faute, selon les cas (32). Or dans la présente affaire, le requérant ne démontre pas que les préjudices qu'il invoque seraient liés à l'absence de telles mesures.
Ainsi, le Conseil d'État ne fait ici que confirmer des jurisprudences bien établies en matière d'entretien et de police des chemins ruraux. Le requérant n'avait finalement aucune chance d'obtenir gain de cause au regard des arguments mis en avant.