États, collectivités, industries, ONG, société civile, tout le monde est à bord ! » Depuis maintenant un an, Ban Ki Moon ne cesse de vanter la mobilisation générale de tous les pans des sociétés humaines dans la lutte contre le réchauffement climatique. Pour le secrétaire général des Nations unies, ce mouvement permet de ne pas désespérer de la lenteur des négociations. Cet Agenda des solutions, c’est lui qui l’a lancé en septembre 2014, en réponse à l’énorme manifestation qui s’est déroulée dans les rues de New York pour appeler à une action rapide sur le climat. Tandis que les négociateurs défendraient les « égoïsmes nationaux », le tissu économique et social investirait promptement dans la décarbonisation de ses activités. Une dynamique que souligne à l’envie la ministre française de l’Écologie, Ségolène Royal, très longtemps présidente de la région Poitou- harentes, et grande communicante sur les actions de terrain. La labellisation des territoires à énergie positive (Tepos), financièrement aidés par l’État pour réduire leurs émissions de CO2, procède de cette nouvelle version du « small is beautiful » des années 1960. Évidente aujourd’hui, la présence active de ces acteurs n’allait pourtant pas de soi il y a dix ans, à une époque où les négociations sur le climat étaient l’apanage des États.
Le mouvement des Tepos français sera-t-il une réussite ?
En 2009, à Copenhague, villes et régions ont fait une première apparition symbolique, tout de même marquée par la présence médiatique d’Arnold Schwarzenegger comme gouverneur de Californie. « Depuis, nous sommes passés du symbole à l’action avec une légitimité nouvelle pour interpeller les gouvernants », note Ronan Dantec, sénateur et porte-parole du Réseau mondial des villes, gouvernements locaux et régionaux (CGLU). « Si les États se partagent les responsabilités nationales, nous décidons des politiques locales qui vont rendre effectifs les résultats de réduction de gaz à effet de serre. » Au moins la moitié des émissions mondiales seraient directement en lien avec des décisions prises localement sur les transports, l’habitat, l’urbanisme. Depuis la Conférence sur le climat de décembre 2014 à Lima, l’Agenda des solutions est désormais décliné dans un plan d’action qui répertorie objectifs et engagements. Sa lecture constitue un instructif voyage dans la diversité des populations et de leurs niveaux de développement. Difficile d’appréhender le réel impact de ces volontés locales et de la faisabilité des ambitions affichées. Bien malin qui peut dire si le mouvement des Tepos français sera une réussite ! Ce qui est certain, c’est que les solutions sont plus ou moins les mêmes, quelles que soient les latitudes : diminution des besoins en chauffage et climatisation dans l’habitat, recours aux transports en commun, investissements dans les énergies renouvelables, promotion d’habitudes de vie plus sobres comme les changements de mode de déplacement, baisse de la consommation de viande ou économies d’électricité et d’eau. Plus spectaculaires, les engagements des industriels sont aussi plus appréciables, mais plus ambigus. Par exemple, que pensez de la volonté d’une compagnie aérienne de réduire de 20 % sa consommation de kérosène d’ici à 2020 ? Il s’agit avant tout d’une mesure de bonne gestion lui permettant de rester dans la course au transport aérien à faible coût. Et une partie de la solution – tel que l’allègement des avions – relève des constructeurs, non de la compagnie elle-même. Ce genre de déclaration solennelle fleurit depuis l'ouverture de la COP21 et peuple depuis des mois le site onusien de Global Compact, qui collecte les participations volontaires des entreprises. Les ONG y traquent les décisions qui ne coûtent rien : le « greenwashing » climatique. La décision de Total, le 20 août dernier, de se retirer totalement du charbon en vendant sa filiale sud-africaine en fait-elle partie ? Ce choix est l’occasion pour le pétrolier français de porter massivement ses efforts sur le gaz, ce qui ne constitue en rien une sortie des énergies fossiles.
Les ONG traquent le « greenwashing » climatique
Certains actes peuvent cependant laisser espérer un réel changement de comportement. Le 27 juillet dernier, treize multinationales américaines ont annoncé 130 milliards d’euros d’investissements dans des projets à faibles émissions de carbone. Bank of America fera passer ses prêts dans l’environnement de 50 milliards de dollars par an cette année à 125 milliards en 2025. Walmart va augmenter sa production d’énergie renouvelable de 600 % d’ici à 2020. Alcoa, producteur d’aluminium, veut réduire de moitié ses émissions en dix ans et Google va tripler ses achats en énergie renouvelable au cours de la prochaine décennie. La contribution du secteur financier est beaucoup plus délicate. Banques et grands fonds trempent encore les deux mains dans le pétrole, le gaz et le charbon, secteurs profitables et subventionnés. Le 5 février dernier, le fonds souverain norvégien, plus grande capitalisation du monde avec 775 milliards d’euros d’actifs, a annoncé s’être retiré du capital de 22 entreprises impliquées dans le charbon, les sables bitumineux, le ciment et l’or. C’est un coup de semonce, le fonds expliquant que « le modèle économique de ces entreprises n’est plus soutenable à moyen et à long terme ». Grandes banques mondiales et fonds d’investissement sont aujourd’hui la cible privilégiée de groupes de pression leur enjoignant de fermer le robinet financier aux gros émetteurs de gaz à effet de serre. Depuis 2010, le mouvement pour le « désinvestissement de l’énergie fossile » lancé par l’association américaine 350.org, a persuadé 180 institutions pesant 45 milliards d’euros de retirer leurs billes de ce secteur. L’université de Stanford aux USA ou le fonds des frères Rockefeller ont ainsi suivi leurs injonctions.
Compenser la faiblesse des contributions nationales
En Angleterre, l’opération est conduite par le quotidien The Guardian par le biais de son programme « Keep it in the ground » (laissez ça dans le sol). La pétition vise des fondations comme celles de Bill et Melinda Gates qui possèdent des actions dans des entreprises pétrolières ou minières. Les institutions internationales comme la Banque mondiale ont anticipé le mouvement. Le 29 juillet dernier, Rachel Kyte, sa vice-présidente, a été pour la première fois très claire sur le sujet lors d’un événement à Washington : « D’une manière générale, le monde doit cesser d’utiliser du charbon, a- elle asséné. Le charbon a un coût social énorme, tout comme les autres combustibles fossiles qui vous empêchent de respirer un air propre. » Le secteur de l’agriculture vient de rejoindre cette mobilisation. Dans un colloque organisé à Montpellier en mars dernier sur les liens entre les modes de cultures et le réchauffement climatique, des chercheurs du monde entier ont rappelé que l’humanité avait en sa possession un outil de géo-ingénierie particulièrement efficace s’il était bien utilisé : l’occupation des sols par l’agriculture. « Les négociations ont toujours porté sur les forêts et la végétation, en oubliant le rôle des sols », note Martial Bernoux, chercheur à l’Institut de recherche et développement. « Le respect de la vie biologique sous nos pieds permettrait de faire passer le stockage terrestre annuel [de CO2] d’environ 3 milliards de tonnes à plus de 7 milliards ». Il faudra pour cela que l’agriculture change ses habitudes productivistes. La réflexion se diffuse au sein de la FAO. L’avantage de toutes ces actions ? Elles ont déjà débuté et produisent leurs effets sans attendre le résultat des négociations internationales. À tel point que cette myriade de solutions locales, d’engagements volontaires économiques et industriels est appelée à compenser la faiblesse des contributions nationales.LC