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TERRITOIRES

Eau impropre : la Cise Réunion condamnée à indemniser 90 000 abonnés

HASSAN BEN HAMADI, ASSOCIÉ FONDATEUR DU CABINET ADLANE AVOCATS, LE 9 DÉCEMBRE 2025
\ PUBLIÉ DANS HYDROPLUS N° 280
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Eau impropre : la Cise Réunion condamnée à indemniser 90 000 abonnés
Hassan Ben Hamadi, associé fondateur du cabinet Adlane Avocats. Crédits : DR
Décision inédite à La Réunion : le tribunal judiciaire de Saint-Denis a condamné la Cise Réunion, filiale de la SAUR, à indemniser près de 90 000 abonnés pour avoir distribué une eau impropre à la consommation. Ce jugement du 27 mars 2024 consacre le droit des usagers à une réparation collective face à un risque sanitaire. Décryptage par l’avocat Hassan Ben Hamadi, associé fondateur du cabinet Adlane Avocats.

Rendue le 27 mars 2024, cette décision s’inscrit dans le cadre juridique des obligations incombant aux entreprises délégataires d’un service public industriel et commercial, ainsi que des droits ouverts aux usagers en cas de manquement grave et persistant à ces obligations. Elle mobilise plusieurs outils du droit civil, tout en illustrant l’extension progressive du contentieux environnemental vers des enjeux de santé publique du quotidien.

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La distribution d’eau potable est encadrée par des règles impératives. L’article L.1321-1 du Code de la santé publique impose que l’eau destinée à la consommation humaine soit salubre, propre à la consommation, et conforme aux limites de qualité fixées par voie réglementaire. Ces normes visent à protéger la santé des consommateurs contre les risques microbiologiques ou chimiques. Le distributeur d’eau – même lorsqu’il s’agit d’une entreprise privée titulaire d’une délégation de service public – est tenu à une obligation de résultat : fournir une eau conforme (Civ. 1ère, 28 nov. 2012, n°11-26.814).

Or, les analyses sanitaires menées entre 2012 et 2020 dans plusieurs communes de La Réunion, notamment à Sainte-Marie, Salazie ou Sainte-Suzanne, ont révélé des dépassements répétés des seuils admissibles en aluminium. Ces dépassements ont été documentés par l’Agence régionale de santé, sans que la société Cise Réunion ne parvienne à rétablir durablement la conformité de l’eau distribuée. Le tribunal a donc retenu un manquement caractérisé à une obligation essentielle, engageant la responsabilité contractuelle de l’exploitant, conformément aux articles 1231-1 et suivants du Code civil.

Le préjudice moral reconnu sans dommage corporel
La spécificité de cette affaire réside aussi dans la nature du préjudice reconnu. Cette approche n’est pas isolée : elle s’inscrit dans un mouvement plus large de reconnaissance des atteintes diffuses à la santé et à l’environnement. La jurisprudence admet désormais que l’exposition prolongée à un risque sanitaire anormal peut justifier une indemnisation morale, même en l’absence de dommages corporels démontrés.

Le tribunal a admis dans cet arrêt que la consommation régulière d’une eau non conforme, même en l’absence de pathologie identifiée ou de dommages corporels démontrés, constitue un préjudice moral indemnisable. Il s’agit d’un préjudice d’anxiété ou de privation d’usage, en lien avec l’impossibilité de consommer sereinement un bien de première nécessité. Cette reconnaissance prolonge un mouvement jurisprudentiel amorcé avec les contentieux liés à l’exposition à l’amiante (CAA Marseille, 31 mai 2016, req. n° 15MA03706), où l’absence de dommage corporel n’empêche pas l’indemnisation d’un trouble anormal.

Le montant retenu au titre de l’indemnisation est de 0,54 euro par jour d’eau impropre à la consommation et par abonné. Ce calcul individualisé, basé sur la durée réelle de non-conformité, vise à établir une réparation proportionnée et accessible, même s’il demeure symbolique au regard des frais réels supportés (achat d’eau, dispositifs filtrants, etc.).

Le jugement de Saint-Denis pourrait notamment inspirer d’autres actions dans des zones touchées par des pollutions récurrentes aux pesticides, aux nitrates, ou aux substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS).

Une action de groupe au service de la santé publique
Une autre particularité majeure tient à ce que l’action a été engagée sous la forme d’une action de groupe, fondée sur les articles L.623-1 et suivants du Code de la consommation. Introduite par la loi du 17 mars 2014, cette procédure permet à une association agréée – en l’espèce, l’UFC - Que Choisir – de défendre collectivement les intérêts de consommateurs confrontés à un même manquement. Le succès de cette action confirme que ce mécanisme, encore peu utilisé, peut être mobilisé efficacement dans le domaine sanitaire et environnemental, au-delà des litiges classiques de consommation. Toutefois, sa mise en œuvre reste conditionnée à une structuration juridique solide, supposant notamment une coordination étroite entre experts techniques, juristes et associations.

La décision laisse cependant subsister certaines problématiques. La responsabilité éventuelle des personnes publiques délégantes, qui ont pu faire preuve d’inertie face aux alertes sanitaires, n’est pas abordée. Pourtant, la passivité d’une collectivité dans le suivi du délégataire peut, en droit administratif, constituer une faute engageant sa responsabilité.

Cette affaire illustre néanmoins un usage renforcé du droit commun au service de la santé publique. Le juge civil, à défaut d’un cadre autonome de responsabilité environnementale généralisée, mobilise les instruments existants – responsabilité contractuelle, préjudice moral, action collective – pour répondre aux défaillances systémiques dans la gestion de services publics essentiels. La société délégataire ne peut se réfugier derrière l’inertie des contrôles ou les lenteurs techniques pour éluder ses responsabilités. Son obligation est de livrer une eau conforme, de manière constante, et toute carence prolongée engage sa responsabilité.

La portée de ce jugement dépasse le seul cas réunionnais. Elle pourrait inspirer des contentieux similaires dans d’autres territoires, y compris en métropole, pour des pollutions aux pesticides, aux nitrates, ou aux substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS). Il pose aussi la question du rôle futur du juge dans la protection de la qualité des services essentiels, qui, lorsqu’elle est altérée, peut et doit donner lieu à réparation.


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