À Lille, Thomas Roillet, gérant de Solis Coop, est dans les starting-blocks. Les statuts de sa société coopérative d'intérêt collectif (SCIC) ont été déposés cet automne à la préfecture et son lancement officiel est prévu début 2011. « On vise au démarrage un capital d'un million d'euros, constitué à 20 % de fonds publics et le reste de fonds privés, dont 5 % d'investissements de la société civile. » Solis, c'est l'histoire d'un projet participatif dont le concept original a germé, en 2007, pour développer les énergies renouvelables dans la région. La coopérative loue les toitures des collectivités et des bailleurs privés pour y installer, investir et exploiter des centrales photovoltaïques de 30 à 250 kWc. Objectif à cinq ans : développer 2 300 kW grâce à 23 000 m2 de panneaux. « Nous avons choisi la SCIC parce qu'elle nous permet de faire converger des intérêts communs. Des particuliers prêts à investir dans le solaire, mais sans toiture disponible, la ville de Lille, dont certains bâtiments sont inexploités, et l'association Solaire en Nord, qui militait pour le développement de l'énergie solaire », analyse Thomas Roillet.
Créées en 2002, les SCIC appartiennent à la grande famille des coopératives. Elles portent, avec les mutuelles et les associations, les fondements historiques de l'économie sociale et solidaire : une gouvernance démocratique - un homme égale une voix -, une activité à forte plus-value sociale, environnementale et/ou culturelle et des bénéfices réinvestis dans les projets. Au petit rythme de deux créations par mois, 185 SCIC sont aujourd'hui en activité, dont près d'un tiers dans l'environnement. Et contrairement aux sociétés coopératives de production (Scop) détenues majoritairement par les salariés, elles ouvrent la voie à de nouveaux entrants, jusqu'à 20 % de ses fonds propres. « Ce multisociétariat permet aux SCIC de répondre à des besoins locaux et de structurer une activité locale là où aucun associé n'aurait pu le faire seul », juge Alix Margado, délégué national des SCIC qui cite en référence l'exemple de Bois bocage énergie créé en 2006. « C'est un cercle vertueux, confirme Gilles Delaunay, cogérant de cette SCIC de l'Orne qui a déjà essaimé sur le territoire. Nous avons pu mettre en relation des agriculteurs, qui cherchaient à valoriser le bois issu de l'entretien de leurs haies, avec des collectivités soucieuses du maintien du bocage, qui ont opté pour le développement de chaudières à bois dans leurs bâtiments publics. Aujourd'hui, nous avons 80 producteurs et 28 clients associés, 13 collectivités et 15 particuliers. » Chez Solis, le capital est réparti entre des salariés, des collectivités, des bailleurs privés, des financeurs et des producteurs photovoltaïques dont des citoyens. « On espère bien toucher de plus en plus de particuliers, souligne Thomas Roillet. D'ici à cinq ans, l'investissement citoyen pourrait représenter 10 % de notre capital. »
Les entreprises solidaires peuvent en effet compter directement sur l'épargne citoyenne. Des épargnants militants de plus en plus rejoints par de simples sympathisants qui, la conscience citoyenne aiguisée par la crise financière, choisissent de prendre part au capital de ces structures. Un choix engagé qui va à l'encontre des standards du petit épargnant uniquement préoccupé par la performance financière de ses placements boursiers. « Dans le principe, l'actionnariat est même le choix le plus engagé pour l'épargnant solidaire qui assume alors une part du risque économique du projet. Mais, concrètement, parce que les projets soutenus sont bien montés, l'actionnariat solidaire est en progression constante de 25 % par an depuis cinq ans et a atteint 240 millions d'euros en 2009 », analyse Anthony Degouve, responsable du financement solidaire chez Finansol, une association professionnelle qui, depuis 1997, distingue les produits d'épargne solidaire par son label. Comme les actions d'entreprises non cotées ou les comptes à terme souscrits chez des financeurs solidaires.
Une vingtaine de structures sont spécialisées, en France, dans la collecte d'épargne solidaire pour financer des projets d'utilité sociale (sous forme de prêts, garantie, capital-risque...) et les accompagner : Société d'investissement France active, Nouvelle économie fraternelle ( Nef), Habitat et humanisme... Parce qu'ils leur permettent d'orienter leur épargne sur des titres non cotés qu'ils auraient difficilement identifiés seuls, les financeurs solidaires constituent un intermédiaire et un investissement de choix pour la plupart des actionnaires solidaires. Avec une croissance de 35 % par an depuis plusieurs années, le financement solidaire (507 millions d'euros en 2009) ne connaît pas la crise et profite directement à l'environnement. Captant 19 % des investissements en 2008, 32 % en 2009, ce dernier est devenu le secteur le plus soutenu financièrement après le logement social.
Financeur emblématique de la filière biologique et de l'environnement qui absorbe 70 % de l'encours des prêts en 2009, la société coopérative de la Nef dispose aujourd'hui d'un capital de 21 millions d'euros abondé par 26 000 sociétaires. « L'épargne des citoyens contribue à une collecte de 228 millions d'euros, que nous convertissons en prêts. Le défi, c'est de lancer le maximum de projets ! » explique Vincent Lagalaye, son délégué régional Ile-de-France. Avec chaque mois 200 à 300 nouveaux clients qui se retrouvent dans l'éthique de cette institution financière pas comme les autres. Elle leur permet de diriger leur épargne vers l'écologie et publie tous les ans la liste des projets financés (270 prêts débloqués en 2009).
Dans les circuits courts de l'investissement solidaire, la coopérative de capital-risque Garrigue est un autre financeur actif qui agit de pair avec les clubs d'investisseurs pour une gestion alternative et locale de l'épargne solidaire ( Cigales) implantés en région. Toutes deux issues de l'économie alternative, les clubs Cigales et Garrigue abondent en fonds propres la création d'entreprises à forte utilité sociale, les Cigales, sur une durée limitée à cinq ans, Garrigue pouvant relayer leurs actions pour le développement. Structures éphémères rassemblant l'épargne d'une quinzaine de citoyens, les 130 Cigales en activité comptent près de 1 650 adhérents. Et, comme le souligne le président de la fédération, Jean-Pierre Duponchelle, c'est un engagement démocratique accessible à tous. « De 8 à 450 euros d'apport par mois, on aura la même voix en assemblée générale ! » Avec le risque de perdre ses billes en cas de faillite. Il n'empêche, le mouvement s'amplifie. Partie avec moins de cinquante associés en 1985, Garrigue rassemble maintenant près de 800 sociétaires autour d'un capital de 3 millions d'euros et, dans son portefeuille, une centaine d'entreprises solidaires. Sur chaque projet, son fil conducteur est la création d'emplois dans le social ou l'environnement (18 % de l'encours placé dans les produits et magasins bio, 19 % dans les énergies renouvelables et l'environnement). « Nous plafonnons nos frais de fonctionnement à 2 % afin que la totalité de l'épargne soit mobilisée selon la formule "1 euro souscrit, 1 euro investi". Notre taille actuelle nous donne la capacité de soutenir des projets de plus en plus importants, mais nous nous fixons comme limite 200 000 euros, pour éviter de concentrer les risques », analyse Laurent Pinon, du directoire de Garrigue.
Apparaissent ainsi côte à côte dans le collège des financeurs de la SCIC Enercoop, Cigales, Garrigue et la Nef. En 2005, le fournisseur d'électricité verte a profité de l'ouverture du marché de l'énergie pour se lancer. Un pari sur un marché soumis à la rude concurrence d'EDF, seul opérateur dont le tarif de rachat de l'énergie renouvelable est soutenu par l'État. Si Enercoop milite pour la levée de ce monopole, elle joue la transparence via une offre 30 % plus chère qu'EDF mais qui intègre la réalité de ses coûts d'achat. Malgré ces contraintes, la coopérative attire plus de 6 000 consommateurs et 4 000 sociétaires. Son chiffre d'affaires a quasiment doublé cette année (4,1 millions d'euros en 2010) et son capital est passé en quatre ans de 280 000 euros à 1,6 million. « Au démarrage, les 22 fondateurs (dont Greenpeace, les Amis de la Terre, la Compagnie du vent ou la Nef...) ont eu un poids prépondérant dans la SCIC. Il a naturellement tendance à diminuer avec le temps au profit des collèges des consommateurs et des producteurs qui ont aujourd'hui, à part égale, la plus grosse représentativité (30 % des droits de vote), souligne Patrick Behm, directeur d'Enercoop. Nous n'avons pas voulu imposer le sociétariat à nos clients qui s'engagent déjà par leur acte d'achat. C'est un choix réservé à ceux d'entre eux qui souhaitent s'impliquer dans le projet et militer en sa faveur. »
Depuis 2009, Enercoop fait des petits en régions, avec déjà deux nouvelles SCIC indépendantes dans les Ardennes et en Rhône-Alpes. « Les Enercoop locales ont principalement vocation à trouver de nouveaux moyens de production d'électricité verte en région en mobilisant des investisseurs locaux, précise Patrick Behm. L'idée, à terme, est de créer un circuit fermé, du producteur au consommateur, contrôlé par les citoyens. » Et pour boucler la boucle, un fonds de collecte d'épargne citoyenne devrait être lancé d'ici à la fin de cette année ou au début 2011 par les acteurs solidaires de la filière (Enercoop, Solira, Éoliennes en pays de Vilaine, la Nef...). Baptisé Énergie partagée, ce fonds va prendre la forme d'une société en commandite par actions (SCA) pour financer le développement des unités de production d'ENR régionales. Il espère lever, dès sa première année, 8 millions d'euros. L'association Éoliennes en pays de Vilaine, qui oeuvre depuis 2002 au développement de parcs éoliens citoyens à l'échelle locale, compte par ce biais financer la construction de ses deux parcs (16 MW), le premier de 8 MW prévu à Béganne (56), dès 2011.
Au coeur de ce nouveau projet, la Nef reproduit un savoir-faire développé en 2006 par l'association Terre de liens avec la Foncière Terre de liens, une SCA spécialisée dans la collecte d'épargne citoyenne pour l'achat de foncier rural. « En séparant le pouvoir des actionnaires de celui des gestionnaires, la SCA nous garantit le contrôle de notre projet. C'est primordial puisque notre objectif est de retirer des terres agricoles de la spéculation foncière », précise Philippe Cacciabue, directeur de la Foncière Terre de liens. Bénéficiant d'une forte mobilisation militante autour des valeurs de retour à la terre, la foncière a rapidement trouvé un écho. En trois ans, elle a réussi à collecter 15 millions d'euros auprès de 5 170 petits actionnaires (2 800 euros en moyenne). Résultat : 800 hectares rachetés pour maintenir 37 exploitations paysannes et biologiques. Ses locataires adhèrent à la charte éthique de Terre de liens et s'engagent au respect d'un bail environnemental. « Pour que ça marche, notre postulat de base, c'est qu'il y aura toujours une rotation équilibrée des actionnaires. Mais notre outil n'a pas vocation à durer plus de cinquante ans. D'ici là, on espère bien que le modèle de privatisation des terres aura cessé. » De son côté, la Foncière Chênelet, fondée en 2009 pour la création et la rénovation de logements sociaux écologiques, fait uniquement appel à la contribution de l'impôt de solidarité sur la fortune et de l'impôt sur le revenu. Mais comme l'estime très justement Dominique Heys, son directeur, « l'accès des pauvres au logement social n'est pas aussi mobilisateur que la cause paysanne, qui touche les consommateurs. Au lieu de solliciter le petit épargnant, notre foncière fait donc un peu son Robin des bois et cela ne nous déplaît pas ».